Le noni a de nouveau le vent en poupe


Ce fruit à l'odeur nauséabonde et au goût peu apprécié regorge de propriétés médicinales. Mais il ne vous guérira pas du cancer ou du Sida…
PAPEETE, le 10 septembre 2015 - Les ventes de noni tahitien se portent très bien sur le marché international, après des années de perte de vitesse. Un succès pour le fruit aux vertus médicinales, mais qui est encore loin d'égaler les records de 2007.

À l'export, le noni (appelé nono en tahitien), un fruit auquel sont associés des vertus médicinales, est en augmentation de 80% (en valeur) cette année selon les derniers chiffres de l'ISPF.

Ainsi, nos ventes de noni à l'étranger représentent déjà 1 700 tonnes de purée et de jus de noni entre janvier et juillet 2015, soit presque autant que toute l'exportation de l'année dernière (1 860 tonnes). La reprise est donc très importante, mais reste encore loin du record atteint en 2005, lorsque 7 000 tonnes avaient été exportées.

Cette reprise est principalement due aux exportations de purée de noni, par opposition au jus de noni qui se porte bien malgré tout. La forte progression entre 2013 est 2014 est entièrement attribuable au retour des commandes du Japon et de la Chine. Un retour fort qui continue sur sa lancée cette année.

Mais en 2015, ce sont deux autres destinations qui tirent encore plus les exportations : les États-Unis (qui nous prennent déjà les deux tiers de notre production et ont dépassé sur les sept premiers mois de l'année toutes les commandes de l'année dernière) et l'Allemagne (qui a augmenté ses importations dans les même proportions mais ne représente que 100 tonnes de noni).

MORINDA EST REVENU

Ce regain des exportations vers l'Asie, l'Amérique du Nord et l'Allemagne est causé par un seul facteur : le retour en Polynésie de Tahitian Noni International, désormais appelé Morinda. Une source proche de l'industrie nous explique que "ça faisait quelques temps que Morinda commandait très peu aux agriculteurs locaux, mais ça a repris depuis un an et demi."

Expliquer ce retour en grâce de la Polynésie auprès de l'entreprise américaine est par contre impossible : la société Morinda International, plus gros exportateur de noni polynésien, refuse de répondre à nos questions. Un responsable local offre comme seul commentaire : "les ventes augmentent. C'est bien. Et c'est tout ce que nous vous dirons."


Clash entre ministres de l'agriculture concernant les clients chinois

En octobre 2013, nous publiions qu'un "protocole d’intention établissant un partenariat en vue de l’exportation du noni vers la Chine a été signé avec la société Xisha Noni. Le directeur général de cette société qui produit du jus de noni, Hong Wang, s’est engagé à acheter un minimum de 4 000 tonnes de noni par an, au prix du marché local, à échéance de trois ans. La société Xisha Noni assurera également la mise en place du réseau de transport du noni entre les producteurs et Tahiti et son conditionnement en vue de l’exportation." Un projet qui, entretemps, semble être mort en silence.

Thomas Moutame, qui avait signé l'accord à l'époque pour le gouvernement Flosse, nous assure que "normalement c'est le ministre actuel qui doit suivre ce dossier-là. J'avais demandé à Rivetta de prendre contact avec eux pour prendre la suite, je ne sais pas s'il l'a fait. Mais beaucoup de mes projets ont été annulés, on devait faire une usine de traitement des carottes à Tubuai, ça a été supprimé. On avait aussi des petites unités de transformation du 'uru en farine, qui devaient être à Taravao et Moorea, les machines sont là mais ça a été annulé. J'imagine qu'aujourd'hui les machines prennent la poussière… Il y a aussi ces deux hectares de champs de vanille aux Îles sous le vent principalement, tout était prêt, mais il leur a fallu un an avant de lancer le projet."

Le nouveau ministre, Frédéric Riveta, lui répond : "cette exportation (de noni) était caduque, mais il y a pas mal d'alternatives. Thomas Moutame avait signé quelque chose qui n'a pas tenu, c'était une opération marketing mais ils n'ont jamais donné suite quand Forbase n'a pas obtenu le Mahana Beach. L'augmentation actuelle de la production et de l'achat de noni vient d'un voyage en Chine en février, où j'accompagnais le Président. Avec Morinda nous sommes allés voir la province chinoise de Shaanxi de 30 million d'habitants, et on a signé un accord qui a ouvert ce marché à Morinda. Mais je reste prudent, il a eu beaucoup de champs de noni qui ont été plantés et sont aujourd'hui abandonnés, la production a été perdue. Mais grâce à ces nouveaux marchés les champs commencent à être nettoyés."

Et concernant les autres projets de l'ancien ministre, son successeur n'est pas tendre : "on a tenté ces expériences mais ça n'a jamais marché. Je veux qu'il y ait des actionnaires sérieux et des études de faisabilité qui tiennent la route derrière les projets. Je ne fais que rectifier les erreurs qu'il a laissé…"


Polémiques sur la validité scientifique des bienfaits du noni

Le jus de noni est présenté dans les sites de santé, les blogs promouvant les remèdes naturels et par les vendeurs les moins scrupuleux de Morinda et de ses concurrents comme un remède pratiquement miraculeux et universel. À en croire ces sources peu fiables, il guérirait entre autres l'arthrite, le cancer, le cholestérol, le SIDA, le diabète, l'obésité et même les problèmes d'érection. Des affirmations outrancières, et du coup tout un contre-courant sceptique a émergé pour dénoncer le noni comme "une arnaque" basée sur des croyances "new age" infondées.

La vérité est entre les deux. Le plus grand handicap du noni est la façon dont il est arrivé dans la lumière des projecteurs. La première étude sur le sujet, celle qui a lancé toute la machine, a été écrite par le chimiste Ralph Heinicke et publiée en 1985 dans un journal non scientifique, le "Pacific tropical botanical garden bulletin". Le chimiste affirmait avoir identifié dans le noni les précurseurs d'une molécule nommée "xeronine" aux vertus très larges pour le corps humain. Sauf que depuis cette publication il y a 30 ans, aucun autre chercheur ne reparle de cette molécule et de son rôle sensément vital pour notre organisme… Mais des sites de santé et les vendeurs de noni continuent de la vanter. Tahitian Noni International a même dû signer un accord extra-judiciaire (avec paiement d'indemnités) en 1998 aux États-Unis pour s'engager à arrêter de vanter les propriétés médicinales non-prouvées du noni.

Mais depuis, les scientifiques se sont intéressés à la plante et ses vertus médicales sont testées par de nombreux laboratoires. Des publications récentes font ainsi état (presque exclusivement chez les souris ou in vitro) de vraies propriétés antidouleur, anti-inflammatoires, d'aide au soin des blessures et même de promotion du système immunitaire, identifiant des dizaines de molécules actives dans ses feuilles, racines et fruits. Des propriétés anti-cancer sont aussi avérées, mais seulement à très forte doses. Par contre, la recherche montre que la consommation excessive de jus de noni pur est très dangereuse pour la santé…

En conclusion, le noni semble effectivement avoir de nombreuses applications médicinales. Les Tahitiens qui utilisent le nono dans de nombreux ra'au tahiti n'en doutaient pas une seconde. Mais lui prêter le pouvoir de guérir le cancer, l'obésité ou le SIDA est abusif en l'absence de vrais essais cliniques.

Malgré tout, ces nouvelles études qui émergent depuis une demi-douzaine d'années peuvent participer au retour en grâce du fruit, ces résultats très encourageants faisant oublier les débuts sulfureux de la recherche sur le noni…

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Vendredi 18 Septembre 2015 à 08:40 | Lu 2877 fois