Les projecteurs sont braqués sur les tatamis. Je sens les caméras et les regards fixés sur nous. Le silence qui précède l’agitation du public. Ce soir, c’est la rencontre finale de l’année. Il ne reste plus que mon adversaire et moi à départager, pour déterminer la championne de Polynésie, toutes catégories confondues.
L’attente est un peu longue, mais les finales des autres se sont éternisées. À presque vingt-deux heures, la sensation de faim et de fatigue ont fini par disparaître. L’arbitre, dans le coin, règle les derniers détails avec l’organisateur. Je laisse alors mon esprit se promener dans mon histoire sportive.
Je n’ai pas toujours été athlétique. Il y a cinq ans à peine j’étais encore en surpoids, sans ambition particulière, autre que de finir mes études tranquillement, entrer dans le monde du travail, et pouvoir sortir le weekend comme je veux à mes frais plutôt qu’à ceux de mes parents.
Durant mon retour au fenua pour les vacances, j’entendais les nouvelles sportives passer à la radio. Au fil des jours, j’apprenais que notre championne locale de jiu-jitsu franchissait les huitièmes, puis les quarts, puis la demi-finale. L’information a chatouillé ma curiosité, j’ai regardé ses combats passer en direct à la télévision. J’ai tout de suite été scotchée. Par son allure d’héroïne dans son kimono. Par son regard déterminé. Par son engagement dans ses matchs, son évolution jusqu’en finale, pour décrocher l’or des Championnats du monde !
L’envie de vivre moi-même une détermination similaire m’a tout de suite poussée à m’inscrire dans une salle de jiu-jitsu, une fois retournée en France pour poursuivre mes études. Au fil des entraînements et des années, j’ai enchaîné les combats et progressé comme une dingue. Je restais obsédée par ce feu dans le regard de mon héroïne, que je voulais faire mien. Un jour, pour m’aider à me préparer pour une échéance internationale, elle avait accepté de venir m’entraîner le temps d’une session. J’ai eu droit à un partage d’expérience incroyable, et j’ai pu remporter l’or de ma compétition en gardant ses conseils en tête.
L’attente prend fin. L’arbitre se place au centre de la scène. Il nous fait signe d’entrer dans la zone de combat. Comme ma finaliste, je salue les tatamis avant de poser les pieds dessus. Le silence cède à l’euphorie du public. Nos noms respectifs sont criés de partout, mais ça y est, mon esprit a créé sa bulle, où tout est silencieux et clair, je suis prête à combattre.
J’avance lentement pour aller au centre, laissant par politesse la priorité à ma finaliste. Je serre à mon tour la main de l’arbitre. Puis dirige enfin mon regard vers Elle. Je lui tends la main et lui esquisse un sourire qu’elle me rend à peine, elle est plus concentrée que moi. L’échange de regard n’a duré qu’un instant. Quelle vie ! Me voilà face à cette immense championne que j’ai admirée toutes ces années. Le feu dans les yeux, je m’apprête à affronter mon héroïne. L’arbitre lance le combat. C’est parti.
Anuihina Yee
L’attente est un peu longue, mais les finales des autres se sont éternisées. À presque vingt-deux heures, la sensation de faim et de fatigue ont fini par disparaître. L’arbitre, dans le coin, règle les derniers détails avec l’organisateur. Je laisse alors mon esprit se promener dans mon histoire sportive.
Je n’ai pas toujours été athlétique. Il y a cinq ans à peine j’étais encore en surpoids, sans ambition particulière, autre que de finir mes études tranquillement, entrer dans le monde du travail, et pouvoir sortir le weekend comme je veux à mes frais plutôt qu’à ceux de mes parents.
Durant mon retour au fenua pour les vacances, j’entendais les nouvelles sportives passer à la radio. Au fil des jours, j’apprenais que notre championne locale de jiu-jitsu franchissait les huitièmes, puis les quarts, puis la demi-finale. L’information a chatouillé ma curiosité, j’ai regardé ses combats passer en direct à la télévision. J’ai tout de suite été scotchée. Par son allure d’héroïne dans son kimono. Par son regard déterminé. Par son engagement dans ses matchs, son évolution jusqu’en finale, pour décrocher l’or des Championnats du monde !
L’envie de vivre moi-même une détermination similaire m’a tout de suite poussée à m’inscrire dans une salle de jiu-jitsu, une fois retournée en France pour poursuivre mes études. Au fil des entraînements et des années, j’ai enchaîné les combats et progressé comme une dingue. Je restais obsédée par ce feu dans le regard de mon héroïne, que je voulais faire mien. Un jour, pour m’aider à me préparer pour une échéance internationale, elle avait accepté de venir m’entraîner le temps d’une session. J’ai eu droit à un partage d’expérience incroyable, et j’ai pu remporter l’or de ma compétition en gardant ses conseils en tête.
L’attente prend fin. L’arbitre se place au centre de la scène. Il nous fait signe d’entrer dans la zone de combat. Comme ma finaliste, je salue les tatamis avant de poser les pieds dessus. Le silence cède à l’euphorie du public. Nos noms respectifs sont criés de partout, mais ça y est, mon esprit a créé sa bulle, où tout est silencieux et clair, je suis prête à combattre.
J’avance lentement pour aller au centre, laissant par politesse la priorité à ma finaliste. Je serre à mon tour la main de l’arbitre. Puis dirige enfin mon regard vers Elle. Je lui tends la main et lui esquisse un sourire qu’elle me rend à peine, elle est plus concentrée que moi. L’échange de regard n’a duré qu’un instant. Quelle vie ! Me voilà face à cette immense championne que j’ai admirée toutes ces années. Le feu dans les yeux, je m’apprête à affronter mon héroïne. L’arbitre lance le combat. C’est parti.
Anuihina Yee