La violence au cœur des débats


PAPEETE, le 31 octobre 2015 - Depuis 2013, le Groupe de réflexion sur la prévention des violences cherche à réunir les acteurs du secteur. Rejoint par l'association formation, action, recherche en Polynésie, la mairie de Faa'a, l'association polyvalente d'aide judiciaire et l'association Hotu area, il organise un séminaire qui lancera un programme de trois années de rencontres.

"Famille, parentalité et violence adolescente en Polynésie", tel est le nom du grand chantier lancé par le Groupe de réflexion sur la prévention des violences (GRPV), l'association formation, action, recherche en Polynésie (AFAREP), la mairie de Faa'a, l'association polyvalente d'aide judiciaire (APAJ) et l'association Hotu area. Il s'étirera sur trois années de rencontres, actions, échanges et commencera par un séminaire prévu du 5 au 10 novembre. Pour animer les travaux qui démarreront jeudi, deux intervenants ont fait le voyage de métropole. Lucien Hounkpatin, ethno-psychanalyste et maître de conférence à l'université Paris XIII et André Sirota, professeur émérite à l'université Paris X et psychanalyste de groupe.

"On parle beaucoup de ces thèmes en ce moment et en particulier depuis la Marche blanche, mais ils ne sont pas nouveaux", rapporte Nadine Collorig, présidente du GRPV, psychologue clinicienne et docteur en anthropologie. "Voilà près de 15 ans que nous observons sur le terrain une problématique de parentalité, de délitement familial, de manque de repère, de difficulté de l'enfant et des parents à trouver leur place." Ces observations "qui ne touchent qu'une petite partie de la population", insiste Nadine Collorig, sont faites par l'ensemble des acteurs de terrain."
De ces difficultés découlent des "comportements asociaux, des faits de violence qui vont crescendo", affirme Nadine Collorig. Elle ajoute que "tous les acteurs font les mêmes constats, chacun dans leur coin". Il n'y a pas de pont entre eux, pas de communication. C'est l'un des objectifs du séminaire et plus globalement du chantier lancé pour trois années. "Au cours du séminaire, nous allons nous retrouver, faire connaissance, mettre au point des actions que nous proposerons dans les mois à venir aux habitants. Les injonctions infantilisent tandis que les propositions rendent les familles actrices du changement."

Un chantier en trois temps

Les cliniciens à l'initiative du projet expliquent : "être parent, c’est savoir renoncer ; renoncer à l’idéal d’une rencontre, et accepter l’enfant en tant que sujet désirant. Qu’est-ce que la violence exprimée chez ces jeunes vient dire des relations entre générations aujourd’hui ? Y aurait-il un impossible à dire, un impossible à partager ? Cela serait-il conséquent à une perte de symbolique, une rupture de transmission ? Quelles peuvent être les conséquences de cet effondrement pour les jeunes, en termes de radicalisation groupale ? Nous avons mené plusieurs réunions avec des professionnels d’institutions du territoire (centre de la mère et de l’enfant, service social, centre hospitalier, assistantes sociales des collèges et lycées, service d’alcoologie et toxicomanie, agents de différentes mairies de Tahiti...) afin de partager nos observations de terrain. Les échanges mettent en exergue une même problématique : les parents sont démunis face à leurs enfants, face au discours social (« tu ne taperas plus »), face à l’incompréhension du système scolaire. Ils ne savent plus comment éduquer leur enfant.

Le chantier va s'organiser en différents temps. Un temps de préparation, d'évaluation, un tems d'événement, un temps de continuité de l'action, un temps de "redynamisation" et d'étendue du projet pour permettre aux acteurs de terrain de trouver un cadre dynamique indispensable pour les amener à soutenir d'eux-mêmes par la suite et pour qu'ils s'autorisent à mobiliser leurs propres ressources. Le temps 1 est celui de la préparation, elle a débuté en juin 2014 entre les professionnels du territoire. Il est un temps de réflexion via notamment le séminaire, encadré par des professionnels. Le temps 2 sera celui de la mise en place de l'action dans les quartiers en présence des intervenants professionnels extérieurs et des membres du comité de pilotage (créé pendant le séminaire). Un colloque sera organisé en partenariat avec l'Apaj au moment des assises des victimes en novembre 2016. Le temps 3, enfin, sera celui de la poursuite dans les communes intéressées.

Savons-nous faire ? Peut-on apprendre ? Qui peut apprendre aux autres ?

Lucien Hounkpatin, ethno- psychanalyste et maître de conférence à l'université Paris XIII et André Sirota, professeur émérite à l'université Paris X et psychanalyste de groupe vont animer une conférence à l'Université de Polynésie française le 10 novembre à partir de 17h30 sur le thème "Être parent aujourd'hui". Ce rendez-vous portera sur la parentalité et les difficultés à devenir parents. André Sirota annonce : "Nos corps savent comment il faut s’y prendre pour faire un enfant matériellement, puisque ça n’a pas changé depuis la nuit des temps. Bien au contraire, aujourd’hui, faire grandir un enfant psychiquement, affectivement, culturellement, socialement, c’est une autre histoire. C’est beaucoup plus difficile qu’auparavant. Savons-nous faire ? Peut-on apprendre ? Qui peut apprendre aux autres ? Nous donnerons des réponses à ces questions.
Partout dans le monde, les contextes ont tellement changé que la permanence de base des cadres sociaux nécessaires pour grandir ou aider à grandir a disparu. Quand nous ne savons pas quel est l’avenir, tant pour nous-mêmes que pour nos enfants, comment faire pour donner la conviction aux plus jeunes qu’il y a un avenir enviable pour eux, et le sentiment profond que la vie vaut la peine d’être vécue, sans leur mentir ?
En tant que parent, éducateur, professeur, adulte, comment faire pour aider les plus jeunes à chercher une place et à prendre place parmi les autres et dans la société où ils vivent, alors qu’ils font chaque jour l’expérience d’une société qui les ignore, alors que pour développer le désir de grandir il est indispensable de se sentir attendu par les parents, les éducateurs, les ancêtres, les instances qui dirigent la société ?"

Rédigé par Delphine Barrais le Vendredi 30 Octobre 2015 à 17:35 | Lu 1695 fois