"La situation peut encore être améliorée, alors faites-nous confiance"


PAPEETE, 20 septembre 2017 - Tahiti Infos a pu s'entretenir avec le président Edouard Fritch, mercredi, à la veille de la séance d'ouverture de la session budgétaire 2017. L'occasion de faire un point sur les défis que se donne l'exécutif polynésien au moment d'aborder la dernière ligne droite avant élections les Territoriales d'avril 2018.

La session budgétaire 2017 s’ouvre à l’Assemblée. Quelle orientation générale souhaitez-vous insuffler au prochain budget de la collectivité, qui sera aussi le dernier avant les Territoriales 2018 ?

Edouard Fritch : C’est effectivement la particularité de ce budget. C’est un budget de fin de mandat. Il n’en portera pas moins des mesures importantes pour 2018. Il est dans la continuité de la feuille de route adoptée depuis septembre 2014. Cette feuille de route comprenait deux étapes importantes : le rétablissement de la santé financière du Pays, mise à mal au cours des dernières années par la perte de confiance ; de même que l’étape que nous conduisons depuis un an, celle de la reconstruction économique. La confiance est revenue. On peut en attendre plus, mais je crois qu’il faut se réjouir de ce que nous observons aujourd’hui. Pour ce qui concerne la reconstruction économique, elle passe par la création d’emploi – qui est le premier souci du gouvernement – et par la stabilisation des instruments sociaux (la PSG, les aides à la famille, au logement, l’accompagnement des personnes en grande difficulté, des personnes âgées, etc). Mais comme on le sait, il ne peut y avoir de vraie politique sociale tant que la situation économique n’est pas rétablie. J’ai pris l’engagement en 2014 de ne pas augmenter la charge fiscale pour financer cette réforme. C’est donc une bonne santé économique qui doit permettre de financer une bonne politique sociale.
En 2018 encore, je ne prévois pas d’augmentation d’impôt. Au contraire, nous poursuivrons l’allègement des charges, notamment de l’impôt sur les sociétés, avec l’ambition d’établir un taux unique à court terme. Ce budget 2018 sera bon, parce que les recettes vont bien. La feuille de route ne change pas puisque nous maintenons le cap sur l’emploi et l’accompagnement social de nos populations.
(…) Aujourd’hui, le Pays est en passe de lancer de grands chantiers qu’il a les moyens de financer. Plusieurs projets sont à l’étude : l’extension du port de Papeete vers l’Est ; le doublement de la route de ceinture et la mise en chantier de la Route du Sud, dont le chantier commencera dès l’année prochaine, sur la zone Papara-Papeari ; le chantier de la piste de dégagement de Tahiti-Faa’a, sur Rangiroa vraisemblablement. Tous ces chantiers ne seront possibles que parce que le Pays a retrouvé une bonne santé financière.


En attendant, la réforme du système de Protection sociale généralisée (PSG) ne tarde-t-elle pas à se réaliser ?

(…) Le système de retraites est dans l’extrême urgence. Nous allons proposer avant la fin du mois les paramètres que nous estimons nécessaires pour la réforme du régime. Nous avons fait le nécessaire pour mettre en place le système de gouvernance avec la création de L’ARASS (l’Agence de régulation sanitaire et sociale, NDLR). Nous avons soumis au CESC le texte relatif au médecin référent. Il sera présenté sans tarder à l’Assemblée.
La réforme de la PSG est en cours, alors que ça faisait des années que tous les gouvernements esquivaient. Elle est attendue par tout le monde. Ce ne sera pas facile en période électorale. Mais il faut le faire
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En somme, cette réforme s’accompagnera-t-elle d’une évolution des charges sociales ?


Edouard Fritch : Bouger le curseur des charges salariales et patronales sera le dernier recours, mais il semble incontournable. Je ne vous cache pas que je n’en ai pas envie. Le coût du travail est déjà assez élevé en Polynésie. Ce sera le dernier recours. D’où cette éventualité d’une fiscalité spéciale pour la prise en charge de ces moyens financiers qui font défaut.

Une TVA sociale ?

C'est à l'étude

"Je pense qu'on a bien travaillé"

Le groupe Tahoera’a vous reproche régulièrement de ne pas appliquer le programme pour lequel vous aviez été élu. Depuis 2014, estimez-vous avoir rempli les objectifs que vous vous étiez fixés ?

Le Tahoera’a est dans l’opposition. Il a souhaité ne pas me soutenir dès mon élection en 2014. J’ai dû composer avec nos amis d’A Ti’a Porinetia, qui avaient un programme très proche de celui du Tahoera’a. Regardez ce que je fais aujourd’hui, le Tahoera’a planifiait les deux mêmes étapes : reconstruction de la santé financière, puis reconstruction de l’économie. C’est exactement ce que nous mettons en œuvre. Les leviers que nous activons diffèrent certes, principalement sur la question des grands chantiers. Mais on a vendu le rêve à la population que l’on pourrait créer le miracle à partir du foncier d’Outumaoro. J’ai poursuivi les procédures initiées par mon prédécesseur, le président du Tahoera’a Huiraatira ; mais on doit bien admettre aujourd’hui que l’investisseur qui devait mettre 250 à 300 milliards sur la table n’existe pas. En somme avec le Mahana Beach on a hérité de beaux dessins, mais il n’y avait personnes derrière pour financer ce beau rêve. On a mis tout en œuvre pour qu’il se réalise. On sait aujourd’hui qu’il n’est pas réaliste.

