La polémique enfle autour du projet de pêche aux Marquises


PAPEETE, 1er octobre 2017 - Un article publié dans le journal Le Monde, mercredi 27 septembre, accentue la polémique en s’en prenant sévèrement au projet Degage de pêche industrielle aux Marquises, alors que s’ouvre cette semaine à Tahiti la 10e Indo-Pacific Fish Conference.

Difficile d'y voir un hasard de l'actualité : "Une flotte de thoniers menace les eaux préservées des Marquises", titre le quotidien Le Monde dans son édition de mercredi 27 septembre dernier. Déjà en juin, une information du même goût avait été publiée par la rédaction du journal Le Point sous le titre "La guerre du thon enflamme les îles Marquises". Il ne fait que peu de doute qu’en toile de fond de tout cela, opère un lobby conduit par la fondation américaine Pew Charitable Trusts, pour souligner la nécessité d’instaurer à brèves échéances des aires marines protégées, dans l’espace maritime de la Polynésie française. Et tout cela alors que Tahiti accueille cette semaine à la Maison de la culture, plus de 500 scientifiques et experts pour la 10e édition de l’Indo-Pacific Fish Conference (IPFC).

Depuis 2012, l’antenne polynésienne de Pew milite pour l’installation d’aires marine protégées, à commencer par la zone maritime des îles Australes. L’idée a séduit la population et les élus.

Mais le gouvernement polynésien voit d’un mauvais œil cette intrusion dans la zone économique exclusive (ZEE) de la Polynésie française. A un espace maritime qui serait réglementé depuis New York l’exécutif d’Edouard Fritch préfère le principe d’une "aire marine gérée", administrée depuis Papeete. Concept mal défini qu’Edouard Fritch a pourtant défendu en ces termes, en juin dernier lors d’une intervention officielle au siège des Nations Unies à la première Conférence des océans : "Avec les aires marines protégées, les populations autochtones de ces zones, n’ont plus accès à la richesse ou du moins, elle est très réglementée. Nous en Polynésie, nous parlons plus d’aires marines gérées. Notre souci et notre objectif, est de faire reconnaître ces aires marines gérées. Ce qui correspond le plus à notre rahui". C’est pourtant en s’adossant à cette tradition du rahui que les militants défendent aussi le principe des aires marines protégées. "Nous ne voulons pas que les polynésiens arrêtent de pêcher, bien au contraire ; nous essayons de promouvoir une meilleure exploitation des stocks pour pouvoir continuer à pêcher dans le futur, en Polynésie comme ailleurs", répondait dernièrement le directeur de Pew Polynésie à un farouche contradicteur.

Il se trouve qu’à l’échelle du Pacifique occidental les populations naturelles de poissons pélagiques s’effondrent, victime de la surpêche : pour les seules variétés de thons la population de germons (Blanc) a chuté de 60 % depuis 1990, de même que celle de Yellow Fin. Le thon obèse (Big eye), celui qui est visé aux Marquises, a perdu 84% de son stock. Il est considéré comme menacé et figure dans la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature dans la même catégorie de vulnérabilité que le panda ou l’éléphant d’Afrique. Enfin, le thon rouge du Pacifique (Bluefin), a perdu 97% de sa population naturelle et frôle l’extinction.

Pour l'instant, la surexploitation à l'origine de ces constats se joue dans les eaux internationales car l'industrie de pêche polynésienne repose sur 59 navires actifs. Elle produit 6000 tonnes par an, dont la moitié pour la seule activité de pêche côtière. Et cela représente 3 milliards de chiffre d’affaires annuel en première vente et 1,2 milliard à l’exportation. Aujourd'hui, 400 emplois directs et près de 1000 emplois indirects et induits sont concernés par cette industrie.

C’est dans ce contexte, et alors que le Pays finalise son Schéma directeur de la pêche hauturière, que le groupe Degage envisage la mise en place d’une flottille de pêche au large des îles Marquises, avec le soutien des élus de la Codim, la Communauté des communes de l’archipel. Pour l’instant, il envisage de gérer son activité de pêche palangrière par le biais d’une société ad hoc, la société Big Eyes. Les débuts sont timides. Elle a acquis aux enchères 10 thoniers de 24 mètres de l’ancienne flottille de la SEM Tahiti Nui Rava’ai. Les navires sont réparés et envoyés au fur et à mesure aux Marquises. Le premier est parti jeudi. Les autres seront mis en service "d’ici la fin de l’année". C’est à l’horizon de 2021, que l’entreprise entend mettre en œuvre son projet industriel : une flottille de 60 bonitiers confiés à des pêcheurs locaux ; 6 palangriers congélateurs de 30 mètres, six de 50 mètres et deux navires-usines postés sur zone. "On pêchera au large des Marquises et à l’extérieur de la ZEE, jusqu’à Clipperton", explique Eugène Degage, qui espère pouvoir atteindre une production annuelle de 12 000 tonnes, dont une part importante destinée à l’exportation.

Quant à la menace que pourrait représenter son projet pour la ressource, l’armateur s’agace : "Une étude faite par l’IRD Ifremer estime que la ressource présente dans nos eaux pourrait tolérer une pêche de 90 000 tonnes par an. Notre ZEE est de 5,5 millions de km2. A Kiribati, avec une zone de 3,4 millions de km2 ils ont pêché 47 000 tonnes et 72 000 tonnes en 2011 et 2012 et c’est pire aux îles Marshall. On n’est pas là pour massacrer le poisson. On veut juste développer la pêche localement et créer près de 600 emplois, selon nos estimations, sans compter les travailleurs à terre. Ceux qui veulent l’installation d’aires marines protégées, pourquoi ne mènent-ils pas leur combat dans la zone internationale, tout autour de la Polynésie, là où croisent les senneurs japonais, coréens, taïwanais. On voudrait empêcher le Polynésien de pêcher chez lui à la palangre alors que ces variétés de poissons migrent et sont massacrées à l’extérieur de nos eaux ? On veut juste développer notre Pays, c’est tout !"

