Manon Eluère entourée des enfants de Teva i Uta qui ont participé à ses activités de Playdagogie pendant le Heiva de la commune.
PAPEETE, le 27 out 2019 - Comment parler de violence et de discrimination aux enfants ? A Teva i Uta, les techniques de prévention habituelles ne sont pas toujours efficaces... La commune a donc testé une nouvelle méthode, la "playdagogie", qui apporte une démarche très différente : laisser les enfants jouer et ressentir des émotions pour les aider à comprendre et retenir les enjeux.
Pendant le Heiva i Mataia en juillet dernier, on a pu voir des groupes d'enfants jouer comme des excités, puis s'asseoir en cercle pour discuter calmement de la violence et de la discrimination en partageant des anecdotes touchantes sur leurs vies... Une scène vraiment inhabituelle, résultat d'une nouvelle méthode d'enseignement : la playdagogie.
La playdagogie a été créée au début des années 2000 par des bénévoles de l'association Sport Sans Frontières lors d'une mission en Bolivie. Ça a été un succès spectaculaire. De retour en France, ils ont partagé leur découverte avec leurs camarades et l'association en a fait son cheval de bataille, au point de se rebaptiser Pl4y International.
Le concept : utiliser le jeu, le sport et les émotions pour aborder les sujets de société avec les enfants, que ce soit la nutrition, le handicap, l'égalité filles-garçons, la lutte contre les discriminations, la violence... Le jeu se révèle être un outil privilégié pour engager le débat avec les enfants et les faire réfléchir à des sujets sérieux.
Cette nouvelle discipline pleine de promesse s'est ensuite répandue dans les écoles européennes et mondiales comme un feu de paille, avec un succès grandissant parmi les bénévoles dans les quartiers prioritaires, mais aussi chez les professionnels de l'enseignement, en particulier les professeurs d'EPS.
UN PROJET DE LA COMMUNE ET D'UNE DOCTORANTE BÉNÉVOLE
Pendant le Heiva i Mataia en juillet dernier, on a pu voir des groupes d'enfants jouer comme des excités, puis s'asseoir en cercle pour discuter calmement de la violence et de la discrimination en partageant des anecdotes touchantes sur leurs vies... Une scène vraiment inhabituelle, résultat d'une nouvelle méthode d'enseignement : la playdagogie.
La playdagogie a été créée au début des années 2000 par des bénévoles de l'association Sport Sans Frontières lors d'une mission en Bolivie. Ça a été un succès spectaculaire. De retour en France, ils ont partagé leur découverte avec leurs camarades et l'association en a fait son cheval de bataille, au point de se rebaptiser Pl4y International.
Le concept : utiliser le jeu, le sport et les émotions pour aborder les sujets de société avec les enfants, que ce soit la nutrition, le handicap, l'égalité filles-garçons, la lutte contre les discriminations, la violence... Le jeu se révèle être un outil privilégié pour engager le débat avec les enfants et les faire réfléchir à des sujets sérieux.
Cette nouvelle discipline pleine de promesse s'est ensuite répandue dans les écoles européennes et mondiales comme un feu de paille, avec un succès grandissant parmi les bénévoles dans les quartiers prioritaires, mais aussi chez les professionnels de l'enseignement, en particulier les professeurs d'EPS.
UN PROJET DE LA COMMUNE ET D'UNE DOCTORANTE BÉNÉVOLE
En Polynésie, c'est Manon Eluère qui a introduit cette méthode à Mataiea, grâce à un partenariat avec la commune de Teva i Uta, l'Office municipal de la Jeunesse et des Sports et le Comité de surveillance et de prévention de la délinquance local.
Manon a habité en Polynésie étant jeune, elle était revenue au fenua il y a trois ans. Doctorante en psychologie du sport et grande sportive (elle est membre de l'équipe de football féminine de Rennes), elle s'est vite intéressée au phénomène Tiki Toa... Ce qui lui a permis de rencontrer Teva Zaveroni, l'ancien entraîneur-joueur de notre équipe de beach soccer préférée et membre de l'équipe municipale de Teva i Uta. "Il m'a invitée à un festival qu'il organisait, je suis allée y participer et depuis on est restés en contact. On a développé plusieurs projets ensemble". Justement, elle voulait revenir au fenua avec un projet ayant du sens. Ça a été l'introduction de la playdagogie à Tahiti. Le but : organiser des séances avec des enfants, mais surtout former des dizaines de jeunes bénévoles à cette méthode pour en faire profiter les Polynésiens (voir interview).
Les deux footballeurs ont encore de nombreux autres projets en cours, comme la construction d'un terrain de beach soccer au lieu-dit Te Horo, à Teva i Uta, avec des financements de la FFF ; ou établir un partenariat entre le club de football de Teva i Uta et celui de Rennes. Affaire à suivre donc !
