La permaculture en prison, une autre façon de voir le futur


Raiatea, le 25 août 2022 -  Raiatea, l’administration pénitentiaire permet aux détenus présents dans le centre de participer à des ateliers, dont un qui porte sur la permaculture. L'ensemble des huit détenus adhèrent volontairement au projet et y voient une opportunité pour préparer leur sortie et leur réinsertion. Un projet qui sera certainement reconduit jusqu’au début des travaux de rénovation de la prison.
 
Mercredi 24 août, David Pignon, en charge de l’atelier permaculture à la prison de Raiatea, devait animer sa dernière séance. La prison devait ensuite connaître une importante phase de travaux à partir de septembre. Mais les deux dernières années de crise sanitaire ont bousculé le calendrier, ce qui devrait permettre à David et aux détenus de prolonger cet atelier jusqu’à la fin de l’année.  
Véronique Meunier, directrice fonctionnelle du SPIP (service pénitentiaire d’insertion et de probation), était également présente mercredi matin pour s’entretenir avec le personnel, les détenus et David Pignon quant à la poursuite du projet compte tenu du report des travaux. Le constat est unanime : chacun souhaite voir le projet être reconduit aussi longtemps que possible. Tous les détenus apprécient le savoir que David leur transmet pour préparer leur vie future, hors des murs.

Les détenus tous volontaires
 
Cet atelier permaculture a commencé il y a quatre mois et a permis aux huit détenus de la prison de découvrir une nouvelle conception de la nature. David explique d’abord que “la permaculture est un art de vivre, fondé sur les principes de la nature, ses cycles et ses systèmes, pour les imiter dans leur fonctionnement et les recréer dans notre quotidien.”
Tous réunis dehors dans le carré jardin créé autour du tumu’uru (l’arbre à pain), les détenus traduisent ensuite les actions concrètes de la permaculture, apprises pendant l’atelier de David tous les mercredis matin de 7 à 10 heures. D’abord, la permaculture se base sur l’observation de la nature et de ses cycles (la lune, la pluie par exemple), puis, la seconde étape, consiste à couvrir le sol de paillage afin de ramener de la matière organique pour ramener la vie (les insectes par exemple) et de l’humidité pour ne jamais arroser et favoriser la sélection naturelle. Enfin, il s’agit de varier les plantes, de connaître les familles de plantes, de planter densément pour qu’il n’y ait pas trop de lumière et éviter ainsi la pousse de mauvaises herbes et permettre la dispersion naturelle des semences. Un détenu est d’ailleurs devenu spécialiste des semences.
 
L’administration pénitentiaire adhère
 
Tout ce qui est cultivé au sein du centre pénitencier est récolté et préparé dans la cuisine de la prison. Comme l’explique Ronald Léon, responsable de la structure : “Ici la dynamique générale a changé. Je suis pour la poursuite du projet et je voudrais l’étendre après les travaux. Mon ambition, c’est qu’on arrive à produire des légumes frais qui ne viennent que d’ici. Si on pouvait récupérer les fonds qui étaient destinés à la culture traditionnelle pour l’achat des engrais et des insecticides, car avec la permaculture, on n’en a plus besoin, pour agrandir l’espace permaculture, je serais content. Grâce à David, on a tous désormais connaissance de nouveaux produits comestibles qu’on ne connaissait pas avant, qui sont super bons et on aimerait le garder longtemps pour qu’il continue à nous transmettre ses savoirs. Et j’aimerais créer un poulailler pour avoir des œufs frais.”
 
Pour concrétiser leur projet permaculture, David et les prisonniers ont pour l’occasion réalisé une petite salade composée de papaye verte, de moringa, de clitoria et d’autres plantes issues uniquement du fa'a’a’pu permacole de la prison. Et David de conclure : “la nature ne produit aucun déchet. Les déchets des uns sont les ressources des autres. A nous de faire pareil”.

​Parole à deux détenus

“Quand je sortirai, je commencerai avec la permaculture”
 
“Je connaissais déjà le fa'a’a’pu mais je ne connaissais pas la permaculture. Ça a changé notre vision des choses. Au départ, j’étais sceptique car avant j’achetais mes graines mais en fait, avec la permaculture, ce sont des échanges de semences. Quand je sortirai, je commencerai directement avec la permaculture.”
 
