Le Cluster maritime rêve d'un dock de carénage high-tech


Le dock flottant de la Marine nationale à Fare Ute avec le remorqueur-ravitailleur militaire le Revi à sec (Crédit photo : J-Bellenand, Marine Nationale)
PAPEETE, le 4 avril 2017 - Les trois plus gros navires polynésiens doivent s'absenter plusieurs mois chaque année pour effectuer leur carénage à l'étranger. Le dock flottant a également une capacité limitée, exploitée à 100% aujourd'hui. Une limitation qui, selon le Cluster maritime, est le plus gros frein au développement naval de notre territoire. Mais changer cette infrastructure stratégique n'est pas si facile…

Le Cluster maritime a rencontré vendredi dernier l'entreprise néerlandaise Damen, un géant de la construction navale. Les Hollandais ont présenté leurs docks flottants de dernière génération à une vingtaine de personnalités dont des représentants du Paul Gauguin, de l'Aranui, de la Société de Navigation Polynésienne, du groupe Degage, de la Confédération des armateurs, des pilotes et des agents maritimes, du port, de la base navale et des ministères de l'Equipement et du Tourisme.

Gérard Siu, président du Cluster maritime
Le président du Cluster maritime, Gérard Siu, reste assez prudent sur l'objet de cette rencontre : "nous voulons rencontrer tous les acteurs de ce secteur, pour mettre à jour nos dossiers sur les docks flottants. Pour l'instant il faut 20 personnes pour opérer le dock de la Marine dont des plongeurs, et il n'a pas la capacité d'accueillir l'Aranui, le Paul Gauguin, le Wind Spirit ou les grands yachts. Un dock de nouvelle génération être opéré par une poignée de salariés qualifiés, ce qui ira plus vite et coutera moins cher. Nous regardons des designs polyvalents ou modulaires qui permettraient soit de travailler sur deux bateaux en même temps, soit de se combiner et servir un gros navire. Aujourd'hui nous assistons aussi au développement de nouvelles technologies comme les ailerons de stabilisation, pour les bateaux de plaisance ou de croisière, qui élargissent la largeur de la coque pour les anciens docks, mais peuvent être gérés par ces nouveaux docks modulaires. Les nouvelles technologies permettent aussi d'entretenir sous la coque, ce qui n'est pas possible actuellement. Enfin, le temps disponible sur le dock actuel est un blocage aujourd'hui, du coup cet investissement permettrait d'augmenter sensiblement la flotte polynésienne."

Il précise que le modèle d'affaires de l'Aranui 5, un cargo mixte innovant qui transporte des marchandises mais assure aussi un service de croisières haut de gamme vers les Marquises, est rentable et "est un modèle à privilégier pour le développement économique et touristique du Pays. Le Tuha'a Pae essaie aussi de mettre ça en place pour les Australes. Ces navires doivent être plus gros et avoir des stabilisateurs pour le confort des passagers mais ne peuvent pas se permettre d'aller à Singapour trois mois par an pour leur carénage. Le Paul Gauguin est obligé de mettre en place des croisières à l'extérieur pour organiser son carénage au lieu de rester dans nos îles. Les Wind Spirit aussi ont cette demande. Et on ne peut pas dire que 2,5 milliards c'est trop à investir pour notre développement économique !"

10 ANS DE TERGIVERSATIONS

L'idée de changer de dock flottant traine depuis plus de dix ans, et elle a repris de la vigueur en début d'année dernière. La Polynésie a besoin d'un dock pour effectuer le carénage de nos gros navires et pour l'instant le seul qui existe appartient à la Marine nationale. Arrivé en Polynésie en 1975, il a dépassé la quarantaine mais continue de mettre à sec une vingtaine de bateaux par an, pour trois-quarts des bâtiments civils.

Il montre pourtant ses limites. Sa capacité est limitée à 3000 tonnes (le nouvel Aranui pèse 11 000 tonnes, le Paul Gauguin en pèse 19 200), il nécessite une vingtaine de personnes pour être manœuvré, il n'intègre aucune nouvelle technologie… Du coup les militaires espéraient bien que le Pays, via le Port autonome, investirait dans une nouvelle infrastructure plus moderne. Un nouveau dock coûterait entre 2 et 3 milliards de francs, et un rapport remis à la direction du Port Autonome en 2013 indiquait qu'il serait économiquement rentable avec un chiffre d'affaires supérieur à 200 millions de francs par an. Et comme le note Gérard Siu : "les importateurs paient une taxe de 1,25 sur la valeur CAF de tous les produits importés pour financer les ouvrages portuaires, donc le Port a largement les moyens".

L'ARMÉE A INVESTI 900 MILLIONS DE FRANCS POUR RÉNOVER SON DOCK

Mais des changements politiques et différentes priorités d'investissement ont sans cesse repoussé le projet ces 10 dernières années, au point de le couler. Car les militaires, qui doivent entretenir leurs propres forces navales, ont finalement annoncé l'année dernière investir 900 millions de francs dans leur dock flottant pour lui permettre d'être opérationnel jusqu'à 2030. Ils ont également renouvelé dans la foulée la convention qui les lie à la CCISM et qui permet aux navires civils d'utiliser cette infrastructure. "Nous ne faisons pas supporter le coût de l'investissement que nous sommes en train de faire aux armateurs civils. On ne fait payer que la mise au sec de leurs navires. C'est une façon de participer à l’économie maritime polynésienne" nous expliquait le contre-amiral Bernard-Antoine Morio de l'Isle en mai 2016.

Et comme il n'y a de la place que pour un seul dock flottant dans la zone portuaire de Papeete, plus aucune décision ne pourra être prise avant de convaincre la Marine que le projet est vraiment sérieux, et que ça vaut la peine pour eux de revendre leur dock à peine rénové pour utiliser cette nouvelle infrastructure civile. Le cluster a bien conscience de l'embarra que sa démarche peut causer à la Marine, et Gérard Siu assure que "nous ferons une proposition à la Marine pour trouver un arrangement", sous entendu : une offre assez intéressante pour emporter l'adhésion des militaires.

Selon le cluster, le gouvernement a rouvert ce dossier il y a quelques mois à la demande des armateurs. Ils évoquent aussi la création d'un partenariat public-privé pour financer le projet, si ça permet de le sortir des eaux troubles où il se trouve…

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Mardi 4 Avril 2017 à 15:18 | Lu 3006 fois