La moitié des blocs opératoires du CHPF fermés par pénurie d'infirmiers


Tahiti, le 15 novembre 2022 – Confronté à une pénurie d'infirmiers spécialisés, le Centre hospitaliers de la Polynésie française (CHPF) doit aujourd'hui fermer la moitié de ses blocs opératoires et reprogrammer ou différer ses opérations chirurgicales. Le syndicat des praticiens hospitaliers dénonce les conséquences d'une “gestion strictement administrative et comptable” d'un établissement “laissé en déshérence”. La direction joue la transparence et fait le constat d'une situation post-Covid de “saturation sans précédent” du CHPF couplée à de réelles difficultés dans la gestion actuelle des ressources humaines des professionnels de santé.
 
“En ce moment, on fait réunions de crises sur réunions de crises”, se désolait-on mardi matin au Centre hospitalier de la Polynésie française (CHPF). La situation s'envenimait depuis plusieurs mois, mais elle s'est encore détériorée ces tout derniers jours. Sur les huit blocs opératoires dont dispose l'hôpital de Taaone, quatre sont actuellement fermés par manque "d'IBODE". Des “infirmiers de bloc opératoire diplômés d'État”. Personnels hospitaliers indispensables à l'activité des chirurgiens en blocs opératoires, ces infirmiers spécialisés manquent aujourd'hui cruellement au CHPF.
 
Marc Lévy, médecin à l'hôpital et président du syndicat hospitalier de Polynésie française, confirme le lien de cause à effet entre les fermetures des salles d'opération de l'hôpital et le manque de personnel infirmier qualifié pour cette activité spécifique. “En métropole, il y a une pénurie globale d'infirmier de bloc. Il y a aussi des difficultés pour recruter”, explique le médecin. “En Polynésie, nous avons environ un tiers des effectifs d'infirmiers de bloc manquant.” La direction de l'hôpital, qui ne dément absolument pas le problème, évoque davantage le chiffre de 20% de postes vacants.
 
“Conséquence, sur huit salles d'opération, on est obligé d'en fermer trois à quatre. Ce qui conduit à annuler à peu près la moitié des opérations chirurgicales programmées”, poursuit le Dr Marc Lévy. Alors qu'il y a déjà plusieurs mois d'attente pour la chirurgie programmée, les opérations les plus bénignes doivent encore être différée. “Et pour les patients qui ont besoin d'interventions urgentes quand ils se présentent à l'hôpital, on est obligé de les repousser de 24 à 48 heures.” Une situation qui pèse sur les patients, mais aussi sur les professionnels de santé qui doivent gérer les mécontentements et le flux tendu de la gestion des opérations les plus urgentes.
 

Le président du syndicat des praticiens hospitaliers, Marc Levy.
Une “gestion comptable” pointée du doigt
 
À l'origine du problème, le président du syndicat des praticiens hospitaliers affirme des départs d'infirmiers de bloc opératoire sont prévus depuis des mois, mais qu'il y a eu “un manque d'anticipation de l'hôpital dans les recrutements”. Plus précisément, le médecin affirme que seules des annonces de recrutement ont été effectuées “à l'échelle locale”. Et que ce n'est que très récemment que des annonces nationales ont été faites. Sauf que, pour le Dr Marc Lévy, il n'existe pas la ressource suffisante en infirmiers de bloc au fenua. “Nous considérons qu'il y a eu un retard sur l'efficacité des procédures de recrutement.” Une situation qui a pesé sur l'ambiance de travail et menée à des démissions supplémentaires et des arrêts maladie, poursuit le médecin. “Les circonstances de pénurie de personnel font que les tensions s'aggravent, c'est de plus en plus difficile de répondre aux beoins des patients. Le personnel est extrêmement sollicité, ça pose des problèmes d'attractivité et d'absentéisme.”
 