La Tahitian Village qui remplace ce projet touristique est qualifié de Rikiki Beach. Vous acceptez cette comparaison ?

Cette comparaison est faite par des personnes qui vivent dans le rikiki. Je crois qu’il faut dire la vérité à nos populations. On a la démonstration qu’un projet, ne serait-ce qu’à 200 milliards, ne fait pas partie du domaine de la réalité. Vous ne trouverez jamais personne pour investir une telle somme dans un pays de 280 000 habitants, qui reçoit pour l’instant autour de 200 000 touristes. Les investissements de ce type se font aux Caraïbes, à Honolulu avec 7 millions de touristes… Nous voulons rester réalistes dans nos projets.

L’enjeu de ces grands projets était celui de l’emploi. Pensez-vous avoir été à la hauteur du défi de l’emploi, depuis 2014 ?

Je pense qu’on a bien travaillé. Les choix faits sur les plans financiers, économiques et sociaux ont été de bons choix. Dans la conscience des gens – à qui le Tahoera’a a menti, j’insiste –, le Tahiti Mahana Beach devait créer 10.000 emplois, pour la construction puis ensuite pour l’exploitation. Ce projet était un mirage. (…) Le Tahitian Village, s’il est traité de rikiki, s’appuie en attendant sur trois projets à 25-30 milliards qui seront à l’échelle du pays. Et surtout, ils nous donneront le temps de faire venir les touristes derrière. C’est bien beau de prétendre créer 10.000 emplois, mais avec quoi compte-t-on remplir nos hôtels tant que l’on n’a pas réglé le problème de l’aéroport de Tahiti-Faa’a et accru la desserte de la Polynésie française avec d’autres compagnies aériennes, vers l’Amérique du Sud, la Chine, etc. Il faut bien aller chercher les touristes là où ils sont ! Moi, je veux travailler autrement, faire des choses à la mesure de notre pays.

La question sociale sera probablement un thème clé des prochaines Territoriales. Que dites-vous aux Polynésiens qui ont cru en 2013 dans les promesses de reprise économique et qui espèrent encore une amélioration de leur quotidien, 4 ans après ?

Il y a une partie de la population qui a cru à des promesses impossibles à tenir et qui effectivement se pose des questions aujourd’hui. J’ai envie de leur dire ‘Regardez autour de vous. Les choses vont mieux : il faut que nous soyons patients’. Le politique polynésien a nourri l’instabilité dans ce pays, pendant une dizaine d’années. Cela a provoqué une crise économique sans précédent. Ce n’est pas en 3 ou 4 ans que nous redresserons la situation. J’ai envie de leur dire aux Polynésiens ‘Faites-nous confiance !’ Tous les observateurs spécialisés constatent le redressement de la santé économique du Pays : ça c’est une réalité. La spirale de destruction d’emplois est stoppée depuis 2014. Aujourd’hui nous créons de l’emploi. Je suis d’accord : on peut encore faire mieux, mais il faut un peu de patience.
D’autre part, nous avons pris des mesures sociales sans précédent. Les CAE (Contrats d’accès à l’emploi, NDLR), c’est 4 milliards de redistribution de salaires et d’indemnités, au travers de cette aide. Ce n’est pas rien. Nous avons engagé près de 10 milliards pour améliorer la vie de nos populations, notamment en matière d’habitat. Tout cela est mis en œuvre pour le bien-être de nos familles. La situation peut encore être améliorée, alors faites-nous confiance : nous saurons encourager la création d’entreprises pour générer de l’activité ; nous saurons accompagner la population dans une amélioration pérenne de son quotidien
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"Oui, on transformera cela en majorité en 2018"

L’opposition s’organise pour les prochaines Territoriales. Où en est la constitution des listes que présentera votre parti, le Tapura Huiraatira, en avril 2018 ?

Nous tenons un séminaire ce samedi. Je vais soumettre au Conseil politique un calendrier pour les prochaines élections. Nous allons constituer des équipes pour établir notre programme pour les 5 années à venir. Pour l’heure, de mon point de vue, le plus important est que l’on sache clairement ce que nous mettrons en œuvre si nous sommes élus. Je pars naturellement du principe que nous aurons une majorité en 2018. Mais si l’on veut que cela se réalise, nous devons avoir un bon programme. (…) Ce programme sera prêt avant la fin de l’année. Fin décembre début janvier, nous réunirons les instances pour la constitution de nos listes aux Territoriales. Cette question ne fait aujourd’hui l’objet d’aucune discussion ou négociation. Une ossature existe, bien sûr : nous avons une majorité à l’Assemblée ; les élus sont en place. Mais notre vœu le plus cher est de faire monter des jeunes. Je crois qu’aujourd’hui il faut que l’on apprenne sérieusement à transmettre le relai. Nous ne sommes pas incontournables, ni indispensables. On doit partager le pouvoir avec cette jeunesse. Je me battrai pour que de nouvelles têtes soient en positions éligibles sur la liste du Tapura Huiraatira.

