Larry Tchiou : “C’est à nous de construire notre pays”


TAHITI, le 16 mars 2023 - Il a étudié à France et aux États-Unis, travaillé à New-York, Singapour, Pékin. Larry Tchiou a finalement choisi de rentrer en Polynésie il y a quatre ans. Il porte un projet de culture de macro-algues à Tetiaroa qui a été retenu par Nahiti-Polynnov du Resipol.

Notre richesse en Polynésie, c’est l’océan, or il reste inexploité”, affirme Larry Tchiou. Partant de ce constat, et après diverses rencontres, prospections et réflexions, il a monté un projet d’élevage d’algues avec la Tetiaroa Society, Tahiti Beachcomber et la Climate Foundation. Le projet a mis deux ans à se concrétiser. “Sa sélection pour le Blue Climate Summit en mai 2022 a donné un coup d’accélérateur”, précise-t-il.

Crédit : Climate Foundation.
Ce projet consiste en l’utilisation des eaux de rejets du Swac de l’hôtel The Brando à Tetiaroa pour cultiver en haute mer des algues à des fins de valorisation dans l’alimentation par exemple, ou l’agriculture. Transformées, les algues pourraient servir d’engrais et limiter l’import. La culture a besoin de l’eau du Swac car celle-ci est froide et riche en indispensables nutriments (nitrogène, phosphate, potassium). “Les eaux de nos lagons sont chaudes et sont naturellement pauvres en nutriment, ce qui rend impossible la culture d’algues.” Larry Tchiou ajoute que cette initiative, “fondée sur la nature” a un potentiel “très important pour la lutte contre le changement climatique”. En effet, elle permettra la séquestration de carbone, la régénération des écosystèmes marins. Elle permettra par ailleurs “le développement des nos îles”, une priorité pour l’entrepreneur.

Lauréat de l’appel à projet Nahiti-Polynnov du Résipol en septembre 2022, le programme dont le financement vient d’être acté, a démarré. La sélection des espèces d’algues locales dans une station dédiée est en cours à Tetiaroa.

Créer de l’emploi

Larry Tchiou est né à Papeete en 1983. Il a grandi “sans problème, ni difficultés particulières”. Son père tenait une boutique de prêt-à-porter, sa mère était fonctionnaire. “Avec mon frère et ma sœur, nous n’avons jamais manqué de rien”, reconnaît-il. Son père, dès l’âge de ses 13 ans, a toujours beaucoup travaillé. Sa mère, a suivi des études d’informatique à San Francisco, “alors que s’ouvrait tout juste le secteur”. Pour une femme c’était un challenge. Elle a effectué un tour du monde seule, alors qu’elle était à peine âgée de 30 ans. “J’ai donc hérité du côté entrepreneurial de mon père et pionnier et aventurier de ma mère.” Larry Tchiou a été sensibilisé très tôt au monde de l’entreprise, au besoin de développer l’emploi en Polynésie mais aussi à la politique. “Mon père s’est impliqué pendant longtemps dans ce domaine.” Depuis qu’il est au lycée, Larry Tchiou a un leitmotiv : créer de l’emploi.

Après avoir obtenu un baccalauréat scientifique option mathématiques en 2001, il s’est inscrit à l’université de Toulouse en mathématiques, informatique appliquée aux sciences. “Mais il y avait plus de science que d’informatique, j’ai bifurqué vers un IUT informatique, toujours à Toulouse.” Il a baigné dans les histoires “à la Google”, suivi de près l’épopée des “start-up dans le numérique”. L’informatique s’est présenté comme un incontournable. Il a ensuite intégré l’Epita à Paris, une école d’ingénieurs informatiques. Il y a étudié de 2004 à 2007. “Je n’étais pas un geek, ce qui m’intéressait, c’était les gens, l’aspect social, j’ai choisi de faire du conseil.” Par la suite, il savait “que pour faire de l’informatique, il fallait aller aux États-Unis”. Il a intégré un master II de management des systèmes d’information dans le New Jersey à l’Institut de technologie Stevens. “Mon plan de carrière, c’était de rester bosser deux ans aux États-Unis puis de rentrer en Polynésie et de monter ma boîte”, se rappelle Larry Tchiou. “Mais cela ne s’est pas passé comme ça du tout.

Le krach boursier en direct

En 2008, il est sorti diplômé de l’institut américain et a trouvé du travail à Time Square, chez TIBCO Software. “Je travaillais avec de très gros clients, j’avais un appartement à Manhattan, et je gagnais plus d’argent que je ne pensais pouvoir en gagner un jour.” Six mois plus tard, en septembre, Larry Tchiou a vécu en direct le krach boursier, la chute et la faillite de Lehman Brothers. “Je me suis remis en question une première fois à ce moment-là, me disant que je n’étais pas aux États-Unis pour faire carrière, mais pour apprendre tout ce que je pouvais.” La période a été formatrice.

Peu après, toujours en 2008, Larry Tchiou a croisé le livre de Muhammad Yunus intitulé Vers un monde sans pauvreté. Économiste et entrepreneur bangladais, surnommé le banquier des pauvres, Muhammad Yunus a fondé en 1976 la première institution de microcrédit, la Grameen Bank. Il a reçu le prix Nobel de la paix en 2006. “La lecture de cet ouvrage enclencha une nouvelle remise en question. Je me suis dit : ‘qu’est-ce que je fais là, loin des miens à travailler pour un patron qui ne se préoccupe pas des gens d’en bas ?’”.


