Le Pays demande un délai au Conseil d'État


Tahiti, le 13 mars 2024 – Lors de l'audience du Conseil d'État ce mercredi 13 mars à Paris, la rapporteure publique a requis “l'annulation sans délai de la loi fiscale” du gouvernement Brotherson votée en décembre dernier. Vent de panique du côté du Pays qui demande de son côté un délai pour que cette annulation intervienne... en “juillet” au regard des conséquences financières “très considérables”  pour la collectivité. Décision dans 15 jours maximum.
 
“L'annulation sans délai de la loi fiscale” : c'est ce qu'a requis le représentante du ministère public à l'audience du Conseil d'État, ce mercredi à Paris. La haute juridiction administrative était en effet amenée à trancher sur la légalité de la loi du Pays portant diverses mesures fiscales votée par les 38 voix de la majorité Tavini en décembre dernier. Une légalité contestée par six élus de l'opposition (trois du Tapura et trois de Ahip) mais pas seulement. L'Ordre des avocats du barreau de Papeete, de même que trois sociétés du BTP et leurs dirigeants, à savoir la société Imagine Promotions, la société Core Constructions et la société Canopy Hills, ont également déposé un recours pour demander à la haute juridiction parisienne de statuer sur leur demande d'annulation de cette loi du Pays.
 
“Vous n'aurez pas d'hésitation à annuler la loi fiscale”, a ainsi plaidé ce mercredi au Palais Royal la rapporteure publique, Isabelle Lemesle, qui a donc adressé à tous les requérants les mêmes conclusions. Elle y pointe du doigt les “irrégularités” commises par le président de l'assemblée de Polynésie française, Antony Géros, concernant la procédure législative qu'il a adoptée. Pour mémoire, une première commission de l'Économie s'est tenue tout à fait dans les règles pour examiner cette fameuse loi fiscale en novembre. Onze heures de débat plus tard, ce texte présenté par le gouvernement était voté, avec l'adoption de certains amendements de l'opposition, et l'abrogation de deux articles qui ne plaisaient pas à Antony Géros (la taxe sur l'immobilier et la suppression des exonérations sur les véhicules hybrides). Au-delà de la traduction des dissensions entre les “deux présidents” (Moetai Brotherson et Antony Géros) le texte ainsi voté venait déséquilibrer le budget du Pays, obligeant le ministre de l'Économie à revoir sa copie.
 
“Des conséquences extrêmement lourdes”
 
Sauf que plutôt que de suivre la procédure qui veut qu'un texte adopté en commission soit ensuite examiné et amendé si besoin en séance plénière, le président de l'assemblée a préféré convoquer une seconde commission, comme si la précédente n'avait jamais existé.
 
Le gouvernement a en effet présenté exactement le même texte, à la virgule près, et a même déposé les amendements de Nuihau Laurey sans son accord. Arguant qu'il souhaitait présenter un “texte propre”, le président de l'assemblée faisait surtout fi du règlement intérieur qui ne prévoit pas cette disposition. Et c'est ce que s’apprête vraisemblablement à censurer le Conseil d'État, garant de l'exercice de la démocratie.
 
“Bien au contraire, tous les articles du règlement intérieur de l'assemblée territoriale de Polynésie ont été respectés”, a en revanche fait valoir, ce mercredi à Paris, Me Doumic-Seillier qui représente le Pays. Elle a par ailleurs tenu à alerter sur les “conséquences extrêmement lourdes pour la Polynésie française d'une telle annulation” sur le plan budgétaire et financier.
 
Dans son mémoire en défense que Tahiti Infos s'est procuré, le Pays détaille ainsi que les “recettes supplémentaires générées par l'application du texte sont donc d'1,781 milliard de Fcfp qui seraient à restituer, à mettre au regard des 418 millions de Fcfp à percevoir. Les conséquences financières pour le Pays seraient donc très considérables”.
 
Un collectif budgétaire à venir et des milliards à trouver
 
C'est ainsi que Me Doumic-Seillier demande au Conseil d'État de prévoir une “limitation dans le temps des effets de l'annulation” qui “ne pourrait prendre effet qu'à la date du 1er juillet 2024”. Dans trois mois donc. Curieux. C'est un peu comme si, une fois condamnée, une personne demandait au juge de purger sa condamnation en fonction de son emploi du temps ou de ce qui l'arrange.
 
Pour le conseil du Pays, ce laps de temps va “permettre au gouvernement et à l'assemblée de reprendre une procédure d'adoption de la loi portant diverses mesures fiscales dans le cadre de l'adoption du budget de la Polynésie française pour l'exercice 2024”. Trois mois, ça fait long quand même. D'autant que comme l'a dit Antony Géros ce lundi, tout va pour le mieux puisqu'“avec le rendement fiscal” dont dispose déjà le Pays sur les premiers mois de l'année, “on a plus de 4 milliards de francs”. Il suffit de “rectifier le texte et puis c'est tout”. Où est le problème ?
 
La décision définitive du Conseil d'État est attendue dans quelques jours – 15 maximum –, sachant qu'elle correspond dans l'immense majorité des cas, exactement aux réquisitions du ministère public. Autrement dit, et comme semble d'ailleurs s'y attendre le Pays, le gouvernement va devoir présenter un collectif budgétaire assez rapidement pour combler le manque à gagner qu'engendrera l'annulation de cette loi fiscale. Sans compter les milliards promis au CHPF, à l'OPT, ATN ou encore à l'OPH qui n'a toujours pas fini d'apurer ses dettes... Ça tombe bien, la session administrative ouvre le 11 avril prochain.

Rédigé par Stéphanie Delorme le Mercredi 13 Mars 2024 à 14:44 | Lu 4740 fois