Tahiti, le 22 avril 2021 – Si le Cesec a adopté à la quasi-unanimité (36 voix pour, 1 contre, 6 abstentions) jeudi matin un avis favorable au projet de loi du Pays relatif à l’adaptation de la pratique de l’IVG en Polynésie, le débat qui a précédé a surtout porté sur la légitimité de ce droit des femmes, avant de dériver sur un discours d’arrière-garde transpirant de machisme.
Il fallait avoir les reins solides jeudi matin pour supporter les interventions des membres du Cesec sur le projet de loi du Pays relative à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Saisi par le gouvernement, la quatrième institution du Pays devait effectivement se prononcer sur diverses adaptations au cadre réglementaire adopté en 2002 et resté depuis inchangé. Ce, alors même que de nombreuses évolutions législatives sont intervenues à l’échelle nationale avant d’être étendues au fenua.
Si la commission santé du Cesec a préconisé par exemple de supprimer le délai entre les deux consultations médicales obligatoires préalables à l’IVG, d’étendre le champ d’intervention des sages-femmes, ou d’étendre à toutes les pharmacies la délivrance des médicaments nécessaires à l’IVG afin d’en faciliter l’accès à certains médecins et sages-femmes, les rapporteurs ont assisté, stupéfaits, à un débat rétrograde sur la légitimité de l’IVG, qui constitue pourtant un symbole de la libération de la femme.
Ainsi, le représentant des professionnels de la pêche, Jaros Otcenasek, s’est inquiété du vieillissement de la population et de l’importance pour les Polynésiennes de faire des enfants, au risque de mettre la Caisse de prévoyance sociale en difficulté : “On va ouvrir la porte à la faillite de la CPS. Je ne peux pas cautionner la mort de la population polynésienne“. Un discours d’arrière-garde qui rappelle ceux entendus 47 ans plus tôt par Simone Veil lorsqu'elle défendait l’IVG devant une assemblée d’hommes. C’est vite oublier “qu'aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement. Il suffit de les écouter“, avait déclaré la ministre nationale de la Santé, le 26 novembre 1974.
“Ce n’est pas un débat pour ou contre l’IVG“
La gent féminine de la quatrième institution du Pays justement, on ne l’a pas entendue jeudi. Si ce n’est la syndicaliste de l'Unsa, Diana Yieng Kow, qui s’est efforcée d’expliciter le texte en tant que co-rapporteuse. Mais le silence assourdissant de ses consœurs a forcément laissé toute latitude à une assemblée très majoritairement masculine. Alors que le président du conseil Eugène Sommers a le plus grand mal à recadrer le débat, son propre secrétaire s’y est mis, annonçant qu’un “enfant est un don du ciel" et osant : "On a oublié l’essentiel, c’est comment faire pour empêcher d’en arriver à ce résultat“.
Il a bien fallu que le docteur Jean-François Wiart, rapporteur et membre de la commission santé au Cesec, finisse par lever le doigt poliment afin de rappeler le sujet du jour : “Ce n’est pas un débat pour ou contre l’IVG, mais un débat technique sur la pratique de l’IVG en Polynésie“ et donc de “l’adaptation de la pratique de l’IVG aux lois de la République“.
Problème de femme
Le président de la fédération des parents d'élèves, Tepuanui Snow, a ensuite évoqué la responsabilité des parents et l’importance d’un accompagnement “en particulier pour les filles“. Occultant au passage encore totalement la responsabilité de ces messieurs. L'IVG étant visiblement considéré, même aujourd’hui, comme un problème de femme et non de santé publique. “Le garçon se contente de mettre le préservatif parfois, mais c’est la seule chose qu’il admet de faire…“, commentera le docteur Wiart.
Outre le préservatif qui craque, aucune allusion dans les débats aux grossesses intra-utérines, aux découvertes tardives de grossesses liées aux règles irrégulières chez les femmes obèses (lire interview), ni même aux cas de viol et d’inceste, pourtant hélas bien présents en Polynésie. Mais on s’étonne surtout que les membres du Cesec, représentants la société civile, s’estiment légitimes de débattre de la liberté inaliénable des femmes de disposer de son propre corps. Un débat fossilisé, qui n’a vraiment plus lieu d’être en 2021.
Il fallait avoir les reins solides jeudi matin pour supporter les interventions des membres du Cesec sur le projet de loi du Pays relative à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Saisi par le gouvernement, la quatrième institution du Pays devait effectivement se prononcer sur diverses adaptations au cadre réglementaire adopté en 2002 et resté depuis inchangé. Ce, alors même que de nombreuses évolutions législatives sont intervenues à l’échelle nationale avant d’être étendues au fenua.
