Le Tapura demande à sanctionner Tapati


Tahiti, le 9 novembre 2023 – Les propos du pasteur-représentant Tavini, Mitema Tapati sur “la France qui noircit” alors “qu'ici, on blanchit” ne passent pas. En ouverture de la séance ce jeudi à l'assemblée, le Tapura, par la voix de Lana Tetuanui, a demandé au président de Tarahoi d'appliquer l'article 24 du règlement intérieur qui prévoit une exclusion temporaire contre tout élu qui tiendrait des “propos discriminatoires, racistes ou xénophobes”.
 
Rappel au règlement ! Lana Tetuanui lève la main pour demander la parole avant même que le débat sur les dossiers à l'ordre du jour de la séance ne commence. L'absence du Tapura pendant la désormais traditionnelle prière du représentant Tavini (et pasteur de l'Église protestante mā’ohi) Mitema Tapati à chaque ouverture de séance était un premier indice. En effet, la sénatrice et élue du Tapura Huiraatira fait donc un rappel au règlement pour demander au président de l'assemblée, Antony Géros, d'appliquer, “séance tenante”, les dispositions de l'article 24 du règlement intérieur de l'institution. Que dit cet article ? “L'exclusion temporaire est prononcée contre tout représentant qui a tenu des propos discriminatoires, racistes ou xénophobes (...)”.
 
En cause, les propos de Mitema Tapati en tahitien le 26 octobre lors du débat d'orientation budgétaire dans l'hémicycle : “Ua 'ite pau roa tātou i teie mahana ē, 'ua 'uo 'uo roa tō tātou fenua (...) Ere'erehia 'o Farāni, i 'ō nei, te 'uo'uo roa atu ra (...)”, traduit ainsi : “Nous le constatons aujourd'hui, notre pays a considérablement blanchi (...) alors que la France noircit, ici, on blanchit de plus en plus”. Des propos de cet élu de la majorité qui, malgré des interprétations divergentes, “sont clairs et ne souffrent d'aucune ambiguïté” pour Lana Tetuanui qui rappelle qu'en 2007, un autre élu de la majorité qui siège aujourd'hui à nouveau sur les bancs de Tarahoi – Ruben Teremate pour ne pas le citer – a été condamné par la justice pour “injures racistes” en comparant “les habitants des lotissements résidentiels de Punaauia à des bambous qui prolifèrent”. “Les propos de notre collègue Tapati étaient beaucoup moins métaphoriques”, a estimé Lana Tetuanui avant de demander à Antony Géros de lancer la procédure disciplinaire prévue par le règlement intérieur.
 
Géros : “On ne peut plus rien dire ?”
 
Depuis son perchoir, le président de l'assemblée demande si elle a terminé et passe à l'examen de l'ordre du jour. “On attend votre réponse président”, lui a lancé Lana Tetuanui. “On a toute la séance pour répondre”, lui a rétorqué Antony Géros en entamant le débat sur le collectif budgétaire. Ni une, ni deux. Tous les élus du groupe Tapura se sont levés et ont quitté l'hémicycle.
 
Une suspension de séance arrive peu après pour inaugurer le salon des artisans des Tuamotu-Gambier. Interrogé à ce moment-là par la presse, Antony Géros finit par répondre : “J'attends qu'elle (Lana Tetuanui, NDLR) vienne en séance pour s'expliquer. Ensuite, on ouvrira le débat contradictoire”. Sauf qu'il aurait pu ouvrir ce débat contradictoire juste après avoir été interpellé par la sénatrice, mais il ne l'a pas fait. “Nous sommes des hommes politiques. Ça veut dire quoi ? Qu'on ne peut plus rien dire ? On ne peut pas dire “blanc” parce que c'est peut-être des propos xénophobes ? Il ne faut pas dire “noir” parce que ça peut être des propos xénophobes”, a-t-il poursuivi, expliquant avoir relu le procès-verbal (PV) de cette séance du 26 octobre et qu'il n'y voit aucunement “des propos de nature xénophobe”. “Il faisait juste une comparaison sur le fait qu'en France, il y a plus de Noirs que de Blancs, et qu'en Polynésie maintenant, il y a plus de Blancs que de Noirs, c'est tout. Vous voyez des propos xénophobes ? Peut-être en français, mais en tahitien, la façon dont il l'a dit, ce n'est pas du tout le cas”.
 
