Le 6 avril 1768 Bougainville jeta l’ancre à Hitiaa, c’était il y a 250 ans


PAPEETE, le 3 avril 2018 - En 1766, Louis-Antoine de Bougainville quitta Saint-Malo (France) pour réaliser le premier tour du monde officiel français. Au cours de son périple, il débarqua à Tahiti, une île qu’il pensait avoir découverte. Il ne savait pas que le navigateur et explorateur britannique Samuel Wallis avait jeté l’ancre en baie de Matavai quelques mois plus tôt.

Voici contée la formidable histoire du navigateur français Louis-Antoine de Bougainville et de ce qu’il considéra comme un paradis : Tahiti.

Louis-Antoine de Bougainville était un comte qui fit de bonnes études. Féru de mathématiques en général et de calcul intégral en particulier, il écrivit même deux traités sur le sujet, l’un à 25 ans et l’autre à 27. Plus tard, il devint avocat puis diplomate en Angleterre. Pour combattre au Canada, il s’engagea comme officier et participa à la guerre de 7 ans (1756 – 1763). Une guerre au cours de laquelle, la France perdit de nombreuses colonies et de nombreux comptoirs.

En 1764, Louis-Antoine de Bougainville prit possession des Malouines (aujourd’hui les Falkland). Ce sont des îles situées au nord-est de l’extrémité orientale de la Terre de feu. Mais, trois ans plus tard, il dût rendre les Malouines aux Espagnols, sur ordre de Louis XV.

L’Étoile rejoint la Boudeuse

Il s’y rendit dès 1766 avec la frégate La Boudeuse. Au début de l’année 1767, il aida les familles installées aux Malouines à gagner le continent. Pendant cette période, la Boudeuse fût rejointe par une flûte (bateau de charge) baptisée l’Étoile. Celle-ci arriva en juin 1767 à Rio de Janeiro. Le tour du monde du comte commença véritablement à ce moment-là.

Aux côtés du capitaine de frégate se trouvait notamment Philibert Commerson et son valet de chambre. Un certain Jean Baret, discret à l’extrême. Ce dernier s’avéra en fait être une femme, Jeanne Baret, sa gouvernante à terre. Pour information, sachez que c’est Commerson qui, après être tombé en admiration devant une plante aux belles couleurs, attribua le nom de Bougainvillea à l’arbuste qui porte toujours ce nom.

La Boudeuse et l’Étoile empruntèrent d’abord le détroit de Magellan où ils s’arrêtèrent pour "mesurer les géants". Une légende disait en effet que les Patagons, une tribu sud-amérindienne, étaient une tribu de géants. Louis-Antoine de Bougainville et son équipage constatèrent qu’ils étaient de grandes tailles, sans pouvoir toutefois confirmer la légende.

Les navires "tombent" sur Tahiti

Début 1768, portés par les alizées, les deux navires sillonnèrent l’archipel des Tuamotu où ils ne s’arrêtèrent pas, le capitaine trouvant l’endroit trop "dangereux". Puis, ils "tombèrent" sur Tahiti que Louis-Antoine de Bougainville pensa découvrir. Il ne savait pas que Samuel Wallis, navigateur et explorateur britannique, s’y était arrêté quelques mois plus tôt. D’abord parce que Samuel Wallis était à Tahiti en juin 1767, alors que Louis-Antoine de Bougainville était, lui, déjà en route et ensuite, parce que les deux explorateurs ne sont pas arrivés au même endroit. Samuel Wallis a accosté en baie de Matavai, Louis-Antoine de Bougainville à Hitiaa.

Le Français jeta l’ancre le 6 avril 1768, il débarqua le 7 avril. À terre, il rencontra un chef avec qui il négocia son temps de séjour. Il mima la course du soleil puis déposa 18 petits cailloux sur le sol. Le chef, après discussion retira 8 cailloux. Mais, pour le navigateur, dix jours n’étaient pas suffisant pour que ses hommes retrouvent un peu de vigueur et qu’ils s’occupent du bateau. Il en ajouta cinq. Le capitaine de frégate et le chef de tribu s’entendirent finalement sur 15 jours d’escale.

Les premiers temps à terre furent plus pacifiques pour Louis-Antoine de Bougainville que pour Samuel Wallis qui usa de ses canons. "Peut-être parce que la tribu vivant à Hitia n’était pas aussi guerrière que celle de la baie de Matavai", émet comme hypothèse Corinne Raybaud, docteur en histoire. Une rixe fit tout de même un mort et quatre blessés. Mais une entente fût trouvée.

Ahutoru, premier Polynésien à Paris


Finalement, au bout de dix jours, l’Étoile, puis la Boudeuse levèrent l’ancre en raison des mauvaises conditions météorologiques. Ils emmenèrent avec eux un Polynésien, Ahutoru, âgé d’une trentaine d’années. Le premier à voyager jusqu’à Paris. Après son arrivée au printemps 1769, il fréquenta la cours de Versailles, fréquenta l’Opéra, fit du shopping dans la capitale. Après plusieurs mois en France, il repartit pour Tahiti. Louis-Antoine de Bougainville prit sur sa fortune pour affréter un bateau. Mais, en cours de route, à l’île Maurice précisément, la variole emporta Ahutoru. Il ne revit jamais son île.

Le bilan, à première vue, de l’expédition de Louis-Antoine de Bougainville ne fût pas très bon. Le capitaine ne ramena pas, ou peu de comptoirs. Il se rendit compte que Tahiti (alors la nouvelle Cythère) avait été découverte par Wallis. En homme de lettres, il se décida à la rédaction d’un récit. Le Voyage autour du monde de la Boudeuse et de l’Étoile, paru deux ans après son retour.

Dans cet ouvrage, il y raconte Tahiti, qu’il considéra comme un paradis où tous les hommes étaient libres et égaux, où il n’y avait pas de hiérarchie, où les gens y étaient hospitaliers, la nature resplendissante, la sexualité libre. Malgré quelques nuances, apportées notamment par les conversations entretenues avec Ahotoru, c’est ce que l’Europe toute entière retint. Le mythe était né.



Delphine Barrais et Corinne Raybaud, docteur en histoire

En savoir plus

Corinne Raybaud fera paraître un ouvrage en mai sur Bougainville intitulé Bougainville arrive à Tahiti il y a 250 ans aux éditions Mémoire du Pacifique.





Rédigé par Delphine Barrais le Mardi 3 Avril 2018 à 10:12 | Lu 1889 fois