Le confinement en "ultime" recours


Tahiti, le 30 octobre 2020 - Pas de reconfinement "à ce stade" ont confirmé les autorités lors du point presse Etat-Pays ce matin, mais des mesures supplémentaires assorties de contrôles renforcés. "Ultime" recours, un nouveau confinement "ferait basculer notre territoire vers une crise socio-économique durable" et ne s'imposera que "si nos capacités de soin arrivent à saturation."  Pour ne pas en arriver là, les autorités misent sur la "responsabilité individuelle" appelant tout un chacun à "se sentir concerné" et à "limiter les contacts."
 
Faut-il reconfiner ? A cette grande question sur toutes les lèvres, les pouvoirs publics sont restés constants, affichant clairement à plusieurs reprises leur intention de ne pas remettre le pays sous cloche. Ce qui marquerait « l’échec du couvre-feu ». Ce matin lors de l’allocution conjointe  Etat-Pays, Dominique Sorain et Edouard Fritch ont confirmé cette décision. Dans une « démarche commune », ils ont effectivement demandé à ce que la Polynésie n’intègre pas, « à ce stade », le dispositif de reconfinement national. « Nous attendons encore quelques jours pour bien évaluer l’efficacité des mesures prises il y a une semaine », justifie Edouard Fritch, dont le couvre-feu, réclamé unanimement par les maires.

« Assurer la santé des Polynésiens » d’un côté « tout en maintenant une activité économique sur le territoire » de l’autre : « Nous sommes sur une ligne de crête » résume Dominique Sorain, considérant le confinement comme le dernier recours, « l’ultime étape ». « L’effondrement du tourisme a déjà provoqué une baisse prévisible de plus de 10% de notre produit intérieur brut. 4 000 emplois ont déjà été détruits » déplore le haut-commissaire.
 
Au 4e rang des « taux d’infections les plus hauts du monde »

Des chiffres noirs qui ont conduit les autorités « à ne pas choisir le confinement pour faire en sorte que la vie socio-économique continue et que les écoles fonctionnent avec toutes les précautions nécessaires ». Le risque d’une « catastrophe économique et sociale pour tous les Polynésiens » est trop grand pour Edouard Fritch : « Je ne souhaite pas que des familles entières se retrouvent dans la misère à cause de notre indiscipline et de notre incapacité à arrêter la propagation d’un virus ».

Reste que, du propre aveu du président, la Polynésie s’est propulsée en l’espace de quelques semaines au 4e rang des « taux d’infections les plus hauts du monde ». Preuve que « nous n’avons pas su nous protéger et protéger les autres ». Sans vouloir pour autant « accabler qui que ce soit », le président invite à « lutter ensemble contre cette épidémie », déplorant de découvrir encore sur les réseaux sociaux des projets de rassemblements festifs en tout genre. « Je vous le dis, il vaut mieux faire des efforts pour sauver son emploi que de se laisser tenter par une fête ou un rassemblement qui va tourner en contamination » souligne le président. « Reportons les fêtes familiales et amicales » abonde à son tour le haut-commissaire.
 
Douze infirmières de la réserve nationale en renfort
 
Si la population est invitée à redoubler de vigilance, l'hexagone pour sa part renforce son soutien : 30 respirateurs supplémentaires ont été reçus et 12 infirmières de la réserve sanitaire nationale viendront en renfort du CHPF la semaine prochaine. Une mission du service de santé des armées est également attendue dès demain pour « évaluer les conditions d’un renfort supplémentaire à l’hôpital. »

Masques, tests, respirateurs, combinaisons, thermomètres frontaux… Enumérant lui aussi l’ampleur des moyens déployés en équipement et les capacités sanitaires mobilisées, Edouard Fritch a cependant reconnu que « lorsque nos moyens publics seront saturés, alors nous n’aurons pas d’autre choix que de demander le confinement de Tahiti et de Moorea. »
 
Il faudra donc attendre d'être au bord de la saturation pour déclencher un nouveau confinement, qui provoquerait « un effondrement des entreprises » à commencer par « la fermeture des hôtels et des pensions de famille avec les répercussions sur tous les sous-traitants. » C'est là que les pouvoirs publics placent le curseur entre bénéfice sanitaire et risque économique.

