Le Code des impôts devient plus vert


Nuihau Laurey en train de défendre l'article LP18 de son projet de loi, qui aurait obligé les opérateurs internet à fliquer leurs clients pour le compte de l'administration fiscale. Il l'a finalement retiré.
PAPEETE, le 22 décembre 2015 - L'Assemblée débattait lundi de plusieurs aménagements du Code des impôts. Des améliorations techniques, mais aussi des mesures en faveur de la transition énergétique avec la défiscalisation de la production d'énergies renouvelables et l'exonération de TVA des voitures hybrides et électriques, et une proposition de flicage du net passée à la trappe pour l'instant.

À l'occasion d'une loi de Pays mettant à jour le Code des impôts polynésien, de nombreuses mesures en faveur de la transition énergétique du Pays ont été discutées. Des avantages fiscaux vont ainsi être accordés aux entreprises spécialisées dans les énergies renouvelables. De façon surprenante, EDT sera sans doute l'un des plus importants bénéficiaires de ces nouvelles aides via sa filiale Marama Nui, le plus gros producteur d'électricité d'origine renouvelable en Polynésie grâce aux ouvrages hydroélectriques des vallées de Tahiti.

Des avantages fiscaux pour les énergies propres


Les voitures sont un gros consommateur de pétrole, aussi une transition énergétique doit-elle encourager le renouvellement du parc automobile en favorisant les véhicules moins gourmands. La loi vient donc ajouter des exonérations à celles déjà existantes sur les véhicules électriques et hybrides en exonérant de TVA "leur location et la cession des bornes de recharge". Les véhicules eux-mêmes étaient déjà exemptés de droits de douane et de TVA.

Du côté des producteurs d'électricité, les entreprises qui produisent de l'énergie à partir de sources exclusivement renouvelables bénéficieront d'un taux d'imposition sur les sociétés de 20 %, contre un taux allant de 25 à 35 % normalement. De plus, les éventuels concurrents qui voudraient se faire une place dans ce secteur bénéficieront de quatre ans d'exonération fiscale "entreprises nouvelles" au lieu de deux ans normalement. Cela concernerait par exemple de nouveaux SWAC (climatisation par eau profonde), les projets de champs de panneaux solaires, ou les projets utilisant l'énergie thermique des mers, les hydroliennes… Enfin, le changement des règles des amortissements pour les concessions devrait encourager les nouveaux investissements de la part des opérateurs historiques, même quand la fin de leurs concessions approche, même si l'opposition a dénoncé lors des débats un autre cadeau fait à EDT.

Malheureusement, ces changements ne résolvent pas le problème soulevé dans une lettre envoyée par EDT aux mairies en octobre 2014. La société informait les maires qu'ils ont la possibilité d'"instituer une taxe sur l'électricité consommée pour tous usages". Une taxe, soulignait EDT, qui "s'applique aussi bien sur les consommations des usagers raccordés à un réseau public de distribution, que sur la consommation électrique autoproduite des administrés", c'est-à-dire des entreprises et des particuliers, qui, par exemple, ont des panneaux photovoltaïques. Depuis l'envoi de cette lettre et l'incertitude juridique qu'elle a provoquée, de nombreux projets d'investissements privés dans le photovoltaïque pour l'autoconsommation ont été repoussés et le problème ne devrait du coup pas être résolu avant la réforme de la fiscalité communale.

LE FISC CHERCHE DES INFORMATEURS CHEZ EDT, LES RÉGIES D'EAU ET LES OPÉRATEURS INTERNET

L'administration fiscale veut aussi avoir un accès bien plus étendu à nos informations personnelles, demandant que EDT, les opérateurs télécoms et même – par amendement – les régies municipales de l'eau communiquent au fisc toutes informations utiles sur leur clientèle. "Je reste scotché par l'apparition de Big Brother dans ce projet de loi" s'est insurgé Antony Géros (UPLD) lors des débats. "Sans commission rogatoire ou supervision du procureur, vos agents pourront décider sur un simple coup de tête de demander toutes nos informations personnelles" avance-t-il, comparant les agents fiscaux avec ce nouveau pouvoir au "nouvel œil de Moscou".

Au final, le texte adopté va obliger les sociétés de distribution d'électricité et d'eau à communiquer leurs informations sur certains de leurs clients à la direction des impôts et des contributions, afin de lutter contre la fraude à l'impôt foncier.