Manon a habité en Polynésie étant jeune, elle était revenue au fenua il y a trois ans. Doctorante en psychologie du sport et grande sportive (elle est membre de l'équipe de football féminine de Rennes), elle s'est vite intéressée au phénomène Tiki Toa... Ce qui lui a permis de rencontrer Teva Zaveroni, l'ancien entraîneur-joueur de notre équipe de beach soccer préférée et membre de l'équipe municipale de Teva i Uta. "Il m'a invitée à un festival qu'il organisait, je suis allée y participer et depuis on est restés en contact. On a développé plusieurs projets ensemble". Justement, elle voulait revenir au fenua avec un projet ayant du sens. Ça a été l'introduction de la playdagogie à Tahiti. Le but : organiser des séances avec des enfants, mais surtout former des dizaines de jeunes bénévoles à cette méthode pour en faire profiter les Polynésiens (voir interview).
Les deux footballeurs ont encore de nombreux autres projets en cours, comme la construction d'un terrain de beach soccer au lieu-dit Te Horo, à Teva i Uta, avec des financements de la FFF ; ou établir un partenariat entre le club de football de Teva i Uta et celui de Rennes. Affaire à suivre donc !
Manon Eluère, doctorante en psychologie du sport et bénévole en Polynésie
"D'eux-mêmes ils se mettent à raconter des anecdotes d'épisodes où ils ont été victimes de harcèlements"
Qu'est-ce que la Playdagogie?
La playdagogie c'est une méthode d'enseignement basée sur une pédagogie active et participative. On base tout sur le jeu sportif. Cette discipline part du principe que les humains, en particulier les enfants, ne sont pas faits pour rester assis toute la journée, mais qu'au contraire on apprend mieux en interagissant avec ses camarades et en vivant des émotions. Donc à travers le jeu sportif, on va soulever des problématiques de société, généralement au niveau de la santé et du vivre ensemble. Cette année à Mataiea je me suis particulièrement penchée sur le vivre ensemble, spécifiquement la délinquance. On a abordé tout ce qui est résolution pacifique des conflits, comment diminuer les violences et les discriminations... (...) La méthode est destinée aux 7 à 12 ans, c'est l'âge où ça a le plus d'effet. Je l'ai aussi fait avec des ados jusqu'à 16 ans, là c'était plus pour les responsabiliser et leur expliquer la méthode pour qu'ils puissent s'en servir plus tard avec des jeunes.
Pouvez-vous nous décrire une séance typique de Playdagogie ?
Une des activités que j'ai beaucoup pratiquée avec les jeunes, c'est ce qu'on appelle le'chat de la violence'. Dans la Playdagogie, on part toujours d'un jeu que les enfants connaissent, ou un sport qu'ils ont déjà pratiqué. Dans notre exemple c'est "Le chat et la souris".
On commence par leur faire vivre le jeu qu'ils connaissent, puis vient l'étape où on va changer un petit peu l'atmosphère du jeu, par exemple on va renommer les acteurs. Là pour le chat et la souris, je leur dit 'les enfants, on va maintenant changer les rôles. Ceux qui étaient les chats, vous allez maintenant jouer le rôle de l'agresseur, et ceux qui étaient les souris, vous n'êtes plus des souris mais des victimes potentielles.' Après on change quelques règles, par exemple là quand les victimes sont attrapées, elles sont victimes de violences, elles sont blessées et ne peuvent plus courir, elles doivent marcher. Si elles sont retouchées elles sont carrément éliminées. (...) Même ceux qui n'adhèrent pas vivent des émotions, et c'est ça le principale.
Vient enfin la dernière étape, le débat, où on s'assoit tous en cercle. On essaie alors de faire le lien entre la vie réelle et ce qu'ils ont vécu pendant le jeu en utilisant les indices que l'on a relevés. D'eux-mêmes ils se mettent à partager des émotions, à raconter des anecdotes d'épisodes où ils ont été victimes de harcèlements, ou même de fois où c'est eux qui ont agressé un camarade.
Comment les enfants prennent-ils ces activités ?
Comme tout est basé sur le jeu, dès le départ ils sont amusés.(...) Mais au niveau du débat, ça ne marche pas toujours, il y a des groupes où c'est plus compliqué que d'autres. Déjà s'ils ne sont que 5 ou 6, c'est compliqué de les faire parler, 'ça fait honte', etc. Mais au fur et à mesure, on a créé un climat de confiance et les enfants se sont vraiment livrés entre eux. Il y en a qui ont témoigné avoir été victimes de harcèlements, alors on en a profité pour définir ce qu'est le harcèlement. Il y en a qui ont expliqué avoir déjà racketté des personnes... Donc tout le monde échange un peu, et je pense qu'ils ont retenu des choses. J'en entendais reparler entre eux, au fur et à mesure de la semaine, qui disaient "Voilà, il y a trois types de violences, la violence physique, verbale et psychologique...", ce genre d'exemples qui montre que ça a eu un impact.
