Laurie Ferrer : “Nous sommes les gardiennes de la physiologie”


Laurie Ferrer, présidente du syndicat des sages-femmes de Polynésie. Crédit photo : Thibault Segalard
Tahiti, le 5 mai 2023 - À l'occasion de la Journée internationale de la sage-femme qui s'est déroulée ce vendredi, Laurie Ferrer, présidente du syndicat des sages-femmes de Polynésie, est revenue, pour Tahiti Infos, sur le rôle et l'importance de sa profession. Il y a actuellement 180 sages-femmes sur le territoire polynésien, dont 33% en libéral, 11% en clinique et 56% dans le public.
 
La Journée internationale de la sage-femme vous permet de mettre en lumière votre profession. Elle est encore trop méconnue, selon vous ?
 
“Exactement, oui. C'est un bon moyen de communiquer. Tout le monde connaît les sages-femmes car tout le monde en a rencontré une lors de sa naissance. Moi-même, j'ai tendance à penser que tout le monde sait ce que je fais. Mais en creusant, on se rend compte que non, les gens ne connaissent pas toute l'étendue de nos compétences. Alors oui, on est souvent rattaché au temps de la grossesse et de l'accouchement qui est notre cœur de métier, mais on intervient également dans le suivi gynécologique de prévention, dans le suivi de contraception. On est aussi là pour les suites de couche, pour le temps de l'allaitement. En résumé, on est là tout au long de la vie de la femme pour assurer le suivi de santé. Cette journée nous permet d'informer la population sur ce que l'on apporte en matière de soins.”
 
En métropole, il y actuellement une pénurie de sages-femmes. Comment se porte la profession au fenua ?
 
“Effectivement, en métropole, il y a une pénurie de 15 à 20% de sages-femmes dans les hôpitaux. C'est essentiellement dû au fait qu'il y a un énorme manque de reconnaissance, alors que notre profession est très exigeante. C'est d'ailleurs sûrement le fait que ce soit un métier principalement féminin, ce qui ne nous a pas aidés dans notre combat de valorisation. Il y a un énorme taux de praticiennes qui se reconvertissent, mais également de nombreux étudiants qui changent de filière au cours de leur cursus. On reste une profession médicale, autonome et indépendante, avec des compétences qui sont de plus en plus importantes. Tout ça mérite une vraie reconnaissance de la société, mais aussi au niveau des salaires.
Pour ce qui est du fenua, on est plutôt préservé de cette pénurie. Mais c'est probable que nous fassions face à un manque de praticiens dans quelque temps. Après, localement, on retrouve des sages-femmes dans de nombreuses structures. Il y en a l'hôpital, en clinique, en dispensaire, dans les îles, au Centre de la mère et de l'enfant, à la Maison de naissance et également en libéral. Quasiment toutes les communes ont un cabinet de sage-femme libérale. On a également beaucoup de chance d'avoir une école de sages-femmes sur Tahiti.”
 
 
Vous évoquiez le manque d'hommes parmi vos confrères. En Polynésie, seulement 4% des sages-femmes sont des hommes. Pourquoi, selon vous, votre profession est-elle encore associée à un métier féminin ?
 
“Historiquement, c'était un travail de femme, même s'il se masculinise de plus en plus. Mais c'est vrai qu'il reste encore associé à un métier féminin. Je pense que le nom joue également, car je comprends que l'on n'a pas envie d'être un homme sage-femme. Cependant, avec la médicalisation de la profession, il y en a de plus en plus. Localement, il y en a quelques-uns d'ailleurs. Pour autant, ce nom ne se rapporte pas au sexe de la personne qui l'exerce mais à la patiente. Le terme sage se rapporte à la sagesse, c’est-à-dire à la connaissance. Aux connaissances sur la femme.”
 
Le métier de sage-femme est en constante évolution ces dernières années. À quels moments et dans quelles situations intervenez-vous ?
 
“Le métier et nos compétences ont beaucoup évolué, oui. On fait maintenant le suivi gynécologique de prévention, on participe à l'IVG (interruption volontaire de grossesse, NDLR)... Ce sont des choses qui ont été mises en place récemment et nos compétences sont vouées à évoluer de plus en plus. Comme je le disais, nous n'intervenons pas uniquement quand la patiente est enceinte. Nous pouvons faire de la prévention, avec les frottis et les examens tītī. On peut faire des prescriptions de pilules contraceptives. Après, quand la patiente est enceinte, on va la voir lors des consultations de l'entretien prénatal et lors des échographies à chaque trimestre qui sont obligatoires. On propose également un accompagnement à la naissance et à la parentalité, qu'on appelait à l'époque les cours de préparation à l'accouchement. On est présent lors de l'accouchement mais également pour les suites de couche, où l’on vérifie que la mère récupère bien et que l'enfant s'adapte convenablement. Pour terminer, nous faisons aussi un suivi de l'allaitement et la rééducation du périnée.”
 
On dit que la profession de sage-femme est le plus beau métier du monde. Vous êtes aux premières loges quand tout se passe bien, mais également quand il y a des complications. Comment gère-t-on cela émotionnellement ?
 
“On gère en essayant de rester professionnel. On dit souvent que nous sommes les gardiennes de la physiologie, ce qui veut dire que l'on est là quand tout se passe bien. Quand les choses se passent mal, on est le pivot pour contacter les autres professionnels de santé, comme un gynécologue obstétricien, un cardiologue ou un pneumologue. Mais en effet, nous restons sur place lors des complications. On vit les choses et c'est vrai qu'émotionnellement, il y a clairement une grande implication.”
 
Vous intervenez depuis peu pour les IVG et en Polynésie, une très grande part de la population est croyante. Qu'est-ce qui change par rapport à la prévention que vous faites autour de cet acte ?
 
“Les pratiques et la prévention sont forcément différentes en raison de multiples freins dont la religion fait partie. C'est sûr qu'il y a encore trop de freins à l'IVG. Après, notre travail, ce n'est pas de donner notre avis sur la situation, mais c'est d'informer les gens et de donner toutes les informations sur ce qu'il est possible de faire ou non. Nous les accompagnons dans leur choix, qui peut être celui de l'IVG ou pas. Toutes les patientes ont leurs freins propres. Il faut également savoir se centrer sur ce que souhaite la patiente et pas uniquement sur ce que dit la famille. Nous sommes pro-patiente.
Nous faisons également beaucoup de pédagogie, beaucoup de prévention au niveau de l'éducation sexuelle, de la contraception et des maladies sexuellement transmissibles. Ces dernières années, il y a d'ailleurs eu une explosion du nombre de cas de syphilis, alors que c'est une maladie qu'on ne devrait plus retrouver en aussi grande fréquence. L'éducation est la clef, surtout pour la santé.

Rédigé par Thibault Segalard le Vendredi 5 Mai 2023 à 16:38 | Lu 1427 fois