“La permaculture, c’est permanent. C’est top et j’adore !”
“Moi, je connaissais, comme (l'autre détenu) l’agriculture traditionnelle et là c’est tout autre chose. Avec la permaculture, t’as pas besoin de te casser le dos et de creuser à la barre à mine. On n’aura pas de capital en sortant et vu qu’il ne faut pas beaucoup de place pour planter et que tu n’as pas besoin de machine pour désherber, c’est pratique. Ah franchement, moi j’adore ce projet car avec la théorie on apprend à connaître les familles de plantes et on sait qu’on ne fera pas de monoculture. Grâce à David, tu sais quelle plante il faut planter à côté de telle autre et comme ça, tu n’as pas d’insecte envahisseur. La permaculture, c’est permanent. C’est top et j’adore !”

Parole à

David Pignon, référent en permaculture
“L’atelier est basé sur le volontariat et tous les détenus y adhèrent”
 
“En parallèle de mon métier dans l’enseignement, en Nouvelle-Calédonie, j’ai découvert là-bas la permaculture. D’abord en autodidacte puis grâce à la formation dispensée par un grand semencier, j’ai intégré l’association Male’va, qui s’inscrit dans un mouvement de souveraineté alimentaire. Par le biais de cette association, nous avons accueilli un Canadien qui, sur un éco-lieu où fut fondée la première maison de la semence, nous a formés au programme PDC (Permaculture Design Course). De là j’ai pu proposer des formations en arrivant en Polynésie. J’avais déjà, dans le passé, travaillé pour des associations de réinsertion, avec des handicapés et j’ai animé ici, à Raiatea, un atelier permacole basé sur le volontariat au LUT (lycée des îles Sous-le-Vent) et il y a trois ans, j’avais soumis mon dossier au ministère de la Justice pour travailler en centre pénitencier. Au départ, ils n’avaient pas de fonds prévus, mais cette année, ils m’ont rappelé et je suis ravi de pouvoir animer cet atelier car l’administration comme les détenus sont très favorables au projet. La preuve, c’est que l’atelier est basé sur le volontariat et tous les détenus y adhèrent. Ils sont très demandeurs et par exemple, dans peu de temps, deux détenus sortiront de prison et ils sont déjà prêts à planter et à entretenir leur terrain à partir de leur expérience en prison. Moi, au niveau du jardin, je transmets un grand principe qui est d’implanter des plantes vivaces et sauvages en prenant soin du sol en le nourrissant. Je transmets ce que je suis et chacun fera sa propre expérience ensuite.”

Parole à

Véronique Meunier,
directrice fonctionnelle du SPIP
“Préparer au mieux leur sortie”
“Le centre pénitencier est occupé par huit détenus pour le moment pour 18 places habituellement. Mais en vue des travaux et de la fermeture temporaire du centre, nous avons fait en sorte que les détenus présents ici soient proches de leur fin de peine ou que des aménagements de peine puissent être envisagés. La mise aux normes va permettre au centre d’offrir de meilleures conditions de vie aux personnels et aux détenus. Le début des travaux étant retardé de quelques mois, je suis venue ici pour que le projet de permaculture au sein de la prison puisse se poursuivre. Dans les îles, il est plus difficile de trouver des ateliers mais à Raiatea, nous avons la chance de permettre aux détenus de participer à un atelier sculpture avec Guillaume deux fois par semaine, de suivre un programme scolaire à raison de 6 heures par semaine et de se former avec David à la permaculture 3 heures hebdomadaires. Tous ces ateliers ont pour but d’occuper les détenus tout en leur permettant de préparer au mieux leur sortie car la prison est une sanction, c’est certain mais ce n’est qu’un passage et notre but est de prévenir la récidive et la délinquance. Nous espérons que ces ateliers leur permettent de sortir en étant mieux avec des compétences à mettre à profit. Et à partir du moment où nous avons des projets innovants comme celui d’aujourd’hui, nous travaillons beaucoup avec Mélanie Place, coordinatrice socio-culturelle, pour monter des projets et les financer, surtout dans les prisons éloignées où l’offre n’est pas la même qu’à Tahiti. Il n’y a rien de pire que l’ennui en prison et grâce à ces ateliers, nous pensons pouvoir les aider à mieux préparer leur vie future.”

Rédigé par Marion Alexandre le Jeudi 25 Aout 2022 à 17:58 | Lu 2468 fois