La pergola



- 'Ey ! 'Ia ora na Sam !

S'exclama la caissière avec un grand sourire. Elle portait une fleur d'hibiscus à l'oreille et la veste du magasin de bricolage ouverte sur un t-shirt « Captain Fenua ».

- 'Ia o Vai.

Répondit Sam d'une petite voix en glissant son article sur le tapis.

- 'E aha te huru ? Elle avance cette pergola ?

Vai connaissait le vieux Sam depuis qu'elle était toute petite. Il venait des Tuamotu, mais avait débarqué à Tahiti bien avant sa naissance. Elle aimait les rides de son visage noircies par le soleil, ses bras asséchés, musclés et veineux. Il était de ces infatigables travailleurs, héros d'une autre époque, sans téléphone, sans soda, sans superflu.

Sam ne répondit pas, les yeux perdus dans le vague.

Vai prit l'article entre ses mains et fit mine de chercher le code-barres. Elle fit exprès de prendre un temps exagérement long pour faire réagir le vieil homme. Vai était sûre de le faire râler un bon coup et que tout se finirait dans un grand éclat de rire.

Rien.

D'autres clients commençaient à s'impatienter dans la file, mais Vai leur jeta un regard noir qui les calma aussitôt.

- Tu sais Sam...

Elle s'interrompit. Un homme s'était approché de la caisse, un badge « Responsable » épinglé en travers de sa chemise. Il se contenta de tapoter sur une affichette installée juste en face de Vai sur le plexiglas. Puis, sans avoir dit un mot, fit demi-tour.

La note sur papier rouge disait « Dans le cadre de l'amélioration des relations clients, nous rappelons aux employés d'utiliser dorénavant le vouvoiement de manière systématique ».

Vai leva les yeux au ciel.

- Tu sais Sam, reprit-elle. Je ne crois pas que tu aies besoin de ça pour ta pergola. Ce qu'il te faut c'est du vernis. Ça oui ! Et demain c'est en promo !

Elle se pencha alors au-dessus du tapis et posa sa main sur le bras du vieux Pa'umotu.
Il se tourna vers elle. Ses yeux brillaient un peu.

- Demain Sam. Et je veux des nouvelles de cette fameuse pergola, tu n'y couperas pas, je viendrai te débusquer chez toi s'il le faut !

Vai prit alors l'article, le cacha derrière la caisse sur ses genoux et croisa les bras avec un air de défi.

Pour la première fois Sam sourit. Son visage fermé se détendit et il s'exclama :

- Sorcière va ! C'est comme ça que tu traites tes vieux clients ! On peut plus acheter ce qu'on veut, obligé de repasser ! T'en foutrais des promos, moi. Voleurs !

Sam maugréait encore quand il sortit du magasin, les mains vides. Vai le suivit du regard.

- Euuuh, Madame ?

- Oui, vous voulez quoi ?! aboya Vai au client suivant.

- Des... des sécateurs.

Le bip des scans reprit, mais Vai pensait encore au vieux Sam. Il aidait souvent dans le quartier quand elle était petite. Des menus travaux, des courses, parfois un poisson pour dépanner. « C'est la façon Pa'umotu » il disait toujours en riant.

Sur les genoux de Vai se trouvait une corde de deux mètres, enroulée serrée.

Elle passerait le voir ce soir chez lui, juste pour être sûre.


Thibaud Guillaud-Saumur