La sortie des emprunts toxiques a coûté 12 milliards au Pays


A la fin du mois de février 2013, le ministre des finances de l'époque Pierre Frébault rencontrait les responsables de la Sfil pour renégocier une partie des emprunts à risques du Pays. Cette banque française (détenue à 75% par l'Etat, 20% la CDC et 5% la Banque postale) a été créé pour liquider les emprunts toxiques de Dexia, mais il a fallu une mobilisation des élus locaux français pour que l'Etat se préoccupe de la situation. La Polynésie française a eu jusqu'à 25 milliards Fcfp d'emprunts à taux variable, contractés entre 2007 et 2011.
PAPEETE, le 25 janvier 2016. La dégradation importante des finances du Pays, dès les années 2008-2010, a conduit les différents gouvernements à recourir à l'emprunt. Sauf que, par manque de garantie financière à apporter aux bailleurs de fonds, la Polynésie française s'est retrouvée entraînée dans la très dangereuse spirale des emprunts toxiques. Désormais, tous ces emprunts toxiques sont soldés… Mais à quel prix ?

Les emprunts toxiques : un véritable miroir aux alouettes pour un certain nombre de collectivités locales françaises en mal de finances. Elles sont nombreuses à être tombées dans le piège. Quand une région ou une commune ou une collectivité locale en mal de trésorerie n'arrivait pas à emprunter de l'argent à taux fixe, on leur proposait des emprunts d'un genre nouveau avec des taux variables et des tranches successives. Avec ces produits financiers, la banque franco-belge Dexia, a fait plonger dans le rouge nombre de collectivités locales. Dans la partie variable du prêt, le taux appliqué correspondait le plus souvent "entre différents cours de change (dollars US, du franc suisse ou du yen) ou par l’évolution d’index sans rapport direct avec le loyer de l’argent comme par exemple, le cours du Brent ou l’inflation dans une zone monétaire" précise la Chambre territoriale des comptes (CTC) dans son rapport d'observations définitives sur la gestion de la Polynésie française entre 2011 et 2015 qui devrait être présenté ce mardi aux élus de l'assemblée de Polynésie française lors d'une séance place Tarahoi.

En 2010 dans son précédent rapport sur la gestion du Pays, la CTC notait déjà que 14% de l'encours de la dette du Pays était de nature toxique et recommandait fortement "une gestion resserrée" de ses emprunts. D'autant que ces produits toxiques ne sont pas les seuls à être délicats à manier. Le Pays a eu recours pendant cette même période à des emprunts adossés sur des produits structurés, représentant jusqu'à 35% de l'encours de la dette. Des produits moins dangereux "parce qu’adossés à des index moins volatils (Euribor)" mais qui gardent une part variable potentiellement volatile.

DE NOUVEAUX EMPRUNTS POUR COUVRIR LES EMPRUNTS TOXIQUES

"Pour toutes ces raisons, la gestion de la dette a été surtout marquée par le souci légitime de privilégier la sécurisation de l’encours par rapport à celui du financement de l’investissement" écrit la Chambre territoriale des comptes. Ce qui a été fait : dès juin 2011 le Pays a demandé aux banques de refinancer sa dette toxique en sollicitant de nouveaux emprunts pour financer son budget d'investissement. Les options choisies sont soit de réaménager les taux variables en taux fixes ou bien de repousser les dates d'activation des taux variables.

Des packages (refinancement de la dette toxique + emprunts d'investissement) sont conclus. Mais dans le monde impitoyable de la finance, le moindre changement des termes d'un contrat est payant. "Ces opérations ont, sans exception, eu pour corollaire l’acceptation par la collectivité de taux supérieurs au taux du marché appliqués non seulement sur les emprunts renégociés, mais également sur les nouveaux financements sollicités à cette occasion". La CTC donne un exemple lumineux : "en 2011, la collectivité et la BPCE (Banque populaire/Caisse d'Epargne) ont signé une convention de prêt pour 9,38 milliards de Fcfp au taux fixe de 7,19% sur 20 ans". On retrouve dans ce contrat un prêt de 3,58 milliards pour le financement des investissements de l'année 2011 et 5,8 milliards en refinancement de quatre prêts structurés qui avaient été conclus en 2006 et 2007. "Le taux de 7,19% demandé par la BPCE a inclus le coût de sortie des prêts" précise le rapport de la CTC. A ces taux d'intérêt très élevés pour les nouveaux contrats de prêt conclus alors que "la période correspond à un niveau historiquement faible du coût de l’argent", il faut ajouter des indemnités "pour une compensation exacte du manque à gagner de la banque généré par le remboursement anticipé du prêt". Au final, la note payée par la Polynésie française est salée. "Entre 2011 et 2014, le réaménagement de l’encours de la dette Dexia et Sfil a coûté 12 milliards de Fcfp en indemnités compensatrices dérogatoires et 558 millions de Fcfp en intérêts courus non échus".

Mais c'était un mal pour du mieux. Ainsi, le rapport conclut : "la Chambre territoriale des comptes considère que les coûts consentis pour sécuriser la dette revêtaient un caractère nécessaire en raison des pertes potentielles attachées aux prêts toxiques, dès leur activation". Ce fut long et douloureux. D'autant que les premières années, la collectivité a renégocié toute seule ces contrats à risques. Il a fallu attendre février 2013 et la création de la Sfil (société de financement local) pour que l'Etat se mêle enfin des sacs de nœuds créés dans de nombreuses collectivités locales par la banque Dexia. La Sfil, une banque publique, a reçu pour mission de renégocier les emprunts sensibles détenus par Dexia pour sécuriser leur encours sur les collectivités territoriales. En mai 2015, la Polynésie française a réussi à sortir complètement à la fois des emprunts toxiques et des emprunts structurés.


Fuite en avant

La désensibilisation des emprunts toxiques du Pays a parfois conduit à des situations cocasses. En 2012, la renégociation menée avec Dexia a conduit à remplacer des emprunts toxiques par… des produits structurés liés à des variations sur les taux de change de monnaie ! Cette année-là "dans la convention signée avec Dexia pour un montant de 14,8 milliards de Fcfp étaient inclus le financement des investissements 2012 à hauteur de 2,4 milliards de Fcfp, le refinancement de quatre prêts anciens pour 12 milliards de Fcfp et une partie des indemnités compensatrices dérogatoires due au titre des prêts refinancés à hauteur de 0,4 milliard. Les nouveaux contrats de refinancement comportaient cependant des taux différents selon les tranches du prêt. Certaines ont bien été conclues à taux fixe (5,95% sur 5 ans ou 10 ans), mais d’autres ont été conclues avec une période de taux fixe limitée à deux mois seulement, avant une barrière à partir de laquelle le taux est, à nouveau, déterminé par l’écart de change entre le dollars US et le yen".

Exemple d'un emprunt toxique

A la fin de l'année 2014, la collectivité ne détenait plus qu’un seul emprunt "toxique" qui a été soldé en mai 2015. Dans son rapport la CTC en précise le mécanisme: "Cet emprunt comporte une barrière de taux risquée puisque le taux fixe de 3,9 % n’est conservé seulement tant que l’inflation nationale est constatée positive, chaque 4 avril. Et s’il advient que l’inflation soit négative, le taux d’intérêt est alors le résultat de la formule suivante : 3,9 % + 5 fois l'écart entre l'inflation négative constatée et zéro. A titre indicatif, si l’inflation constatée est égale à -0,5%, le taux d’intérêt devient égal à 6,4 % au lieu de 3,9%".

Rédigé par Mireille Loubet le Lundi 25 Janvier 2016 à 17:07 | Lu 2553 fois