Vous en prendrez la tête ?

Le statut de la Polynésie française prévoit depuis 2007 que les présidents ne puissent pas faire plus de deux mandats. C’est, je crois, le temps qu’il faut pour mettre en place ce que l’on souhaite pour ce pays. En 2023, il me faudra bien décrocher.

Les résultats des derniers rendez-vous électoraux montrent une solide assise populaire derrière vos candidats. Croyez-vous pouvoir transformer cet élan en 2018 ?

Bien sûr que notre objectif est de consolider ces résultats. On sait qu’un nombre important de personnes, outre les sympathisants du Tapura, épousent nos idées. On l’a vu aux Législatives. (…) Nous sommes en train de construire un vrai lien de confiance dans la population. Donc oui, si nous continuons sur cette voie, si mes amis de l’Assemblée continuent à bien travailler, si les membres du gouvernement continuent à se défoncer comme ils le font, je pense que oui, on transformera cela en majorité en 2018.

Sur quelle majorité tablez-vous ?

Difficile de le dire. Ce ne sera peut-être pas aussi confortable qu’en 2013. Mais vous savez, il faut savoir partager. Je n’entretiens pas les mêmes ambitions que celles du Tahoera’a à une certaine époque, où il fallait tout prendre, voire partager mais en échange d’engagements en retour, de négociations sans nom et sans fin… Ce qu’il nous faut, c’est que la future majorité qui sera appelée à mettre en œuvre les réformes en cours de préparation, soit suffisamment importante pour mener à terme tout cela. Ce qui compte c’est que nous ayons une Assemblée active et surtout contributive. Une Assemblée qui cherche le consensus. Vous savez, j’ai envie de devenir un vrai océanien : un homme du Pacific Way, qui sache écouter, entendre et concilier. C’est mon rêve.

L'homme du "Pacific Way"

Justement, à propos du Pacific Way, cette année vous avez représenté la Polynésie française, pour sa première participation au Forum des îles du Pacifique en tant que membre à part entière. Quel bilan faite-vous de ce rendez-vous régional ?

Nous attendions avec un peu d’appréhension, l’installation des collectivités françaises du Pacifique au sein du Forum. (…) Aujourd’hui, nous en sommes membres de plein exercice. Je suis heureux pour la Polynésie française. On va s’inscrire dans la politique voulue par ces chefs d’Etats, qui se résume à quelques mots clés : régionalisme, échanges, contributions réciproques, lutte de concert contre le réchauffement planétaire, représentation cohérente dans les instances internationales. Aujourd’hui, nous faisons corps. Avant la réunion de la COP23 à Bonn, nous avons demandé audience au Pape François pour confirmer la bonne cohésion entre ses écrits, son livre sur l’environnement, et la conception que nous défendons au niveau du Forum, sur ce qu’il faut faire pour lutter contre le réchauffement planétaire. Ce rendez-vous aura lieu le 11 novembre prochain à Rome. Le Forum se présentera devant le Pape pour lui confirmer notre adhésion entière à sa conception de notre mère, la Terre.

Le communiqué final du Forum insiste beaucoup sur le principe régionaliste de ce rassemblement. L’étiquette de collectivité française, n’est-elle pas un handicap vis-à-vis de cette dynamique dont la base idéologique est postcoloniale ?

C’est un handicap ici.

Ça a été un handicap pour notre accession au statut de membre à part entière.

Je suis convaincu aujourd’hui que ce n’était pas ça le handicap. Nous sommes toujours collectivité. Rien n’a changé depuis 2004. C’est bien qu’il y avait autre chose. Nous l’avons levé. (…) Depuis, bientôt 5 ans, l’Etat français ne met aucune obstruction à mes demandes.

Vous sentez-vous en phase avec la dynamique régionaliste du Forum ?

Je comprends bien l’esprit de ce régionalisme. Je suis en phase avec ses principes fondamentaux. Mais ce que je peux vous confirmer, c’est que nous avons en commun avec tous les chefs d’Etats le même souci : la création d’activité et d’emploi. Nous ne sommes pas les seuls à souffrir aujourd’hui. Partout, il s’agit de créer le contexte favorable à ce développement économique. Nous avons tous des intérêts communs à travail ensemble sur le plan économique, social, sanitaire. Au travers du régionalisme, nous pouvons nous unir pour faire face aux enjeux du monde actuel.

Rédigé par Propos recueillis par Jean-Pierre Viatge le Mercredi 20 Septembre 2017 à 19:30 | Lu 4015 fois