Après, l'idéal pour la playdagogie ça serait qu'une personne puisse faire ça tout le temps, pour qu'il y ait une continuité et une logique dans les séances. Là je n'ai fait qu'une semaine, donc à la limite ça va commencer à les questionner, mais il faudrait pouvoir continuer.
Justement, tu vas former des gens à la playdagogie ?
C'est une des missions inclues dans le partenariat avec Teva i Uta qui m'a amenée ici : faire des activités avec les jeunes, faire de la playdagogie et surtout former des locaux. Je pense que ça sera beaucoup mieux que ce soit des Tahitiens qui organisent ces séances, des personnes de la même commune que les jeunes, ou encore mieux des personnes avec des parcours similaires. Avoir un profil qui parle aux jeunes, ça a plus d'impact, je vois bien par exemple que quand j'organise des séances avec des jeunes sportives, en tant que footballeuses j'ai plus leur attention.
Donc dans cet objectif, j'ai rencontré une trentaine de jeunes en service civiques. Certains travaillent dans les écoles, donc ces outils peuvent être très intéressants pour eux. Je vais aussi intervenir avec les référents de quartiers de Teva i Uta pour qu'ils puissent continuer ça. On va aussi essayer de proposer la méthode à des enseignants. Je pense que cette méthode serait parfaite pour deux problèmes que connait la Polynésie : la délinquance, mais aussi le surpoids. Je trouve que les messages de prévention essaient surtout de faire peur, on nous dit "si tu manges ça tu seras en mauvaise santé, c'est mauvais pour ton cœur", etc. Mais on voit que ça ne marche pas forcément. Avec la playdagogie, il y a des petits jeux où quand le diabète attrape quelqu'un il devient malade, où on apprend quels aliments sont bons pour le corps... Avec le jeu on vit des émotions. Dans le débat on comprend mieux, on fait le lien avec sa vie. Avec tout ça, au final on retient mieux.
Comment se forme-t-on à la playdagogie ?
J'ai entendu parler de la playdagogie pendant mon master sur l'intégration par le sport. Donc j'ai retenu ça en me disant que ça pouvait être super, notamment pour la Polynésie. Je suis très attachée à la Polynésie puisque j'ai habité ici étant plus jeune, donc j'ai toujours voulu revenir, mais en montant un projet qui a du sens.
Donc comment on se forme... Si on a le temps, il y a des cours en présentiel donnés par l'association Pl4y International. En France il y a toute une organisation, il y a un site avec des vidéos pour apprendre, des activités qui sont proposées avec des fiches pour vous guider pendant le jeu et le débat. Donc pour moi je me suis formée sur le tas, j'ai appelé les ambassadeurs Pl4y, je leur ai parlé du projet. J'ai vécu la méthode une fois, puis je me suis formée en ligne.
Qu'est-ce que la Playdagogie?
La playdagogie c'est une méthode d'enseignement basée sur une pédagogie active et participative. On base tout sur le jeu sportif. Cette discipline part du principe que les humains, en particulier les enfants, ne sont pas faits pour rester assis toute la journée, mais qu'au contraire on apprend mieux en interagissant avec ses camarades et en vivant des émotions. Donc à travers le jeu sportif, on va soulever des problématiques de société, généralement au niveau de la santé et du vivre ensemble. Cette année à Mataiea je me suis particulièrement penchée sur le vivre ensemble, spécifiquement la délinquance. On a abordé tout ce qui est résolution pacifique des conflits, comment diminuer les violences et les discriminations... (...) La méthode est destinée aux 7 à 12 ans, c'est l'âge où ça a le plus d'effet. Je l'ai aussi fait avec des ados jusqu'à 16 ans, là c'était plus pour les responsabiliser et leur expliquer la méthode pour qu'ils puissent s'en servir plus tard avec des jeunes.
Pouvez-vous nous décrire une séance typique de Playdagogie ?
Une des activités que j'ai beaucoup pratiquée avec les jeunes, c'est ce qu'on appelle le'chat de la violence'. Dans la Playdagogie, on part toujours d'un jeu que les enfants connaissent, ou un sport qu'ils ont déjà pratiqué. Dans notre exemple c'est "Le chat et la souris".
