Le Mediator était un "drame absolument évitable", assure un épidémologiste au procès en appel


Thomas SAMSON / AFP
Paris, France | AFP | lundi 13/02/2023 - Le scandale sanitaire lié au Mediator était un "drame absolument évitable", a assuré lundi au procès en appel des laboratoires Servier l'épidémiologiste qui avait contribué à faire retirer du marché deux médicaments très proches dans les années 1990.

"Je ne pensais pas que plus de 30 ans après, on serait encore à discuter de cette question", commence Lucien Abenhaïm devant la cour d'appel de Paris.

Cet ancien professeur d'épidémiologie et de biostatistique a publié en 1995 une étude montrant que deux coupe-faims commercialisés par Servier, l'Isoméride et le Pondéral, augmentaient le risque de survenue d'une maladie grave, l'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), menant au retrait de ces médicaments en France en 1997.

"Si à l'époque on nous avait indiqué que (le Mediator) était aussi un dérivé des fenfluramides", une substance de la famille des amphétamines aux propriétés de coupe-faim, "on l'aurait inclus dans les calculs", souligne-t-il.

Parmi les patients inclus dans cette étude, financée par les laboratoires Servier après le signalement de premiers cas d'HTAP, seuls deux patients présentant cette maladie n'avaient consommé que du Mediator, et "on n'aurait pas pu conclure sur le Mediator avec deux cas", précise-t-il toutefois.

Mis sur le marché comme antidiabétique en 1976 mais indûment prescrit comme coupe-faim jusqu'à son interdiction en 2009, le Mediator a entraîné de graves effets secondaires cardiovasculaires sur des milliers de patients, entraînant parfois leur mort.

Servier et son ancien numéro deux sont jugés en appel depuis le 9 janvier pour "tromperie aggravée", "homicides et blessures involontaires", "obtention indue d'autorisation de mise sur le marché" et "escroquerie".

Selon l'accusation, le deuxième groupe pharmaceutique français connaissait depuis des décennies la parenté entre le Mediator, l'Isoméride et le Pondéral et l'a sciemment cachée aux autorités sanitaires, aux médecins et aux patients.

Servier conteste lui toujours la nature "anorexigène" du Mediator, affirmant que son effet de perte de poids s'expliquait par d'autres mécanismes.

"C'est la première fois dans l'histoire de la médecine qu'on a introduit quatre fois un médicament sur le marché et qu'on l'a maintenu en connaissance des risques extrêmement graves", martèle le scientifique à la barre, soulignant les "différences infimes" entre le principe actif de l'Aminorex, interdit en 1972, le Pondéral, l'Isoméride (également commercialisé aux Etats-Unis sous le nom de Redux) et le Mediator. 

Histoire ancienne

"Dans ma connaissance de l'histoire de la pharmaco-épidémiologie, je n'ai jamais vu ça", insiste le scientifique canadien, qui fut également directeur général de la Santé en France entre 1999 et 2003.

Dans son esprit, le problème de santé publique lié aux fenfluramides était désormais de l'histoire ancienne.

"C'est avec surprise que j'ai entendu parler en 2009 de l'existence d'une autre fenfluramide, le Mediator", avec la publication d'une étude qui contribuera à faire interdire le médicament, co-signée par la pneumologue Irène Frachon, qui témoignera mardi au procès.

"Je n'ai pas entendu parler de cette molécule pendant toutes ces années. On ne me l'a pas signalée pendant l'étude (publiée en 1995). J'ai été absolument sidéré", assure-t-il.

Le professeur retraité, qui vit aujourd'hui à Londres, revient également devant la cour sur les pressions subies au moment de la publication de son étude dans la prestigieuse revue New England Journal of Medicine (NEJM), en août 1996.

"Servier essayait de dénigrer l'étude par tous les moyens", résume le Pr Abenhaïm. Dans le NEJM, elle est ainsi affublée d'un éditorial très critique, co-signé par un pharmaco-épidémiologiste consultant pour Servier, et les journalistes reçoivent des argumentaires descendant en flèche son travail.

"J'ai reçu des appels téléphoniques, on a essayé d'avoir accès à mon compte en banque au nom de Servier, il y a eu des pressions physiques en allant directement chez ma comptable et d'autres personnes, une couronne mortuaire a été déposée devant ma porte", se rappelle-t-il.

Son centre de recherche est également cambriolé et "le seul ordinateur volé", sur une quarantaine, est "celui dans lequel il y avait les données" de l'étude, souligne le scientifique.

Ces pressions, "est-ce qu'elles venaient de Servier? Je ne peux pas le garantir, mais à l'époque c'est comme ça que je l'ai interprété".

le Lundi 13 Février 2023 à 05:51 | Lu 371 fois