Le fret aérien à saturation


Tahiti, le 22 février 2021 - Réduits à deux vols par semaine, les importateurs peinent à trouver de la place dans les avions. Si les prix du fret sont encore absorbables, ils redoutent à la longue une reproduction du scénario vécu sous le confinement. Soit un mécanisme qui fait monter les enchères, au point de les contraindre de choisir entre sacrifier leur marge ou répercuter la hausse sur le prix de vente.
 
Alors que le Covid-19 continue de vider les avions de leurs passagers, les appareils font le plein de fret en soute. Réduites à un vol par semaine et uniquement vers Paris-Charles de Gaulle –avec escale à Vancouver pour Air France– les compagnies aériennes trouvent encore un peu d'air avec l'activité cargo. Pas de quoi compenser les pertes abyssales, mais c'est toujours ça de pris. "Le fret a soutenu le reste de l'activité. Rapportés au nombre de vols, les volumes ont fortement augmenté et ça représente une part importante aujourd'hui de nos flux qui sont extrêmement limités" reconnaît le directeur régional d'Air France, Lionel Rault.
 
Dans ce contexte, difficile de faire de la place pour tout le monde. "Tu ne fais pas un vol uniquement avec du fret, à moins de multiplier les prix par cinq, ironise le P-dg d'ATN, Michel Monvoisin. La problématique du fret, c'est qu'il n'y a pas assez de capacité pour les importateurs." Et pour cause, la compagnie au tiare se contente d'une fréquence par semaine (sur Paris-Charles de Gaulle) là où en basse saison, elle en avait trois sur Paris, une par jour sur Los Angeles, trois sur la Nouvelle-Zélande et deux sur le Japon.
 
Alors forcément, ça coince. Mais pas assez pour faire décoller les prix du fret selon le responsable. Notamment parce qu'Air France et French bee –une fréquence tous les 15 jours– desservent encore le fenua, permettant de faire jouer un zest de concurrence. "Ce qui peut tirer les prix vers le haut, ce sont les transbordements, ajoute le responsable. Là où les importateurs faisaient du Auckland-Papeete, pour faire venir du matériel de Nouvelle-Zélande, maintenant ils doivent passer par Paris pour venir à Papeete, ça rallonge la facture."
 
"Le prix au kilo avait presque doublé"
 
Avec entre 5 à 7 tonnes de fret par vol à l'arrivée à Papeete, la compagnie tricolore assure encore pouvoir répondre à la demande au départ de Paris. "On ne priorise pas tant que ça, on a la capacité de presque tout absorber" rassure Lionel Rault. Mais à quel prix ? Le directeur assure qu'aucune augmentation tarifaire n'a été appliquée au départ de Papeete. Quant au départ de Paris, les tarifications ne sont pas connues de l'agence régionale, celles-ci étant "gérées par le marché France" justifie le directeur. Il n'empêche que la branche cargo du groupe Air France-KLM a terminé l'année 2020 avec un chiffre d'affaires en hausse.
 
Les importateurs le savent et redoutent une envolée des coûts, soumis à la loi de l'offre et de la demande. "Il y a de fortes chances pour que le fret aérien en provenance d'Europe augmente. C'est ce qu'on avait constaté pour les mêmes raisons pendant le confinement, avec des hausses assez sensibles, rappelle Teva Janicaud, directeur de Ivea, revendeur de la marque Apple. De mémoire, à l'époque, on pouvait approcher les 20 euros le kilo, ce qui veut dire que le prix au kilo avait presque doublé".
 
Mais comme pour le fret maritime, l'impact du coût du fret aérien varie considérablement selon l'encombrement, la valeur ajoutée et le niveau de gamme des produits. À cela s'ajoutent les surcoûts liés aux ruptures dans les chaînes d'approvisionnement et la capacité d'absorption des marges des distributeurs. "Soit on écrase nos marges, soit on répercute sur le prix de vente et ce n'est pas bon non plus" résume le responsable.
 
Des entreprises déjà endettées
 
Ainsi, pour un ordinateur ou un smartphone –petite taille mais forte valeur ajoutée– la hausse constaté depuis la fermeture des frontières s'élève à environ 5%. "Pour le moment, on a décidé de ne pas la répercuter, rassure Teva Janicaud, parce que pour ce type de matériel, le fret se ressent beaucoup moins". N'ayant pas tous la même structure de prix, les importateurs ne sont pas tous à la même enseigne. Ainsi, le poids du fret aura une plus grosse incidence sur les produits frais comme le fromage, la charcuterie et de manière générale, les marchandises périssables.
 
"Aujourd'hui c'est encore absorbable. Mais si les prix du fret devaient continuer à augmenter à 30 ou 40%, il n'y aurait presque plus de fret avion parce que les coûts seront devenus rédhibitoires, craint Gérard Burlats, secrétaire général de la Fédération générale du commerce. Une partie des produits frais avec des dates de péremption –qui ne peuvent pas se permettre de venir par bateau– n'arriverait plus".

Pas de doute pour le secrétaire général, la situation est "suffisamment inquiétante" pour alerter les pouvoirs publics : "Si ça dure, vous comprenez bien qu'il y aura un impact direct sur les prix. Compte tenu du fait que les droits de douane sont assis sur la valeur CAF [coût, assurance, frêt, ndlr], toute augmentation du fret implique obligatoirement une augmentation du prix de revient."
 
Or, la situation d'une majorité d'entreprises ne leur permet plus de sacrifier leur marge. "Une grosse partie des entreprises est déjà endettée, elles bénéficient des prêts garantis par l'État, mais ces prêts, il faut les rembourser, rappelle Gérard Burlats. À un moment donné, c'est l'entonnoir".
 

Priorité au sanitaire et au périssable

Crise sanitaire oblige, les équipements sanitaires sont prioritaires sur ATN, suivis de près par les marchandises périssables. Ce qui laisse peu de place aux colis postaux. Et comme la Poste française n'a pas de priorité d'embarquement, elle a décidé la semaine dernière de n'expédier que les lettres et les petits paquets par voie aérienne vers la Polynésie. "La Poste ne trouve plus assez de capacité auprès des compagnies aériennes pour charger tout le flux postal vers la Polynésie" indique Teihotu Arles, responsable des centres de tri de l'OPT. Désormais expédiés par bateau, les colis mettront au moins 10 semaines à rejoindre les rives du fenua. Pour autant ,la France n'a pas prévu d'augmenter, ni de baisser, les tarifs d'expédition des colis.
Le départ du prochain conteneur de marchandises postales vers la Polynésie n'est d'ailleurs pas encore connu. Selon le responsable du centre de tri, il devrait être finalisé la semaine prochaine et expédié par le prochain bateau.
 

Rédigé par Esther Cunéo le Mardi 23 Février 2021 à 16:22 | Lu 6896 fois