Si la commission santé du Cesec a préconisé par exemple de supprimer le délai entre les deux consultations médicales obligatoires préalables à l’IVG, d’étendre le champ d’intervention des sages-femmes, ou d’étendre à toutes les pharmacies la délivrance des médicaments nécessaires à l’IVG afin d’en faciliter l’accès à certains médecins et sages-femmes, les rapporteurs ont assisté, stupéfaits, à un débat rétrograde sur la légitimité de l’IVG, qui constitue pourtant un symbole de la libération de la femme.
Ainsi, le représentant des professionnels de la pêche, Jaros Otcenasek, s’est inquiété du vieillissement de la population et de l’importance pour les Polynésiennes de faire des enfants, au risque de mettre la Caisse de prévoyance sociale en difficulté : “On va ouvrir la porte à la faillite de la CPS. Je ne peux pas cautionner la mort de la population polynésienne“. Un discours d’arrière-garde qui rappelle ceux entendus 47 ans plus tôt par Simone Veil lorsqu'elle défendait l’IVG devant une assemblée d’hommes. C’est vite oublier “qu'aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement. Il suffit de les écouter“, avait déclaré la ministre nationale de la Santé, le 26 novembre 1974.
“Ce n’est pas un débat pour ou contre l’IVG“
La gent féminine de la quatrième institution du Pays justement, on ne l’a pas entendue jeudi. Si ce n’est la syndicaliste de l'Unsa, Diana Yieng Kow, qui s’est efforcée d’expliciter le texte en tant que co-rapporteuse. Mais le silence assourdissant de ses consœurs a forcément laissé toute latitude à une assemblée très majoritairement masculine. Alors que le président du conseil Eugène Sommers a le plus grand mal à recadrer le débat, son propre secrétaire s’y est mis, annonçant qu’un “enfant est un don du ciel" et osant : "On a oublié l’essentiel, c’est comment faire pour empêcher d’en arriver à ce résultat“.
Il a bien fallu que le docteur Jean-François Wiart, rapporteur et membre de la commission santé au Cesec, finisse par lever le doigt poliment afin de rappeler le sujet du jour : “Ce n’est pas un débat pour ou contre l’IVG, mais un débat technique sur la pratique de l’IVG en Polynésie“ et donc de “l’adaptation de la pratique de l’IVG aux lois de la République“.
Problème de femme
Le président de la fédération des parents d'élèves, Tepuanui Snow, a ensuite évoqué la responsabilité des parents et l’importance d’un accompagnement “en particulier pour les filles“. Occultant au passage encore totalement la responsabilité de ces messieurs. L'IVG étant visiblement considéré, même aujourd’hui, comme un problème de femme et non de santé publique. “Le garçon se contente de mettre le préservatif parfois, mais c’est la seule chose qu’il admet de faire…“, commentera le docteur Wiart.
Outre le préservatif qui craque, aucune allusion dans les débats aux grossesses intra-utérines, aux découvertes tardives de grossesses liées aux règles irrégulières chez les femmes obèses (lire interview), ni même aux cas de viol et d’inceste, pourtant hélas bien présents en Polynésie. Mais on s’étonne surtout que les membres du Cesec, représentants la société civile, s’estiment légitimes de débattre de la liberté inaliénable des femmes de disposer de son propre corps. Un débat fossilisé, qui n’a vraiment plus lieu d’être en 2021.
Jean-François Wiart, rapporteur de la commission santé : “L’IVG pose un problème à encore beaucoup de gens”
En métropole ce délai est porté de 10 à 12 semaines en France, a-t-on ici aussi un problème de délai ?
“Non, le vrai problème c’est la découverte de la grossesse tardive. On a une population qui a très souvent des problèmes de poids et chez les femmes obèses, très souvent, on a des problèmes de règles irrégulières. Un coup c’est tous les 15 jours et puis après rien pendant trois mois, ensuite ça revient… A partir de là, si elles ne font pas attention, elles peuvent découvrir leur grossesse plusieurs mois après. Ce sont des choses qu’on voit de manière courante“.
Il y a encore beaucoup de gens qui sont contre le principe de l’IVG ?
“Vous ne vous imaginez pas à quel point ! Ce pays est très religieux, et ces derniers sont complètements opposés à l’IVG, donc il y a beaucoup de personnes à qui ça pose encore un problème, qui seraient pour l’IVG mais qui, du fait de la religion et de la position de l’église, sont indécis, gênés… Après, il y a toujours un irréductible qui se trompe totalement de sujet, qui est contre l’IVG. On a beau lui expliquer que ce n’est pas la question, mais à l'impossible nul n'est tenu“.
Au cours des débats, on entend également que l’information est nécessaire en particulier pour les filles. Quid de la responsabilité des garçons ?
“Ça a toujours été comme ça. Le garçon se contente de mettre le préservatif parfois, mais c’est la seule chose qu’il admet de faire… Les filles doivent faire plus attention parce que ce sont elles qui tombent enceintes. Beaucoup de personnes parlent de l’éducation, mais à partir du moment où une mineure de moins de 15 ans par exemple a des rapports consentis, il y a certainement un problème d’éducation des enfants, mais on ne peut pas incriminer la jeune fille. La question de l’éducation s’est posée avec la contraception également“.
