Le cheval "maltraité" ne va pas mieux


Manatea, anciennement nommé Django, est toujours aussi maigre et accumule les escarres et de nouvelles blessures aux boulets. Les habitués de l'hippodrome dénoncent un acharnement thérapeutique et demandent qu'on abrège ses souffrances, mais les bénévoles qui s'occupent de lui assurent qu'il va mieux et qu'il a encore la volonté de vivre.
PAPEETE, le 11 mai 2017 - Le cheval sauvé de la "maltraitance" en février dernier par des militants de la protection animale irait au plus mal, selon les habitués de l'hippodrome de Pirae, malgré les efforts de ses bienfaiteurs. En fait, l'animal souffrirait d'une malformation incurable et la question de son euthanasie suscite désormais des débats farouches entre le monde équestre polynésien et les bénévoles de la protection des animaux.

La générosité du public permet à Manatea d'avoir quatre soigneuses à son chevet
On dit que l'enfer est pavé de bonnes intentions, et le monde équestre affirme que nous sommes confrontés à un cas de ce genre. Souvenez-vous : en février dernier, les réseaux sociaux alertaient sur l'état déplorable d'un cheval extrêmement maigre nommé Django. Soupçonnant des maltraitances, des bénévoles engagés dans la protection des animaux avaient pris à partie l'opinion publique et mis en cause le propriétaire, allant jusqu'à menacer de déposer plainte. Des efforts qui ont abouti à la remise du cheval aux associations de protection des animaux et à sa prise en charge médicale par une chaîne de solidarité. Un processus d'une grande noblesse, montrant le cœur généreux du peuple polynésien.

Mais aujourd'hui, la situation est devenue plus complexe. Aucune plainte n'a été déposée et ce sont maintenant les professionnels du monde du cheval qui alertent l'opinion sur le sort de cet animal, que les associations ont renommé Manatea. Car malheureusement, trois mois après sa "libération", le cheval est toujours aussi maigre malgré les bons repas et les visites du vétérinaire. En fait, les professionnels du petit monde équestre tahitien dénoncent même ce qu'ils perçoivent comme de l'acharnement thérapeutique… commis par les associations de protection des animaux.

i["Ce cheval souffre et il n'y a rien à faire pour lui. Il avait été acheté pour faire des courses, mais il n'a jamais pu courir à cause de graves problèmes aux tendons. Il est resté en pâturage, mais cela ne s'arrange pas [...]. S'il grossit, ça le fait encore plus souffrir, donc il ne mange plus. Ce cheval, il faut "l'endormir" pour qu'il ne souffre plus",]i nous assure un habitué de hippodrome de Pirae qui tient à garder l'anonymat.

Un maréchal-ferrant qui a vu l'évolution de Django abonde dans ce sens : "Ce cheval est né avec un mauvais aplomb, c'est une malformation génétique. Avec son poids, au moins 250 kilos même s'il est maigre, il s'est affaissé avec le temps jusqu'à marcher sur les boulets. Même avec du ferrage on ne peut rien faire, il ne pourra plus jamais marcher normalement alors qu'un cheval a besoin de courir ! Il y a cinq ans, on le voyait à l'hippodrome et il était bien, mais aujourd'hui il a 22 ans, il est vieux. Un vieux, tu ne le feras pas grossir. Et les associations l'ont ramené de Tiarei, où il était dans un pré avec un sol mou où il pouvait s'allonger. Aujourd'hui, dans la terre dure, on voit qu'il a beaucoup d'escarres et de bobos, ce n'est pas bon pour lui. Il reste six heures par jour allongé, alors qu'un cheval ne se couche jamais plus de 40 minutes par jour. Il mange allongé ! Dans son état c'est de l'acharnement thérapeutique, il faut le laisser partir."

"ON NE LE FORCE À RIEN, ON NE LUI DONNE PAS DE MÉDICAMENTS, IL EST OÙ L'ACHARNEMENT ?"