Par contre, la sortie d'Antony Géros a fait reculer le gouvernement sur la surveillance du net. Le but officiel était de lutter contre les vendeurs au noir sur internet ou Facebook en obligeant les opérateurs de télécommunication à dévoiler aux agents du fisc "l'identité des personnes vendant des biens ou des services sur I'Internet, la nature des biens ou des services vendus, la date et le montant des ventes effectuées". En pratique, les informations sur l'abonné et la liste de tous les sites qu'il a visités… Et pour pouvoir donner la liste des produits vendus, il aurait fallu que nos opérateurs espionnent en continu le moindre détail de nos communications avec des techniques très invasives de "deep packet inspection" dénonçait enfin le représentant UPLD.

Le vice-président lui a répondu qu'il "faut rester calme sur ces dispositions qui sont appliquées en métropole. Il s'agit juste de donner la possibilité à l'administration fiscale (dans certains cas) de demander des informations utiles. (…) Rappelons qu'il s'agit là de fraude fiscale et de concurrence déloyale". Mais face à l'opposition, le vice-président a accepté de retirer l'article pour une réécriture du texte, afin de limiter les possibilités d'abus.

INCITER AU CIVISME FISCAL

Un grand nombre de mesures diverses sont inclues dans le texte pour améliorer la collection de l'impôt. Les principales sont :

- Les échanges entre l'administration fiscale polynésienne et ses consœurs internationales avec qui elle a signé des conventions d'assistance mutuelle sera facilité, l'administration polynésienne se réservant le droit de "transmettre de manière spontanée (…) les renseignements vraisemblablement pertinents n'ayant pas fait l'objet d'une demande".

- Les pénalités et amendes payées par les entreprises ne seront plus déductibles des résultats… Jusqu'à présent, les amendes ne relevant pas d'infractions fiscales ou économiques étaient considérées comme des charges normales.

- Les huissiers, notaires, liquidateurs judiciaires et autres "dépositaires publics de deniers" devront vérifier les impôts dus par ceux dont ils détiennent les fonds ont été payés, et à défaut de les payer directement.

- Divers changements comptables sont adoptés pour les dispositifs de défiscalisation ou les bonus et malus pour les provisions.

- Une dernière mesure veut empêcher la double imposition des compagnies aériennes. Le texte va permettre la mise en place d'accords diplomatiques accordant une exemption d'impôts sur les bénéfices aux compagnies étrangères opérant des avions étrangers, tant qu'une "exemption réciproque et équivalente aux entreprises de même nature ayant leur siège social en Polynésie française" est prévue. Donc le Pays taxerait ATN et les autres gouvernements taxeraient leurs propres compagnies. On pense aux 14 vols hebdomadaires chinois prévus pour le projet Mahana Beach… Pas sûr que le budget du Pays en sorte gagnant par rapport à l'approche plus traditionnelle, appliquée dans l'Union Européenne par exemple : les bénéfices sont taxés là où ils sont réalisés.


Les publicités télévisuelles locales exonérées

La Polynésie possède une mesure protectionniste qui vise à favoriser la production de publicités télévisuelles locales à travers la taxe sur les publicités télévisées. Les pubs "conçues et réalisées" en Polynésie étaient taxés à 15%, au lieu de 40% pour les réclames étrangères. Cet avantage est encore augmenté puisque les publicités locales sont désormais exonérées de cette taxe. Une mesure peu surprenante, quelques mois après la création de sa propre régie publicitaire par la chaine du Pays, TNTV.

Par contre les publicités pour les journaux papier, internet et les chaines de radio, même produites localement, restent soumises à une taxe de 5%.

Plus de souplesse pour les impôts des patentés

Le texte prévoit de nombreux assouplissements, mais pas de réductions fiscales, pour les entreprises et les patentés. Ainsi, des changements de valeur locative en cours d'années pourront être utilisés pour recalculer le montant de l'impôt. Les impôts fonciers pourront être modifiés en cours d'année en cas de vacance du bien. Les rémunérations des dirigeants au-delà de 24 millions par an ne seront pas taxées si ces sommes ont été réintégrées dans le résultat de l'entreprise (et donc soumises à l'impôt sur les sociétés) et seront exonérées de la CST-RCM (mais encore soumise à la CST-S).

Des patentes pour les sportifs professionnels et les locations saisonnières seront aussi créées, afin de faciliter la régularisation de ces activités, nouvelles en Polynésie.


Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Mardi 22 Décembre 2015 à 18:36 | Lu 2960 fois