La perle de Tahiti bientôt confrontée à la concurrence chinoise


Ces perles de couleur chinoises se positionnent déjà sur le marché américain
PAPEETE, le 11 mai 2015 - La perle de Tahiti est en crise, et cette fois ça semble grave. Les clients se font rares, les prix sont au plus bas, les huîtres meurent, et l'arrivée de nouvelles perles de couleur développées par des perliculteurs chinois pourraient finir d'achever le secteur…


Pourquoi la perle de Tahiti souffre-t-elle autant à l'international ? Les chiffres de l'ISPF depuis janvier sont catastrophiques, avec une baisse de 42% sur le premier trimestre, par rapport au même trimestre en 2014. Les marchés japonais et chinois, nos principaux clients, sont particulièrement affectés.

Pour Aline Baldassari-Bernard, présidente de l'Association de promotion de la perle polynésienne (la TPAFP), "la perliculture est dans une situation déplorable. Si l'international ne marche pas, tu ne peux pas lutter. On a fait de la promotion en 2014, ça n'a pas marché. On est dans un trou. Les bijoutiers font tous faillite. Le prix est démentiel (beaucoup trop bas)."

Un des plus gros négociants internationaux de perles de la place, Loïc Wiart, nous confirme que les chiffres d'affaires des exportateurs connaissent une baisse de presque de moitié, depuis maintenant environ un an : "le problème c'est la demande, elle est très faible. C'est en avril 2014, quand la TVA est montée au Japon, que ça a diminué. Après, le Japon est entré en récession et ça n'est jamais remonté. La croissance économique en Chine ralentit. En Europe c'est cuit depuis un moment, et aux États-Unis, même si ça remonte un peu, ça n'a jamais été un gros marché."

Aline Baldassari-Bernard ajoute quelques précisions : "un des plus gros points c'est la chute du yen, qui a renchéri le coût de nos perles sur ce marché. Il y a aussi un grand programme de lutte contre la corruption en Chine, qui provoque une forte baisse de la consommation de produits de luxe chez les VIP…"

Les deux confirment enfin que la crise économique mondiale fait qu'il y a de très gros stocks à l'international, ce qui provoque un effondrement de la demande pour les perles de mauvaises qualité, même si les belles perles colorées et les pièces les plus haut de gamme trouvent encore preneur. "Mais les perles foncées et grises ne se vendent plus" explique Loïc Wiart.

Les Chinois inventent les perles d'eau douce… de couleur

Les perles de couleur sauvent donc les meubles… Mais pour combien de temps ? Un nouveau problème est l'avancée des techniques de greffe des Chinois pour leurs perles d'eau douce, généralement blanches. Ils peuvent désormais greffer des nucléus, ce qui donne des perles bien plus rondes. Et après des années de sélection, ils commencent à obtenir naturellement tout un panel de couleurs, allant de cuivré/doré à aubergine. La vraie couleur noire leur reste encore inaccessible (sauf à teinter les perles chimiquement).

Les perles d'eau douce de couleur étaient jusque-là très rares et chères. Mais elles seraient désormais prêtes à être produites en masse et à envahir le marché mondial en cassant les prix, assure Jeanne Lecourt, présidente de la FPPF (qui regroupe des perliculteurs indépendants) et qui siège à la commission perlière de la CIBJO (l'organisation qui organise toute la bijouterie mondiale). La Cultured Pearl Association of America (CPAA) est rangée derrière cette innovation, au point d'organiser un grand concours pour donner un nouveau nom à ces perles d'eau douce avec nucléus…

Du coup, c'est encore une raison de plus pour laquelle les acheteurs internationaux seraient attentistes. Nos meilleures perles les intéressent toujours, mais nos perles les moins belles ne trouvent plus preneur. Les bijoutiers, qui ont déjà trop de stocks de perles de Tahiti et pas assez de clients, attendent de voir ce que donnent ces nouvelles concurrentes à bas prix venues de Chine…

"En Polynésie il n'y a plus de nacres"

Si l'ambiance est à la déprime chez les perliculteurs, c'est qu'en plus de ne plus trouver de débouchés pour leur production, leur activité même est mise en danger par les facteurs environnementaux et climatiques. "À Takaroa, l'atoll est complètement mort après deux ans de "bloom", des explosions d'algues. Et il n'y a plus de nacres. En Polynésie, 2014 était une année de non-captage : on récupère de moins en moins d'œufs de nacre sur les captages" s'inquiète Aline Baldassari-Bernard.

Quelle promotion pour la perle de Tahiti ?

Jeanne Lecourt, vice-présidente de la FPPF, une fédération de nombreux perliculteurs, bijoutiers et artisans indépendants, nous explique que l'ambiance chez les professionnels est à la panique. Pour elle, une des causes principales du dévissage de la perle par rapport aux autres bijoux est l'absence de budget pour la promotion de notre gemme à l'international : "la taxe sur les exportations de perles, qui finançait la Maison de la perle avant sa fermeture, est maintenant intégrée au budget général du Pays. Le gouvernement avait promis que ces sommes seraient reversées aux différentes associations privées qui se sont montées, via des subventions, mais rien n'est tombé."

Cette version est contestée par Aline Baldassari-Bernard, présidente de la TPAFP : "C'est totalement faux. En 2013-2014 la Maison de la perle était fermée. Nous avons ouvert la TPAFP en juillet 2014, et l'Assemblée nous a accordé 52 millions Fcfp de subventions". La présidente explique que cet argent a finalement été versé à l'association en mars 2015, pour financer les opérations 2014. Du coup des problèmes administratifs font que seulement 30 millions Fcfp ont pu être utilisés, dont à peine 10 millions a pu être investi au Japon. Le reste de ce budget promotionnel (18 millions Fcfp) sera rendu au Territoire…

En gros, depuis deux ans ce sont 30 millions Fcfp qui ont été dépensés pour la promotion de notre perle à l'international, contre 50 millions Fcfp chaque année auparavant.

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Jeudi 7 Mai 2015 à 15:15 | Lu 4262 fois