La réforme de la protection sociale généralisée passe mal


Aux côtés de Winiki Sage, le président du CESC, Tea Frogier la ministre de la solidarité accompagnée de Luc Tapeta, conseiller spécial du président Fritch chargé des travaux sur la réforme de la PSG II.
PAPEETE, le 19 avril 2016. Au cours des six derniers mois de l'année 2015, le gouvernement a lancé des ateliers sur la réforme de la protection sociale généralisée (PSG) pour arriver à la PSG II. Mais jusqu'ici les propositions et réflexions issues de ces travaux étaient restées discrètes. Ce mardi matin, la synthèse de ces six mois d'ateliers était présentée à la société civile, via une réunion d'information au Conseil économique social et culturel. Les syndicats ont choisi de quitter la salle avant l'exposé sur les retraites.

Il y avait foule au Conseil économique social et culturel (CESC). La salle plénière était comble, de même que le hall : toutes les salles annexes avaient été vidées de leurs chaises pour que le public puisse suivre les débats dans des conditions correctes. Les syndicats, membres du CESC avaient rameuté les collègues. Il faut dire que l'enjeu est de taille. 20 ans après la création de la protection sociale généralisée (PSG), la branche maladie de la sécurité sociale polynésienne du régime général des salariés (RGS) est à bout souffle depuis déjà quelques années avec un déficit cumulé de 14,7 milliards de francs. Quant à la branche vieillesse, les ponctions successives faites sur ses réserves au cours des dernières années pour réapprovisionner justement les prestations à verser à la branche maladie, elle est exsangue également.

Les projections effectuées par Luc Tapeta, conseiller spécial du président Fritch sur cette réforme capitale sont violentes à entendre. L'urgence on la connait : il y a le risque de ne plus pouvoir assurer le remboursement des malades d'une part, ou la cessation de paiement des pensions retraite. Pour la tranche A des retraites, l'horizon de viabilité du système actuel est fixé à 2017/2018. "A partir de ces dates on ne pourra plus payer les retraites dans leur intégralité" indique Luc Tapeta. Pour être plus clair encore : "soit on ne paiera plus que 80% de la retraite ou bien on la versera dix mois sur douze".

De cette situation de "cessation de paiement" des retraites, les syndicats de salariés ne veulent surtout pas en entendre parler. Ce mardi, les représentants issus des centrales syndicales, membres du collège salarié du CESC ont écouté les exposés de la ministre de la solidarité Tea Frogier et de Luc Tapeta sur la maladie. Mais dès qu'il a été question de la retraite, ils ont demandé une suspension de séance. Une demi heure plus tard, après une réunion entre les différentes centrales syndicales dans une salle annexe, les membres du collège salarié ont quitté la salle plénière en ayant expliqué leur position. Les syndicats apprécient peu en premier lieu cette présentation de la synthèse des ateliers sur la PSG II alors que les négociations sont encore en cours –ils rencontrent le gouvernement deux fois par semaine les mardi et jeudi- depuis quelques semaines seulement. Avec cette présentation faite au CESC par le gouvernement, ils ont donc l'impression que la réforme de la PSG II a déjà été ficelée dans leur dos (lire les interviews ci-dessous).

LES CRISPATIONS DES SYNDICATS


Sur la gestion des prestations vieillesse, les syndicats de salariés sont très remontés. "Les retraites ? Vous l'avez compris, on va continuer à cotiser, mais en passant de 35 années à 40 ans ; il n'y aura plus de départ anticipé et au bout du bout la pension ne sera plus à 70% mais à 60%. C'est travailler plus pour toucher moins" martèle Angélo Frébault de la CSTP/FO. Or, les syndicats ont plusieurs choses en travers de la gorge.

Pour équilibrer les comptes, la Caisse de prévoyance sociale (CPS) a puisé dans les réserves de la retraite –accumulées au temps des bonnes années du plein emploi- pour payer les prestations maladies (un total de 11 milliards de francs sont encore à rembourser). "Ces sommes ont été prises sans le consentement des salariés concernés" poursuit Angélo Frébault. Et il y a surtout, le minimum vieillesse de 80 000 francs versés à toute personne de plus de 60 ans en Polynésie française. "Nous avons des retraités qui touchent des pensions inférieures avant de pouvoir prétendre à l'allocation complémentaire de retraite pour arriver enfin à cette somme, mais eux, ils ont payé toute leur vie ! De l'autre côté, socialement, c'est gratuit". Sur sa lancée, il poursuit "avec les 11 milliards dûs au régime des salariés pour la maladie et les 11 milliards payés aussi pour le minimum vieillesse, c'est un total de 22 milliards que l'on doit aux salariés. Pourquoi nous faire cotiser beaucoup plus dès maintenant ? Alors que ces milliards qui nous sont dus peuvent nous permettre d'attendre pendant dix ans encore la relance économique".