Le cheval cherche encore la compagnie de ses congénères
Du côté des associations de protection des animaux, on se défend de ces accusations : "Ceux qui disent ça sont des gens qui ne l'ont jamais vu, qui n'ont jamais parlé avec le vétérinaire qui le suit depuis le début. Et on n'a jamais vu ces gens qui nous accusent d'acharnement, alors qu'on est à l'hippodrome cinq heures par jour. Ceux qui viennent le voir observent qu'il va bien" assure Alice, de l'association Eimeo Animara. "Ils ne savent pas ce qu'on fait pour lui, on est quatre personnes à être près de lui tous les jours. Nous, on se contente de le nourrir, de lui changer son eau et ses pansements, et c'est tout. On ne le gave pas de médicaments pour le garder en vie, alors que c'est ça de l'acharnement thérapeutique. On le laisse se lever et se balader comme il veut. Un cheval qui veut se laisser mourir, il ne se lèvera plus. Lui, il a toujours la volonté de vivre. Tous les jours il est debout pendant au moins huit heures. Il mange. Donc on ne le force à rien, on ne lui donne pas de médicaments, il est où l'acharnement ? Il a juste eu deux fois des antibiotiques, et deux fois des anti-inflammatoires. Mais lui, il a envie de vivre, il adore voir les autres chevaux. Il a fait des bisous à une pouliche cette semaine dans la clairière… Et il botte encore le soir quand il en a marre. Il n'est pas à l'agonie."

"JAMAIS NOUS NE LAISSERONS SOUFFRIR CE CHEVAL S'IL N'Y A PLUS AUCUNE CHANCE"

Mais les associations, malgré leurs espoirs de voir Manatea/Django se rétablir, assurent rester lucides sur l'état de l'animal et décidées à l'euthanasier si cela devient nécessaire : "Depuis trois semaines, ses boulets sont gonflés. On attend les résultats de la prise de sang, mais à l'heure où je vous parle, il y a encore une chance de le sauver. Il a un vétérinaire référent depuis le premier jour, on est quatre soigneuses à nous occuper de lui, et jamais nous ne laisserons souffrir ce cheval s'il n'y a plus aucune chance. Il y a trois semaines, il était au plus mal, et on a failli l'euthanasier avant de le voir s'améliorer. On l'aime trop pour le voir souffrir, on ne fait que l'accompagner. Si les résultats de l'analyse que nous aurons lundi sont mauvais, nous n'hésiterons pas."

On voit que l'euthanasie, même animale, est un sujet sensible. Ces dernières années, les efforts des bénévoles ont peu à peu fait évoluer l'opinion de la société polynésienne sur la maltraitance animale. Mais les amis des animaux se retrouvent cette fois face à un dilemme moral presque insoluble : le droit à la vie est-il plus important que le droit de mourir dignement ? Et contrairement au débat sur l'euthanasie humaine, cette fois personne ne peut se décharger sur le mourant de la responsabilité morale de ce choix déchirant...



Maltraitance ou pas ?
Outre le débat sur l'acharnement thérapeutique dont serait victime l'animal, une autre question agite le monde du cheval polynésien : Django/Manatea a-t-il été maltraité ? Pour les habitués de l'hippodrome de Pirae, l'ancien propriétaire de l'animal est un bon maître. "Ce gars, il aime les animaux, il a d'autres chevaux et il les traite très bien. Il avait acheté ce cheval pour la course, mais dès qu'on a vu qu'il avait un mauvais aplomb, on lui a dit qu'il ne pourrait jamais courir, donc il l'a amené au district. Mais il aime ce cheval, c'est pour ça qu'il ne voulait pas le tuer même quand il a commencé à aller mal. Mais Django n'a jamais été maltraité, il est juste très malade", nous affirme un cavalier qui côtoie Django depuis son arrivée à Tahiti.
Les associations, qui l'ont découvert au plus mal, ont une lecture différente. Alice, de Eimeo Animara, nous raconte comment "on l'a retrouvé affamé, il n'a jamais été aussi maigre. Il avait une infection généralisée sur la queue, il avait une blessure sous un sabot à cause de la corde qui l'attachait dans laquelle il s'était emmêlé, et aujourd'hui grâce à nos soins, il n'y a plus rien. Il a aussi eu des côtes cassées, on en voit les marques… Pour nous cet animal a été maltraité, et nous prévoyons toujours d'aller porter plainte. C'est pour ça qu'on a gardé son nouveau nom, Manatea, pour lui offrir une nouvelle vie."


Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Jeudi 11 Mai 2017 à 17:43 | Lu 50450 fois