Tahiti, le 19 octobre 2020 - Le général Frédéric Saulnier a succédé le 1er août dernier au colonel Frédéric Boudier à la tête du commandement de la gendarmerie pour la Polynésie française. Dans l’entretien qu’il a accordé à Tahiti Infos, il évoque notamment la création d’une cellule opérationnelle de renseignements sur les stupéfiants (CROSS), qui aura vocation à renforcer la synergie entre les différents services qui luttent contre la drogue et notamment le fléau de l'ice en Polynésie.
Vous avez pris vos nouvelles fonctions le 1er août, mais vous connaissiez déjà la Polynésie ?
"Effectivement. Je suis déjà venu en Polynésie à deux reprises. La première fois en 1997, à titre professionnel puisque je dirigeais l’escadron 14/1 blindé de gendarmerie de Versailles-Satory projeté trois mois sur le Fenua. J’ai trouvé que cette période était très enrichissante sur un plan humain et cela m’avait donné l’envie de revenir à titre professionnel ou privé. J’avais été marqué par ce passage en Polynésie et je suis donc revenu en villégiature en 2015 avec ma famille pour visiter plusieurs archipels, dont les Marquises et les Tuamotu. Enfin, j’ai été affecté cette année à Tahiti à ma très grande satisfaction. Satisfaction partagée par ma famille."
Lors de son départ, votre prédécesseur, le colonel Frédéric Boudier, avait désigné l’ice et les violences intrafamiliales comme étant les principaux fléaux de la délinquance en Polynésie. Est-ce qu'il s'agit également de votre feuille de route ?
"Je fais un constat ambivalent. C’est un constat très positif d’un côté car nous sommes dans un schéma de délinquance maîtrisée. Toutes les semaines, nous faisons un bilan chiffré avec le haut-commissaire et nous avons d’excellents résultats car la délinquance est globalement en baisse. De l’autre côté, ce serait une grosse erreur que de s’arrêter à ce constat, puisqu’il y a des points noirs qui sont des marqueurs pour la Polynésie et qui requièrent toute notre attention. Ces marqueurs ont effectivement bien été identifiés par mon prédécesseur, le colonel Boudier, et je ne peux que m’inscrire dans cette logique de traitement. Il y a, tout d’abord, les violences intrafamiliales qui sont un vrai sujet en Polynésie puisque nous en avons deux fois plus qu’en métropole. C’est un vrai problème qui est pérenne. Nous avons, ensuite, le problème des stupéfiants avec trois volets : le paka, l’ice et la cocaïne. En ce qui concerne l’ice notamment, nous allons prochainement signer un plan avec tous nos partenaires. Démarche qui marque la parfaite prise de conscience du problème. C’est une drogue qui est au cœur de mes préoccupations, car elle est très déstructurante pour la société polynésienne et elle peut marquer l’entrée dans de nombreux problèmes tels que la prostitution, les vols et autres. Enfin, il y a l’alcool que l’on retrouve en filigrane de toutes nos interventions, que ce soit dans le domaine de la sécurité routière comme dans celui des violences intrafamiliales. Dans ce domaine de la sécurité routière notamment, il convient de ne pas baisser la garde. Si le nombre d’ATB (accidents, tués, blessés), est également en baisse, l’on ne saurait oublier les réalités humaines derrière ces chiffres : un fait sera toujours un fait de trop et constituera la source de notre motivation au quotidien".
Qu’en est-il des dispositifs en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants ?
"Sur la problématique des drogues, nous allons prochainement mettre en place une cellule opérationnelle de renseignements sur les stupéfiants (CROSS) avec les partenaires engagés dans la lutte. L’idée est de partager nos objectifs, nos modes opératoires, de travailler sur des cibles dans une logique de coordination. Je pense que nous pouvons en effet encore améliorer notre travail dans une logique de meilleure synergie inter-services. La délinquance ne connaît pas de frontières ni de cloisonnement administratif. Nous devons nous inspirer de ce constat. Cette CROSS réunira l’ensemble des acteurs –police, douanes, forces armées, tāvana– qui peuvent nous aider à endiguer ce fléau des stupéfiants. Synergie, volontarisme et esprit novateur sont les clefs du succès. Pour illustrer le point relatif à l’esprit de novation, j’ajoute à titre d’exemple que nous allons former en 2021 en Nouvelle-Zélande, un chien pour la détection de l’ice. La gendarmerie a obtenu pour cela un financement de la Mildeca, la mission interministérielle de lutte contre les conduites addictives, qui appuie l’action des services engagés dans la lutte."
Où en est la mise en place de cette cellule ?