Voilà une chose au moins sur laquelle les syndicats et le gouvernement sont d'accord. La PSG II ne retrouvera la pérennité de son équilibre qu'avec la relance économique et les embauches pour que les cotisations sociales progressent mécaniquement sans avoir recours à l'augmentation incessante des taux ou au racornissement des prestations. Car dans les différents simulations qui ont été faites, la date de viabilité ne court pas bien loin : entre 2032 et 2045, au mieux. Un constat brutal que Teiki Porlier, membre du CESC au titre de l'association des consommateurs Te Tia Ara, a bien résumé en fin de présentation : "finalement avec toute cette réforme, on gagne quoi au juste ? La viabilité du dispositif jusqu'en 2034 seulement. Moi-même à cette date je ne serai pas encore à la retraite, ça veut dire qu'il faudra de nouveau recommencer. Franchement, à écouter tout ça, je n'ai pas envie d'acheter car je ne serai pas concerné".

Enfin toutes les dispositions envisagées doivent faire l'objet d'une ou plusieurs lois du Pays. Ces nouvelles lois ne pourront pas, au mieux, entrer en vigueur avant 2017 pour respecter le délai de prévenance et éviter qu'un vice de forme ne les rendent attaquables au tribunal. Enfin, même si cet aspect a été très peu abordé, le mot "fiscalité" revient au moins deux fois dans les documents de synthèse des ateliers et fait état d'un chantier à ouvrir avec le gouvernement sur ce sujet. Régis Chang, le directeur de la CPS dans son unique intervention, ce mardi en fin de séance au CESC, a évoqué cette question "les autres revenus, autres que ceux du travail, feront l'objet d'un prélèvement fiscal. Quel sera le taux ?"

La foule se pressait ce mardi matin aussi bien dans la salle plénière que dans le hall du CESC. Vers 11 heures, les représentants syndicaux du collège des salariés ont quitté cette présentation.

109 milliards de francs

C'est le montant annuel des dépenses assumées par la CPS en 2014. En 1995, à sa création la protection sociale généralisée représentait une enveloppe annuelle de 37 milliards de francs. En 2014, les deux registres des dépenses les plus importants étaient la maladie pour 48 milliards et la vieillesse pour 42 milliards de francs.

L'accélération des départs à la retraite

En 2014, il y avait 1400 départs à la retraite projetés. Ils seront quasiment deux fois plus, 2428, en 2020 et encore deux fois plus en 2025 qu'en 2020 avec 4008 départs projetés. Cette progression exponentielle du nombre de retraités explique en grande partie les difficultés de la viabilité du système de retraite polynésien "très généreux" pour l'instant estime Luc Tapeta, le conseiller spécial du président Fritch sur ce dossier de la réforme de la PSG. Conséquence, le ratio entre le nombre d'actifs et le nombre de retraités ne cesse de baisser régulièrement. Il y avait 2,1 actifs pour un retraité en 2014 mais ce ratio passe à 1,4 actif pour un retraité en 2020 et à 0,9 en 2030. "En 2030, moins d'un actif financera la pension d'un retraité", le système tel qu'il est aujourd'hui est tout simplement impossible à tenir.
Pour la tranche A de retraite –celle qui concerne tous les salariés-, depuis 1995, les ressources ont été multipliées par 3,7 tandis que les dépenses ont, elles, été multipliées par 5,8. Depuis 2009, ces ressources ne couvrent plus les dépenses.

LES REACTIONS DES SYNDICATS

Lucie Tiffenat, secrétaire générale de Otahi

Vous dites que cette présentation au CESC est un forcing politique, pourquoi ?

