Le fenua cobaye du cannabis thérapeutique ?


Tahiti, le 17 février 2020 - Le député polynésien, Moetai Brotherson, a reçu une note manuscrite du nouveau ministre de la Santé, Olivier Véran, favorable “sur le principe” à la participation de la Polynésie française à l'expérimentation du cannabis thérapeutique.

Le député polynésien à l'Assemblée nationale, Moetai Brotherson a saisi hier par écrit le nouveau ministre de la Santé, Olivier Véran. Il lui a proposé l'extension de l'expérimentation du cannabis thérapeutique à la Polynésie française. Le successeur d'Agnès Buzyn lui a répondu via une note manuscrite : “On va juste évaluer combien de bénéficiaires potentiels parmi les 5 indications retenues pour l'expérimentation. Mais sur le principe, bien sûr…”
Moetai Brotherson explique ces projets à venir sur les réseaux sociaux : “Je vais maintenant travailler avec son cabinet, avec L'Arass [Agence de régulation de l'action sanitaire et sociale, ndlr] et le ministère de la Santé de Polynésie sur les détails de cette extension.”

Le nombre de Polynésiens concernés

La première étape pour essayer le cannabis thérapeutique en Polynésie concerne le nombre de personnes qui prendront part à cette expérimentation. En métropole, l'expérimentation doit concerner 3 000 patients qui souffrent de maladies graves comme certaines formes d'épilepsie, de douleurs neuropathiques, d'effets secondaires de chimiothérapie, de soins palliatifs ou de sclérose en plaques, qui peuvent être soulagées par le cannabis thérapeutique. Ainsi, chaque groupe de pathologies regroupe 600 personnes témoins.
Si on étend cette expérimentation à la Polynésie, il reste à réfléchir sur le nombre de malades polynésiens que l'on va inclure. Le député polynésien explique : “Moi, j'estime qu'il faudrait au moins une personne par pathologie a minima. Evidemment, plus on pourrait en avoir, mieux ce serait, mais cela fait partie des détails dont il faut discuter.”

Un centre médical de référence

La deuxième étape technique de cette extension concerne le choix d'un centre médical de référence. Il s'agit d'un établissement médical qui a été choisi dans le cadre de l'expérimentation, et qui a un personnel spécialiste des différentes pathologies. A ce jour, la Polynésie ne possède aucun centre médical de référence. Selon Moetai Brotherson, “il faudrait entamer un dialogue entre les ministères de la Santé polynésien et métropolitain pour définir quel centre médical sera proposé en tant que centre de référence”. Si un centre de référence est choisi, des médecins devront être volontaires pour faire partie de l'expérimentation. Ce ne sera qu'une fois que suffisamment de médecins seront rattachés au centre médical de référence polynésien, que les malades pourront candidater.

Pour être candidat, il faut être rattaché à un médecin du centre de référence. A partir du mois de septembre, les malades recevront leurs premiers médicaments.

Des médicaments en bonne et due forme

Les médicaments qui seront prescrits aux malades sont encadrés juridiquement. Ils présenteront tous soit une autorisation de mise sur le marché, soit une autorisation temporaire d'utilisation. La liste des médicaments sera validée par l'Agence nationale de la santé et des médicaments (ANSM). Cela exclut donc les produits artisanaux fabriqués localement, tels que le monoi au cannabis.

Cependant, les décisions ne dépendront pas simplement de la métropole. La législation de 1978 qui concerne les substances vénéneuses propre à la Polynésie devra être modifiée, puisqu'elle interdit d'importer des médicaments qui seront utilisés dans l'expérimentation en Polynésie.

En septembre dernier, le conseil des ministres avait proposé de faire évoluer la réglementation actuelle pour pouvoir réglementer l'utilisation thérapeutique du cannabis sous forme de médicament. La rédaction de ce texte a été confiée à l'Arass et est en cours de réalisation.

Moetai Brotherson, Député polynésien à l'Assemblée nationale

“On parle de médicaments, pas de quelque chose que l'on produit dans son jardin”
 

Quelles perspectives cette expérimentation ouvre-t-elle pour la Polynésie ?
“L'expérimentation devrait durer jusqu'en 2022, mais il faut déjà se préoccuper de l'après. Je le dis à regret car j'aimerais éviter cela, mais c'est ce qui se profile. Vu qu'en Polynésie tout pousse super bien et qu'on a des gens qui savent très bien le cultiver, ce que j'aimerais éviter, c'est que quand le cannabis thérapeutique sera légalisé, on soit obligé d'importer soit du cannabis, soit des produits à base de cannabis parce que les conditions de production locale ne seront pas aux normes exigées par le cadre réglementaire de la légalisation après l'expérimentation. C'est aujourd'hui ce vers quoi on se profile. On parle de médicaments, pas de quelque chose que l'on produit dans son jardin. Il y a des normes de fabrications qui sont pour l'instant hors de portée des artisans locaux.”
 
La Polynésie pourra-t-elle se positionner sur d'autres modes de production ?
“Si on veut proposer des alternatives à cet accaparement du secteur par de grands acteurs en dehors de la Polynésie, il faut arriver à comprendre comment eux fonctionnent. Par exemple, en Uruguay, ils ont des Cannabis Social Club. Il s'agit d'une association qui est enregistrée auprès du ministère de la Santé en tant que telle. Elle peut avoir un maximum de 40 membres qui peuvent mettre leurs ressources en commun. Ils ont une adhésion mensuelle et ils peuvent bénéficier des plantations communes et des transformations de produits qui sont garantis par l'association. Les membres viennent donc s'approvisionner dans ces Cannabis Social Club et pas ailleurs. Ce pourrait être un modèle compatible avec le fenua.”

Rédigé par Ariitaimai Amary le Lundi 17 Février 2020 à 16:25 | Lu 5162 fois