AHIP défend Tapati et fustige le Tapura
 
Un sentiment partagé d'ailleurs par les élus de A Here ia Porinetia qui estiment que les propos du pasteur-représentant Tapati ont été “mal interprétés”. Pour Nicole Sanquer, qui a été “insultée par le président” (Édouard Fritch, NDLR) à l'époque et même “menacée physiquement par Lana Tetuanui”, c'est un peu l'hôpital qui se moque de la charité. Cette sortie du Tapura n'est qu'un “coup politique”, “un show” pour éviter le débat sur la situation de l'OPH dont ils sont “responsables”. Sur les propos de Mitema Tapati à proprement parler, Nicole Sanquer temporise : “Il ne visait personne. Il parlait d'une comparaison avec la France. Mais nous avons été habitués à ces propos avec le Tavini et notamment avec son président (Oscar Temaru, NDLR) qui sont à la limite du racisme”. Est-ce à dire que comme on y est habitué, c'est normal ? “Non mais ce n'est pas nouveau et ça n'a jamais été sanctionné”, répond l'élue AHIP qui estime que c'est “un peu facile de s'insurger aujourd'hui”.
 
Des suites judiciaires envisagées
 
Pourquoi le Tapura n'a-t-il pas demandé la même sanction contre Oscar Temaru qui a pourtant lui aussi tenu des propos discriminatoires en parlant de “l'invasion des métropolitains” ? Tout simplement parce que c'était dans le cadre de la Journée consacrée à l'ONU et pas en séance de travail parlementaire contrairement à Mitema Tapati, a expliqué Lana Tetuanui qui n'exclut pas de saisir la justice. Si les élus du Tapura s'interrogent encore des suites judiciaires à éventuellement donner à cette affaire, l'entourage du parti ne se pose pas de questions et certains, à titre personnel, entendent déposer plainte contre Mitema Tapati, mais aussi Oscar Temaru et le ministre de l'Éducation, Rony Teriipaia, qui avait cautionné ces propos.

Hinamoeura Cross se fait “tirer les oreilles” par le Tavini

Si les propos de Mitema Tapati ont du mal à passer chez les autonomistes, au Tavini, c'est la résolution proposée par Hinamoeura Cross sur le fait de limiter à deux le mandat des élus de Tarahoi qui coince. Résolution bottée en touche par les élus de la majorité eux-mêmes qui ont estimé que leur collègue allait trop vite en besogne et ne la jouait pas collectif. C'est d'ailleurs ce qui lui a été reproché en comité de majorité cette semaine comme elle l'a expliqué à Tahiti Infos ce jeudi matin : “C'était il y a deux jour,s il me semble. On m'a tiré les oreilles, les cheveux... mais bon. Ce que j'ai regretté durant ce comité de majorité, c'est qu'on s'est beaucoup attaqué à ma personne en me jugeant, alors que je m'étais excusée sur le fait qu'ils aient pu prendre ça comme de l'irrespect alors que ce n'était pas le cas, mais on n'a pas du tout discuté du texte, donc les attaques ont été sur ma personne et ma manière de faire. Je remercie quand même le courage de deux collègues sur 28 présents qui m'ont apporté leur soutien. Mais j'ai eu aussi des “elle n'a qu'à démissionner, il faut la mettre dehors””, nous a confié Hinamoeura Cross qui préfère prévenir : “Non, je ne vais pas démissionner. Vous ne pouvez pas me mettre dehors”. Quant au rappel au règlement de Lana Tetuanui, elle défend son collègue Tapati : “Je peux comprendre que les gens aient été choqués par ses propos, mais ça été interprété. On est quand même beaucoup à trouver qu'il y a de plus en plus de métropolitains. C'est aussi une vérité. Bien sûr je comprends Lana, elle joue le jeu de l'opposition et elle joue ça contre nous (...) mais elle pense la même chose”.

Rédigé par Stéphanie Delorme le Jeudi 9 Novembre 2023 à 16:59 | Lu 3076 fois