Le colonel Caudrelier "pessimiste" pour l'avenir de la Polynésie française


Le colonel Pierre Caudrelier au pupitre pour un discours ancré dans la réalité, vendredi à l'occasion de la célébration de Sainte-Geneviève, patronne des gendarmes.
PAPEETE, le 28 janvier 2017 - Le commandant de la gendarmerie pour la Polynésie française a tenu à tirer quelques sonnettes d'alarme à l'occasion de la célébration annuelle de la Sainte-Geneviève, patronne des gendarmes, vendredi à la paroisse du Sacré-Cœur de Arue.


Chaque année, il est de tradition pour le commandement de la gendarmerie pour la Polynésie française de célébrer la fête de Sainte-Geneviève, patronne des gendarmes, en présence de nombreuses autorités civiles, militaires et religieuses. Moment de partage et de communion pour l'ensemble des personnels de la gendarmerie et leurs familles, la Sainte-Geneviève offre aussi une tribune à leur commandant. Et cette année, le colonel Pierre Caudrelier n'a pas fait dans l'angélisme : "Non, la Polynésie française n'est pas un havre de paix. Non, la typologie de la délinquance ne se limite pas à des faits bénins qui justifierait une certaine tolérance des autorités ou une indifférence de la population".

Croissance et banalisation de la consommation de drogues, omniprésence de l'alcool, jeunesse en perte de repères, danger de la corruption des élus et des acteurs socio-économiques, le colonel Caudrelier a livré sa "vision des choses", "pas partagée par tout le monde, par ignorance et aussi parce que cela dérange de regarder les choses en face", "celle d'un observateur de premier ordre des turpitudes polynésiennes (…) qui, se fixant des objectifs en matière de lutte contre la délinquance, discerne de mieux en mieux le visage véritable de ce cancer qui ronge la Polynésie".

Une jeunesse en danger

"Une partie de la jeunesse est délaissée par des parents incapables de percevoir leur dangereuse dérive vers la délinquance, il est patent que les mineurs tiennent une place de plus en plus grande dans les statistiques de la délinquance sous toutes ses formes", constate le patron de la gendarmerie au fenua. "Cette évolution est si nette que le doute n'existe pas". Des mineurs qui sont aussi victimes, notamment de violences sexuelles, et "continuent d'occuper à temps plein la brigade de prévention de la délinquance juvénile avec environ 250 signalements annuels, sorte de record sordide dont la Polynésie ne peut s'enorgueillir de détenir".

"Qu'un processus d'auto-défense se mette en place au profit des enfants du fenua, contre les dangers des drogues, de l'alcool et de la violence", prévient le colonel Caudrelier. "Sans un tel sursaut, la Polynésie ne sera pas en mesure de relever les défis de l'avenir (…) Car aujourd'hui, l'action de la gendarmerie atteint ses limites, comme en attestent certains indicateurs de l'année 2016".

L'ice, une gangrène

La banalisation du pakalolo, "considéré comme un produit de subsistance" mais en réalité "un produit d'appel qui génère des fonds souvent réinvestis dans une drogue bien plus dangereuse, l'ice importé des Etats-Unis", inquiète le haut gradé au plus haut point : "Le trafic d'ice devient une véritable menace pour la santé publique en Polynésie, tant ses effets sont destructeurs et tant l'addiction qu'il provoque conduit les consommateurs à une déchéance et à une désocialisation totale. Les quantités importées peuvent être évaluées à plusieurs kilos, voire plusieurs dizaines de kilos par an, quantité considérable à l'échelle d'une population de seulement 260 000 habitants. Ce trafic génère des dividendes considérables à la revente, eux-mêmes réinvestis dans l'économie locale. Le danger d'une déstabilisation de toute la société existe et ne doit pas être négligé. Pourtant, sa diffusion n'est pas confidentielle en Polynésie, elle est un secret de polichinelle dans ce village où tout le monde sait tout sur tout le monde".

L'affaire de tous

Le commandant de la gendarmerie va même plus loin, évoquant "le danger de la corruption" qui outre les élus, "affecte déjà des acteurs socio-économiques très divers, qui contribuent souvent passivement, parfois activement, à la captation puis à la dissolution de l'argent sale dans l'économie" : "L'argent que produit le trafic d'ice irrigue le marché de l'automobile, il se blanchit dans les banques locales, il se réinvestit dans l'immobilier et les activités commerciales. Mais il pervertit aussi ceux qui, par appât du gain, par solidarité familiale, parfois par indifférence, tournent la tête là où il faudrait refuser une complicité active ou passive". "Les gains générés sont tels que nous ne pouvons qu'imaginer une aggravation de la situation, quelle que soit l'efficience de nos enquêteurs et quels que soit les efforts de prévention", relève le colonel.

Le colonel Caudrelier qui appelle de ses vœux la population locale dans son ensemble et "les forces vives de cette Polynésie endormie sur ses certitudes" à une réaction rapide : "Ce qui couve ici, c'est l'échec de la jeune génération, celle qui fera l'avenir de la Polynésie. C'est la perversion de l'argent facile, de la corruption rampante d'une minorité qui enfle. Il s'agit d'un enjeu de société dont peu de monde a conscience ici. Ce n'est pas du catastrophisme que de pronostiquer une dégradation sensible et déjà perceptible à travers ces quelques symptômes bien marqués".

Les autorités civiles et militaires étaient conviées à la cérémonie œcuménique en la paroisse du Sacré-Cœur de Arue

La traditionnelle messe a précédé un discours sans angélisme où le patron des gendarmes en Polynésie française a livré sa vision des dangers qui menacent la société polynésienne.

La lecture du "Notre Père"


L'aumonier militaire et Mgr Jean-Pierre Cottanceau, archevêque du diocèse de Papeete



Rédigé par Raphaël Pierre le Samedi 28 Janvier 2017 à 13:28 | Lu 49314 fois