"Cette CROSS va être placée sous le pilotage de la gendarmerie. À ce stade, nous avons établi un projet de protocole destiné au haut-commissaire qui a également vocation à circuler dans toutes les parties prenantes qui participeront à ce projet. Nous devrions signer cette CROSS en même temps que le plan ice, car il y a une convergence des thématiques. Une lutte efficace contre les stupéfiants comporte deux volets : un volet préventif et un volet répressif. Nous allons continuer à structurer notre action en terme de répression, mais en ce qui concerne la problématique de l’ice nous ne pouvons pas uniquement compter sur cet aspect. L’ice en Polynésie est un peu assimilable à ce que l’on a connu aux États-Unis avec l’héroïne. C’est une drogue hautement addictive, extrêmement lucrative, qui suscite les convoitises. Et il y a un gros travail à faire en amont en termes de sensibilisation, notamment des jeunes. Ce qui m’importe, c’est que chacun fasse le maximum pour que l’on arrête les trafiquants qui travaillent sur le lit de la misère et des faiblesses humaines et que l’on fasse comprendre à chacun que s’engager dans la consommation d’ice, c’est s’engager dans une impasse qui peut conduire au pire. Cette drogue est un facteur de désintégration de la société polynésienne avec des impacts sanitaires très lourds, et nous devons nous battre contre cela. C’est une source de motivation très forte."
Outre la question des stupéfiants, il y a également la question de la sécurité routière qui est une thématique importante pour la gendarmerie en Polynésie ?
"Tout à fait. Il y a eu l’effet Covid qui s’est répercuté positivement sur les chiffres avec toute la période de confinement et les limitations de déplacement. Et nous avons aussi fait un corrélat sur les limitations de la vente d’alcool et la baisse des phénomènes. Il y a donc un lien très fort entre les violences, la sécurité routière et la consommation d’alcool. Notre action est polymorphe, quand on œuvre en matière de sécurité routière, on fait aussi de la lutte contre les stupéfiants. Un triptyque structure mon action dans le domaine de la sécurité routière : La dissuasion –la présence sur le terrain–, la prévention et le champ répressif. (…) Au bilan, je tiens à souligner qu’à mon arrivée, j’ai trouvé une unité très saine, de grande qualité, et je souhaite rendre hommage au colonel Boudier qui a fait un travail de fond remarquable avec des équipes en place totalement impliquées dans l’exercice de leur mission pour la protection des Polynésiens. Je salue l’état d’esprit et la résilience de mes personnels. Au mois d’août, j’ai été amené à prendre des décisions difficiles et j’ai noté à cette occasion le grand esprit de discipline et le sens de la mission de chacun. La gendarmerie aime à se définir comme une "force humaine". Ce n’est pas qu’une devise et je vois vivre au quotidien nos valeurs en Polynésie".
Vous avez pris vos nouvelles fonctions le 1er août, mais vous connaissiez déjà la Polynésie ?
"Effectivement. Je suis déjà venu en Polynésie à deux reprises. La première fois en 1997, à titre professionnel puisque je dirigeais l’escadron 14/1 blindé de gendarmerie de Versailles-Satory projeté trois mois sur le Fenua. J’ai trouvé que cette période était très enrichissante sur un plan humain et cela m’avait donné l’envie de revenir à titre professionnel ou privé. J’avais été marqué par ce passage en Polynésie et je suis donc revenu en villégiature en 2015 avec ma famille pour visiter plusieurs archipels, dont les Marquises et les Tuamotu. Enfin, j’ai été affecté cette année à Tahiti à ma très grande satisfaction. Satisfaction partagée par ma famille."
Lors de son départ, votre prédécesseur, le colonel Frédéric Boudier, avait désigné l’ice et les violences intrafamiliales comme étant les principaux fléaux de la délinquance en Polynésie. Est-ce qu'il s'agit également de votre feuille de route ?
"Je fais un constat ambivalent. C’est un constat très positif d’un côté car nous sommes dans un schéma de délinquance maîtrisée. Toutes les semaines, nous faisons un bilan chiffré avec le haut-commissaire et nous avons d’excellents résultats car la délinquance est globalement en baisse. De l’autre côté, ce serait une grosse erreur que de s’arrêter à ce constat, puisqu’il y a des points noirs qui sont des marqueurs pour la Polynésie et qui requièrent toute notre attention. Ces marqueurs ont effectivement bien été identifiés par mon prédécesseur, le colonel Boudier, et je ne peux que m’inscrire dans cette logique de traitement. Il y a, tout d’abord, les violences intrafamiliales qui sont un vrai sujet en Polynésie puisque nous en avons deux fois plus qu’en métropole. C’est un vrai problème qui est pérenne. Nous avons, ensuite, le problème des stupéfiants avec trois volets : le paka, l’ice et la cocaïne. En ce qui concerne l’ice notamment, nous allons prochainement signer un plan avec tous nos partenaires. Démarche qui marque la parfaite prise de conscience du problème. C’est une drogue qui est au cœur de mes préoccupations, car elle est très déstructurante pour la société polynésienne et elle peut marquer l’entrée dans de nombreux problèmes tels que la prostitution, les vols et autres. Enfin, il y a l’alcool que l’on retrouve en filigrane de toutes nos interventions, que ce soit dans le domaine de la sécurité routière comme dans celui des violences intrafamiliales. Dans ce domaine de la sécurité routière notamment, il convient de ne pas baisser la garde. Si le nombre d’ATB (accidents, tués, blessés), est également en baisse, l’on ne saurait oublier les réalités humaines derrière ces chiffres : un fait sera toujours un fait de trop et constituera la source de notre motivation au quotidien".