On commence par leur faire vivre le jeu qu'ils connaissent, puis vient l'étape où on va changer un petit peu l'atmosphère du jeu, par exemple on va renommer les acteurs. Là pour le chat et la souris, je leur dit 'les enfants, on va maintenant changer les rôles. Ceux qui étaient les chats, vous allez maintenant jouer le rôle de l'agresseur, et ceux qui étaient les souris, vous n'êtes plus des souris mais des victimes potentielles.' Après on change quelques règles, par exemple là quand les victimes sont attrapées, elles sont victimes de violences, elles sont blessées et ne peuvent plus courir, elles doivent marcher. Si elles sont retouchées elles sont carrément éliminées. (...) Même ceux qui n'adhèrent pas vivent des émotions, et c'est ça le principale.
Vient enfin la dernière étape, le débat, où on s'assoit tous en cercle. On essaie alors de faire le lien entre la vie réelle et ce qu'ils ont vécu pendant le jeu en utilisant les indices que l'on a relevés. D'eux-mêmes ils se mettent à partager des émotions, à raconter des anecdotes d'épisodes où ils ont été victimes de harcèlements, ou même de fois où c'est eux qui ont agressé un camarade.
Comment les enfants prennent-ils ces activités ?
Comme tout est basé sur le jeu, dès le départ ils sont amusés.(...) Mais au niveau du débat, ça ne marche pas toujours, il y a des groupes où c'est plus compliqué que d'autres. Déjà s'ils ne sont que 5 ou 6, c'est compliqué de les faire parler, 'ça fait honte', etc. Mais au fur et à mesure, on a créé un climat de confiance et les enfants se sont vraiment livrés entre eux. Il y en a qui ont témoigné avoir été victimes de harcèlements, alors on en a profité pour définir ce qu'est le harcèlement. Il y en a qui ont expliqué avoir déjà racketté des personnes... Donc tout le monde échange un peu, et je pense qu'ils ont retenu des choses. J'en entendais reparler entre eux, au fur et à mesure de la semaine, qui disaient "Voilà, il y a trois types de violences, la violence physique, verbale et psychologique...", ce genre d'exemples qui montre que ça a eu un impact.
Après, l'idéal pour la playdagogie ça serait qu'une personne puisse faire ça tout le temps, pour qu'il y ait une continuité et une logique dans les séances. Là je n'ai fait qu'une semaine, donc à la limite ça va commencer à les questionner, mais il faudrait pouvoir continuer.
Justement, tu vas former des gens à la playdagogie ?
C'est une des missions inclues dans le partenariat avec Teva i Uta qui m'a amenée ici : faire des activités avec les jeunes, faire de la playdagogie et surtout former des locaux. Je pense que ça sera beaucoup mieux que ce soit des Tahitiens qui organisent ces séances, des personnes de la même commune que les jeunes, ou encore mieux des personnes avec des parcours similaires. Avoir un profil qui parle aux jeunes, ça a plus d'impact, je vois bien par exemple que quand j'organise des séances avec des jeunes sportives, en tant que footballeuses j'ai plus leur attention.
Donc dans cet objectif, j'ai rencontré une trentaine de jeunes en service civiques. Certains travaillent dans les écoles, donc ces outils peuvent être très intéressants pour eux. Je vais aussi intervenir avec les référents de quartiers de Teva i Uta pour qu'ils puissent continuer ça. On va aussi essayer de proposer la méthode à des enseignants. Je pense que cette méthode serait parfaite pour deux problèmes que connait la Polynésie : la délinquance, mais aussi le surpoids. Je trouve que les messages de prévention essaient surtout de faire peur, on nous dit "si tu manges ça tu seras en mauvaise santé, c'est mauvais pour ton cœur", etc. Mais on voit que ça ne marche pas forcément. Avec la playdagogie, il y a des petits jeux où quand le diabète attrape quelqu'un il devient malade, où on apprend quels aliments sont bons pour le corps... Avec le jeu on vit des émotions. Dans le débat on comprend mieux, on fait le lien avec sa vie. Avec tout ça, au final on retient mieux.
Comment se forme-t-on à la playdagogie ?
J'ai entendu parler de la playdagogie pendant mon master sur l'intégration par le sport. Donc j'ai retenu ça en me disant que ça pouvait être super, notamment pour la Polynésie. Je suis très attachée à la Polynésie puisque j'ai habité ici étant plus jeune, donc j'ai toujours voulu revenir, mais en montant un projet qui a du sens.
Donc comment on se forme... Si on a le temps, il y a des cours en présentiel donnés par l'association Pl4y International. En France il y a toute une organisation, il y a un site avec des vidéos pour apprendre, des activités qui sont proposées avec des fiches pour vous guider pendant le jeu et le débat. Donc pour moi je me suis formée sur le tas, j'ai appelé les ambassadeurs Pl4y, je leur ai parlé du projet. J'ai vécu la méthode une fois, puis je me suis formée en ligne.