Génération T - Young shaping Asia - Soirée d’annonce de la liste inaugural - Singapour, Mai 2018 - Crédit Tatler Singapore
Un voyage pour visiter l’Asie

Larry Tchiou a passé l’été suivant à l’université de Stanford en Californie, “le temple de l’entreprenariat”, décrit-il. Il a obtenu un certificat de gestion d’entreprises. Par la suite, il a décidé de démissionner, d’abandonner sa carte verte et de rentrer à Tahiti. “Avant de m’établir pour de bon en Polynésie, j’ai décidé de visiter l’Asie.” Sac au dos, il s’est rendu à Hong Kong, Taïwan où il a pris des cours afin de raviver ses connaissances en mandarin, Tokyo, Pékin, Singapour où “on m’a offert un job en conseil de systèmes d’information”. Il a accepté l’offre fin 2009, “je n’ai donc pas eu le temps de me promener beaucoup”. Basé à Singapour, il a couvert l’Asie et le Pacifique, voyageant en permanence dans la zone. Lors de l’un de ses déplacements, il a été victime d’une pancréatite aigüe, transporté d’urgence dans l’hôpital d’une ville qu’il ne connaissait pas. “J’étais loin de tout, et une fois de plus je me suis interrogé sur ce que je voulais faire et où.” Larry Tchiou est revenu à Tahiti pour reprendre des forces mais a fini par repartir à Singapour.

Dans le courant de l’année suivante, il a rencontré Christian Vanizette qui montait Make Sense, un programme qui aide les entrepreneurs à développer leurs projets écologiques et sociaux. “J’ai quitté mon taf pour rejoindre l’aventure. Il y avait avec nous une troisième mousquetaire, brillante, Leila Hobollah.” Aujourd’hui, Make Sens compte une centaine d’employés. Larry Tchiou s’est chargé du développement du programme en Asie, s’installant dans différentes villes au gré des déplacements de celle qui est devenue sa femme : Pékin, Shanghai, Paris, Singapour.

En 2012, retour à Singapour avec un nouveau projet professionnel. “Je suis devenu special project manager à le National volunteer and philanthropy center.” L’histoire a duré plusieurs mois avant que Larry Tchiou ne se décide à monter sa propre entreprise, “un incubateur de start-ups tech à impact”, précise-t-il. C’était en 2014. Cinq années plus tard, après avoir eu un premier, puis un second enfant, après avoir poussé jusqu’au bout sa réflexion personnelle et professionnelle, il a finalement décidé de rentrer. “J’ai toujours su que cela arriverait car c’est à nous de construire notre pays.”

Tournage Un Océan de Solutions - Tetiaroa, Décembre 2022 - Crédit Larry Tchiou.
Consultant en Polynésie

En arrivant, il a été directeur délégué, chargé du développement à la Chambre d’industrie, de commerce, des services et des métiers (CCISM). Puis il s’est mis à son compte et a notamment participé au lancement de la Polynesian Factory (finalement reprise par la CCISM). Il travaille, en tant que consultant, chez Calia Conseil, un cabinet qui fournit aux collectivités locales et administrations publiques des prestations de conseil dans la recherche de la performance financière. Il porte également son projet de culture d’algues. “Avant de revenir en Polynésie, j’avais cherché ailleurs des choses qui pouvaient faire sens chez nous, je n’ai rien inventé.” Il s’est notamment inspiré d’initiatives lancées par des membres de la communauté néo-zélandaise Edmund Hilary Fellow dont il fait lui-même partie. L’Edmund Hillary Fellow réunit 500 entrepreneurs et investisseurs à impact. “J’ai rencontré plus particulièrement les entrepreneurs dont les projets sont en lien avec l’océan.

Son projet de culture d’algues qu’il voit à termes comme une aquaculture multitrophique intégrée, c’est-à-dire associée à d’autres cultures comme les huîtres perlières, les rori… se construit petit à petit. Toutefois, il tient à souligner le besoin d’une vision, d’un projet de développement pour la Polynésie française, avec des secteurs d’avenir clé permettant un développement durable et inclusif (notamment des archipels et îles éloignées). “Il faut arrêter de multiplier les schémas directeurs, surtout s’ils ne sont pas suivis dans le temps, pas accompagnés d’actions concrètes et d’une culture de la performance.

Il encourage à une vision plus “holistique allant de la recherche à la commercialisation”, et “régionale” inspirée de nos voisins proches “au lieu de tout le temps regarder la métropole”. Il insiste sur le besoin d’une fiscalité locale favorable à l’innovation, “aujourd’hui nous sommes très handicapés par rapport à la métropole avec une absence de fiscalité comme le crédit d’impôt recherche et de structuration de l’écosystème. Il n’y a pas de réseaux de business angel accessible, pas de fonds d’investissement en amorçage”. Selon lui, il faudrait limiter les positions de monopoles en renforçant la concurrence, soutenir les petites entreprises. Sans cela, “le risque est que nos plus prometteuses entreprises innovantes, nos talents se tournent vers l’étranger pour se développer, trouver expertise et financement”.

Rédigé par Delphine Barrais le Jeudi 16 Mars 2023 à 02:18 | Lu 5402 fois