Reste que ce projet industriel nécessitera un investissement de "6 à 7 milliards" selon son promoteur, dont une part importante d’aides en défiscalisation locale et nationale. Et pour l’instant, rien ne garantit que les demandes que s’apprête à poser "d’ici la fin de l’année" le groupe Degage devant la commission consultative des agréments fiscaux du Pays, puis à Bercy, recevront l’accueil espéré.

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Comment ce projet de pêche aux Marquises est-il perçu par le gouvernement ?
Le Gouvernement a affiché depuis longtemps sa volonté de valoriser ses ressources propres, et à ce titre, mise sur le développement raisonné de sa flotte hauturière locale avec un équipage polynésien. Celle-ci n’exploite aujourd’hui que 35 % de la ZEE et pas la zone des Marquises qui est pourtant la plus productive.

La récente étude d’élaboration du schéma directeur confirme que l’augmentation de la flotte est possible, mais à condition de pouvoir étendre la zone de pêche. Ce projet est donc, à l’échelle de la Polynésie, intéressant car il présente une stratégie nouvelle que les armateurs de la place n’ont pas encore développée.

Par ailleurs, le Gouvernement ne peut que soutenir les initiatives qui visent à créer des emplois dans les archipels et contribuer ainsi au rééquilibrage territorial. Et c’est donc tout naturellement que ce projet est également soutenu par l’ensemble des maires des Marquises.

Il reste encore des interrogations sur le nombre et le type de navire qui seront mis à l’eau et sur les infrastructures et besoin d’accompagnement, les services techniques du Pays continuent les discussions.


Quelles précautions vous permettent d'éviter une situation de pillage organisé de la ressource halieutique ?
La Polynésie française est considérée comme exemplaire dans la gestion de ses ressources hauturières (développement endogène, pas d’accord de pêche avec des étrangers, pas de senne ni chalut) et elle compte bien le rester. La flotte devrait d’ailleurs prochainement être certifié "pêche durable" par le prestigieux label MSC. La Polynésie française est par ailleurs très engagée au niveau des organisations régionales des pêches et entend bien respecter toutes les mesures de précaution qui sont adoptées.

Le crédo du développement de la filière est celui du "pas à pas". C'est inscrit dans le schéma directeur. Les licences de pêche, ainsi que les aides financières, seront donc octroyées au fur et à mesure à un rythme maîtrisé, notamment afin de pouvoir anticiper les besoins en formation, et adapter progressivement les infrastructures et les modes de commercialisation.

Outre cette cadence progressive d’entrée en flotte, les autorisations de pêche ne seront octroyées que pour des zones bien particulières. Ainsi, les navires qui veulent pêcher aux Marquises, n’auront pas l’autorisation de pêcher dans la zone de pêche centrale où l’effort de pêche est déjà conséquent.

En parallèle, un zonage est prévu pour interdire l’accès des thoniers palangriers aux zones côtières, une proposition à 20 nautiques est à l’étude. Et ce zonage ne concerne pas que les Marquises mais toutes les îles de Polynésie française.


A la mise en place d'aires marine protégées, le gouvernement préfère celle d'aire marines gérées. Comment ce choix est-il justifié ?
La Polynésie française a mis en place, depuis 1971, des aires marines gérées qui permettent à la fois aux populations de continuer à tirer leur substance de l'océan avec la délimitation de zones de pêche réglementées, d'établir des programmes scientifiques du type « Man and Biosphere », initié par l'UNESCO en 1977 et de créer des sanctuaires marins, les plus vastes du monde, pour les mammifères marins (depuis 2002), les tortues marines (depuis 2006) et les requins (depuis 2012).
Le schéma directeur vient d’être finalisé. C’est un partenariat entre le public et les privés, construit autour d’une vision commune du développement du secteur. Il sera très prochainement décliné en politique publique pluri-annuelle. Certaines actions ont déjà été lancées, d’autre nécessiteront des études complémentaires et la recherche de financement.
Le projet de création de l’aire marine gérée Tainui Atea, a été annoncé en septembre 2016 par le président Fritch à Hawaii lors d’un congrès IUCN et repris comme engagement de la Polynésie française lors de la Conférence des Océans à l’ONU. Ce dossier est porté par le ministère en charge de l’Environnement et le projet de classement devrait très prochainement être soumis aux institutions. Il s’agit d’avoir une vision intégrée sur l’ensemble de la ZEE et non plus des projets hétéroclites qui partitionnent la zone sans vision globale et surtout qui ne correspondent pas aux aspirations des Polynésiens. Il s’agit avant tout de replacer l’homme au sein de son environnement et pas de l’exclure.
C’est également un moyen de consolider et améliorer les outils de gestion existants en privilégiant la qualité de gestion. Enfin, un tel classement rendra également plus lisible la politique de gestion des espaces maritimes au niveau local, régional et international.
A l’issue du classement, deux plans de gestion seront adoptés conjointement : le plan de gestion des espèces emblématiques (cétacés, requins, tortues, oiseaux…) ; et le plan de gestion de la pêche hauturière. Ces plans de gestion fixeront des objectifs de gestion, en conformité avec les orientations de gestion de l’aire marine géré, et définiront les mesures nécessaires pour les atteindre. Ils seront pris pour une durée de 3 à 5 ans.

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Dimanche 1 Octobre 2017 à 12:00 | Lu 6422 fois