On a pris cela comme une provocation parce que nous démarrons à peine les négociations avec le gouvernement. L'année dernière, ils ont discuté avec d'autres partenaires. Nous, on renoue le contact et on apprend par derrière que le président du CESC a été sollicité pour que le Pays puisse présenter la PSG II. Nous ne comprenons pas cette manière de procéder, nous sommes "dégoûtés" presque. Pour moi, c'est de la provocation et c'est la raison pour laquelle, nous sommes sortis de la séance. Heureusement que ce n'est pas le président du Pays qui est venu.

Pourquoi ?

Ça voudrait dire pour nous qu'il n'a pas tenu sa parole. Aujourd'hui, il a quand même laissé venir sa ministre avec le conseiller qui est en charge de la réforme de cetet PSG, pour nous présenter coûte que coûte leur document. En sachant pertinemment que nous, les organisations syndicales, sommes opposées. Puisque pour nous, les discussions ne sont pas encore terminées.

Vous dénoncez la façon de faire du gouvernement ?

Nous ne comprenons pas la façon de faire du gouvernement. Habituellement, il a la possibilité de saisir le CESC via une loi de Pays, mais ce n'est pas le cas dans cette présentation. C'est juste pour informer la société civile nous dit-on. Ils s'entêtent à nous présenter ce dossier et nous ne comprenons pas cette démarche. Ce qui me fait dire et cela n'engage que moi, que ce document est finalisé. Je ne pense pas que le gouvernement a l'intention de le modifier et de tenir compte de nos propositions. Déjà sur nos quatre points de préalables, nous n'avons aucune réponse et nous attendons toujours.

Qu'allez-vous faire ?

Nous avons prévenu les salariés de rester vigilant, d'être prêts à descendre dans la rue. Je le dit clairement parce que c'est le seul moyen qui est à notre disposition pour nous faire entendre.

Le 1er mai par exemple ?

Pourquoi pas mais cela pourra aussi se faire avant. Tout dépendra de chaque organisation syndicale à mobiliser ses troupes. Le message est parti, nous n'avons pas confiance, nous sommes persuadés que c'est le document final que le gouvernement est venu présenter. J'espère qu'ils vont réfléchir parce que s'ils vont au forcing, ce sera le clash et le gouvernement sera responsable.

Mahinui Temarii, syndicat CSTP/FO

Pourquoi avoir demandé à vos invités de sortir de la salle ?

Par respect envers les associations et les employeurs qui n'ont rien compris puisque ce sont eux qui ont mis cela en place. Il faut respecter les ignorants.

Vous avez préféré sortir et laisser la présentation se faire ?

Ils pensent que nous sommes là uniquement pour créer des problèmes alors que ce n'est pas du tout le cas. Nous sommes en train de leur faire comprendre que si nous laissons passer cela, nous cautionnons ce qui risque de se produire demain pour nos enfants. Nous ne pouvons pas accepter cela. Puisque les associations ont voulu écouter la présentation jusqu'au bout, nous avons préféré sortir.

Êtes-vous prêt à descendre dans la rue ?

Descendre dans la rue c'est autre chose. S'il faut marcher, pourquoi pas ? S'il faut tout arrêter, pourquoi pas ? C'est l'avenir de nos enfants qui est en jeu. Quand tu vois des retraités qui continuent de travailler, ils ne permettent pas à nos enfants de prendre la suite. Cela créé des problèmes. Et ce monsieur-là est un égoïste, il ne pense qu'à lui. Il y a des gens qui perçoivent quatre retraites et je ne peux pas accepter cela.

Vous disiez "ne touchez pas à la retraite, e huehue teie fenua (ça va être le bazar)" ?

Quand on touche à la retraite, on touche à l'avenir de nos enfants. S'il faut tuer nos enfants, nous ne le ferons pas. Mais s'ils veulent le faire, nous serons là pour défendre nos enfants.

Vous dénoncez enfin le changement de statut de la CPS qui pourrait devenir un service public ?

La CPS est un prestataire de service, mais privé. Cet établissement ramasse tous les problèmes que le Pays créé. Aujourd'hui, ils veulent mettre cela en service public. On n'aura plus rien à dire et c'est là que l'impôt sur le revenu sera légal. Là, ils sont en train de cacher avec la CST. Le technicien du Pays qui travaille sur ce dossier est une personne qui a siégé au sein du conseil d'administration de la CPS. Il a également été membre du CESC.

Rédigé par Mireille Loubet le Mardi 19 Avril 2016 à 16:32 | Lu 3260 fois