Une stratégie qui n'est pas sans risque (lire encadré), mais que les autorités justifient par des mesures « fortes » destinées à réduire encore les rassemblements et durcir le dispositif. « On est pas très loin d'un confinement au final » commente le haut-commissaire. A la longue liste des établissements qui devront rester fermés sur Tahiti et Moorea s’ajoutent les salles des fêtes, de conférence, ou de réunion. « Par ailleurs, la présence aux enterrements dans les cimetières sera limitée à 30 personnes » ajoute le haut-commissaire, précisant avoir épuisé presque tout l’arsenal juridique disponible.

« Reporter les déplacements dans les îles »

Pas de restrictions en revanche sur les déplacements dans les îles, mais une invitation à « différer lorsque c’est possible. » Plus question donc de « patriotisme polynésien » pour « voyager local ». Le slogan de reprise cher à Nicole Bouteau, ministre du Tourisme semble déjà bien loin.

En revanche, le haut-commissaire et le président Fritch ont multiplié les appels à la « responsabilité individuelle » de tout un chacun pour faire front. « Lutter contre le virus c’est protéger votre santé, mais aussi vos emplois » rappelle le haut-commissaire, citant le président de la République : « on ne peut pas opposer la santé à l’économie. » « Il faut que chacun d’entre nous se sente concerné » assène-t-il, appelant à « limiter les contacts », moyen encore le plus efficace pour casser la chaîne de transmission. « J’appelle et je supplie chaque Polynésien et chaque Polynésienne à se protéger et à protéger leurs proches » implore pour finir le président, invoquant la prise de conscience de tout un chacun. Reste à savoir si le message sera reçu.
 

Une stratégie à contre-courant de l'Europe

A l’exception de la Martinique, « le virus circule moins vite dans les départements et territoires d’outre-mer », a précisé le Premier ministre, Jean Castex pour justifier le confinement de l'île. Une affirmation étonnante lorsqu’on sait qu’à Tahiti et Moorea, le taux d’incidence atteint 884 cas pour 100 000 habitants, soit quatre fois plus que la Martinique et ses 205 cas pour 100 000 habitants. L’île compte notamment un taux d’occupation de son service de réanimation (54%) équivalent au notre.

Interrogé sur la stratégie de la Polynésie, à contre-courant de nombreux pays en Europe, le haut-commissaire a rappelé que « les capacités de soins ne sont pas saturées aujourd’hui sur le territoire, c’est pourquoi nous avons fait ce choix d’aller jusqu’au bout de cette logique », soit « utiliser tous les outils possibles » pour éviter un confinement, qui provoquerait « une crise sociale sans précédent, du chômage et une augmentation de la pauvreté ». « C’est pour ça que nous avons pris des mesures très fortes ». « Si on n’y arrive pas, à ce moment-là oui, il faudra confiner. »

Dans ce contexte, les outils d’appui aux entreprises seront bien sûr prolongés. « Le fonds de solidarité pour les petites et moyennes entreprises a permis de verser 4,4 milliard francs. Près de 800 entreprises ont déjà bénéficié de 50 milliards de prêts garantis par l’Etat » rappelle le haut-commissaire. 
 

Des mesures sanitaires renforcées

Les mesures sanitaires applicables sur le territoire depuis le mois d’août et renforcées en octobre s’appliquent sur l’ensemble du territoire :
  L’interdiction des rassemblements de plus de 6 personnes sur la voie publique et dans tout lieu ouvert au public sauf exceptions ; L’interdiction des évènements festifs, familiaux, ou amicaux dans les établissements de type salles des fêtes, chapiteaux, tentes, ainsi que sur les embarcations dites « pirogues à bringue » et assimilés ; L’interdiction d’organiser des loteries (bingos) et des combats de coqs ; La fermeture des discothèques et des boîtes de nuit ; Le port du masque obligatoire dans les lieux clos et les établissements recevant du public ainsi que dans les parcs et centre-ville ; La tenue des compétitions sportives sans public ; La réduction de 50 % de la capacité des établissements sportifs ; Le respect de mesures sanitaires strictes dans les restaurants ; La limitation des groupes à 10 personnes lors des veillées funéraires.
 

Rédigé par Esther Cunéo le Vendredi 30 Octobre 2020 à 17:46 | Lu 4784 fois