Qu’en est-il des dispositifs en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants ?
"Sur la problématique des drogues, nous allons prochainement mettre en place une cellule opérationnelle de renseignements sur les stupéfiants (CROSS) avec les partenaires engagés dans la lutte. L’idée est de partager nos objectifs, nos modes opératoires, de travailler sur des cibles dans une logique de coordination. Je pense que nous pouvons en effet encore améliorer notre travail dans une logique de meilleure synergie inter-services. La délinquance ne connaît pas de frontières ni de cloisonnement administratif. Nous devons nous inspirer de ce constat. Cette CROSS réunira l’ensemble des acteurs –police, douanes, forces armées, tāvana– qui peuvent nous aider à endiguer ce fléau des stupéfiants. Synergie, volontarisme et esprit novateur sont les clefs du succès. Pour illustrer le point relatif à l’esprit de novation, j’ajoute à titre d’exemple que nous allons former en 2021 en Nouvelle-Zélande, un chien pour la détection de l’ice. La gendarmerie a obtenu pour cela un financement de la Mildeca, la mission interministérielle de lutte contre les conduites addictives, qui appuie l’action des services engagés dans la lutte."
Où en est la mise en place de cette cellule ?
"Cette CROSS va être placée sous le pilotage de la gendarmerie. À ce stade, nous avons établi un projet de protocole destiné au haut-commissaire qui a également vocation à circuler dans toutes les parties prenantes qui participeront à ce projet. Nous devrions signer cette CROSS en même temps que le plan ice, car il y a une convergence des thématiques. Une lutte efficace contre les stupéfiants comporte deux volets : un volet préventif et un volet répressif. Nous allons continuer à structurer notre action en terme de répression, mais en ce qui concerne la problématique de l’ice nous ne pouvons pas uniquement compter sur cet aspect. L’ice en Polynésie est un peu assimilable à ce que l’on a connu aux États-Unis avec l’héroïne. C’est une drogue hautement addictive, extrêmement lucrative, qui suscite les convoitises. Et il y a un gros travail à faire en amont en termes de sensibilisation, notamment des jeunes. Ce qui m’importe, c’est que chacun fasse le maximum pour que l’on arrête les trafiquants qui travaillent sur le lit de la misère et des faiblesses humaines et que l’on fasse comprendre à chacun que s’engager dans la consommation d’ice, c’est s’engager dans une impasse qui peut conduire au pire. Cette drogue est un facteur de désintégration de la société polynésienne avec des impacts sanitaires très lourds, et nous devons nous battre contre cela. C’est une source de motivation très forte."
Outre la question des stupéfiants, il y a également la question de la sécurité routière qui est une thématique importante pour la gendarmerie en Polynésie ?
"Tout à fait. Il y a eu l’effet Covid qui s’est répercuté positivement sur les chiffres avec toute la période de confinement et les limitations de déplacement. Et nous avons aussi fait un corrélat sur les limitations de la vente d’alcool et la baisse des phénomènes. Il y a donc un lien très fort entre les violences, la sécurité routière et la consommation d’alcool. Notre action est polymorphe, quand on œuvre en matière de sécurité routière, on fait aussi de la lutte contre les stupéfiants. Un triptyque structure mon action dans le domaine de la sécurité routière : La dissuasion –la présence sur le terrain–, la prévention et le champ répressif. (…) Au bilan, je tiens à souligner qu’à mon arrivée, j’ai trouvé une unité très saine, de grande qualité, et je souhaite rendre hommage au colonel Boudier qui a fait un travail de fond remarquable avec des équipes en place totalement impliquées dans l’exercice de leur mission pour la protection des Polynésiens. Je salue l’état d’esprit et la résilience de mes personnels. Au mois d’août, j’ai été amené à prendre des décisions difficiles et j’ai noté à cette occasion le grand esprit de discipline et le sens de la mission de chacun. La gendarmerie aime à se définir comme une "force humaine". Ce n’est pas qu’une devise et je vois vivre au quotidien nos valeurs en Polynésie".
Parcours
Diplômé de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, le général Saulnier a occupé le poste de chargé de mission à la délégation aux affaires stratégiques du cabinet du ministre de la défense de 2003 à 2004. Il a également été chef de la section délinquance et criminalité organisée du bureau de la police judiciaire au sein de la direction générale de la gendarmerie de 2004 à 2009 et du bureau recrutement concours et examens de 2013 à 2017. Diplômé de l’École de Guerre, il a été fait Chevalier de la Légion d’honneur.