Ces jeunes filles peuvent être victimes de violence, y compris au sein de leur famille.
“Absolument. On a tous connu au cours de notre exercice, des cas d’incestes qui ont débouché sur des grossesses sans que la jeune fille nous le dise directement. Ce sont des sujets difficiles, c’est pour ça que l’entretien psycho-social pour ces mineurs me paraît important. C’est très bien qu’il soit rendu obligatoire et qu’il le reste. Par contre, pour les femmes majeurs et vaccinées, ça doit être laissé à leur appréciation“.
Le viol par exemple n’a jamais été évoqué une seule fois en séance, a-t-il été évoqué en commission ?
“Non pas du tout, mais ça fait partie des grossesses non désirées. Mais les gens qui sont contre l’IVG, même en cas de viol, ils sont contre. C’est pareil du côté des églises. Donc c’est un sujet qui extrêmement délicat à aborder“.
C’était urgent d’adapter ce texte ?
“Ce n’était pas urgent, mais il fallait le faire. Par contre, quand j’ai lu ce texte la première fois, je me suis étonné de voir qu’on ne parlait plus de délais pour les IVG. Il a fallu que des juristes me signalent que cette clause était dans le code de la santé publique. On s’aperçoit qu’il y a des délibérations, des lois de Pays, le code de la santé publique, tout un tas de textes un peu disparates dans lesquels on se perd. Heureusement qu’on avait un juriste. Mais il faudrait avoir un texte qui regroupe tout.”
“Non, le vrai problème c’est la découverte de la grossesse tardive. On a une population qui a très souvent des problèmes de poids et chez les femmes obèses, très souvent, on a des problèmes de règles irrégulières. Un coup c’est tous les 15 jours et puis après rien pendant trois mois, ensuite ça revient… A partir de là, si elles ne font pas attention, elles peuvent découvrir leur grossesse plusieurs mois après. Ce sont des choses qu’on voit de manière courante“.
Il y a encore beaucoup de gens qui sont contre le principe de l’IVG ?
“Vous ne vous imaginez pas à quel point ! Ce pays est très religieux, et ces derniers sont complètements opposés à l’IVG, donc il y a beaucoup de personnes à qui ça pose encore un problème, qui seraient pour l’IVG mais qui, du fait de la religion et de la position de l’église, sont indécis, gênés… Après, il y a toujours un irréductible qui se trompe totalement de sujet, qui est contre l’IVG. On a beau lui expliquer que ce n’est pas la question, mais à l'impossible nul n'est tenu“.
Au cours des débats, on entend également que l’information est nécessaire en particulier pour les filles. Quid de la responsabilité des garçons ?
“Ça a toujours été comme ça. Le garçon se contente de mettre le préservatif parfois, mais c’est la seule chose qu’il admet de faire… Les filles doivent faire plus attention parce que ce sont elles qui tombent enceintes. Beaucoup de personnes parlent de l’éducation, mais à partir du moment où une mineure de moins de 15 ans par exemple a des rapports consentis, il y a certainement un problème d’éducation des enfants, mais on ne peut pas incriminer la jeune fille. La question de l’éducation s’est posée avec la contraception également“.
Ces jeunes filles peuvent être victimes de violence, y compris au sein de leur famille.
“Absolument. On a tous connu au cours de notre exercice, des cas d’incestes qui ont débouché sur des grossesses sans que la jeune fille nous le dise directement. Ce sont des sujets difficiles, c’est pour ça que l’entretien psycho-social pour ces mineurs me paraît important. C’est très bien qu’il soit rendu obligatoire et qu’il le reste. Par contre, pour les femmes majeurs et vaccinées, ça doit être laissé à leur appréciation“.
Le viol par exemple n’a jamais été évoqué une seule fois en séance, a-t-il été évoqué en commission ?
“Non pas du tout, mais ça fait partie des grossesses non désirées. Mais les gens qui sont contre l’IVG, même en cas de viol, ils sont contre. C’est pareil du côté des églises. Donc c’est un sujet qui extrêmement délicat à aborder“.
C’était urgent d’adapter ce texte ?
“Ce n’était pas urgent, mais il fallait le faire. Par contre, quand j’ai lu ce texte la première fois, je me suis étonné de voir qu’on ne parlait plus de délais pour les IVG. Il a fallu que des juristes me signalent que cette clause était dans le code de la santé publique. On s’aperçoit qu’il y a des délibérations, des lois de Pays, le code de la santé publique, tout un tas de textes un peu disparates dans lesquels on se perd. Heureusement qu’on avait un juriste. Mais il faudrait avoir un texte qui regroupe tout.”