Le syndicat des praticiens hospitaliers pointe directement la responsabilité des gestionnaires du CHPF. Qu'il s'agisse de la direction ou plus en amont des responsables politiques, laisse entendre le Dr Levy. “L'hôpital est laissé en déshérence alors que son bon fonctionnement est vital pour la population. Tous ces problèmes sont la conséquence de la gestion strictement administrative et comptable de l'hôpital. C'est dénoncé par les syndicats depuis des années. Et il n'y a absolument pas de prise en compte de ces demandes.” Le Dr Levy dit regretter qu'après avoir prouvé tout son intérêt dans le système de soins polynésien pendant la période de la pandémie, le Centre hospitalier ne soit pas mieux considéré. “La gravité et le nombre des patients nécessitant des soins hospitaliers est de plus en plus important, mais les budgets n'augmentent pas en conséquence, les statuts sont complétement obsolètes et rien n'est fait pour améliorer la situation sur le fond.”
 
La direction ne cache rien
 
Du côté de la direction, on l'a dit, pas question de minimiser le problème. La directrice de l'établissement, Claude Panero, date elle-même au mois d'avril dernier la situation de pénurie au bloc qui a entraîné des fermetures de salles d'opérations. “Fermer des salles de bloc induit des déprogrammations d'activité”, concède Claude Panero. “Aujourd'hui, toutes les mesures sont prises pour, avec la communauté médicale, procéder à une évaluation médicale des prises en charge.” L'hôpital assure ainsi la répartition des prises en charges des patients à opérer, qu'ils soient maintenus au Centre hospitalier ou répartis dans les cliniques privées. “On a mobilisé les autorités sanitaires qui nous accompagnent dans la gestion, en lien avec les cliniques et la Direction de la santé, de façon à ce qu'on ait une gestion territorialisée de la situation.”
 
La directrice du CHPF se dit également consciente de l'impact de cette situation sur les praticiens hospitalier. “Tout ceci entraîne un sentiment légitime d'insatisfaction de l'ensemble des équipes, puisque voir un bloc opératoire fonctionner à pleine capacité alors que les besoins en soins sont importants et le nécessitent, c'est évidemment une préoccupation majeure et collective que nous avons aujourd'hui.” Sur les recrutements, la direction de l'hôpital conteste en revanche n'avoir procédé qu'à des prospections locales dans un premier temps. “Les recrutements locaux sont prioritaires, en revanche l'établissement actionne tous les leviers nationaux et régionaux parce que, localement, on n'arrive pas à trouver les ressources. Il se trouve que les recrutements qu'on a opérés ces dernières semaines et ces derniers mois sont tous des recrutements locaux, puisque les appels à candidatures faits en métropole se sont avérés infructueux.”
 

La directrice du Centre hospitalier, Claude Panero.
Une tension hospitalière “forte et durable”
 
Pour Claude Panero, ce n'est pas tant un loupé dans les recrutements qu'une situation “exceptionnelle” plus globale et plus conjoncturelle que traverse aujourd'hui le centre hospitalier. Chiffres à l'appui, la directrice dépeint une situation qu'elle contextualise avec “deux éléments conjugués” qui conduisent à une “tension hospitalière très forte et a priori durable”. Premièrement, la période post-Covid a été marquée par un rebond “prévisible” d'activité assez aigu au CHPF. Mais la particularité, c'est que cette situation perdure dans le temps. Pour Claude Panero, il y a “une saturation sans précédent de l'établissement” qui s'intensifie et qui fait que l'hôpital ne désemplit pas.
 
Les prises en charge aux urgences, dans les deux unités les plus graves, progressent en 2022 de +33% et +66%. “Ce qui vient illustrer la détérioration de l'état de santé de la population et son besoin croissant de prise en charge hospitalière”, constate Claude Panero. La directrice dit également enregistrer des taux d'occupation record. Plus de 100% dans les services de médecine-chirurgie de l'hôpital, avec quelques exemples de spécialités : 117% en pneumologie, 180% en oncologie, 106% en cardiologie… “Tout ça induit évidemment un sentiment d'insatisfaction de la population, qui est appelée à attendre plus longtemps aux urgences, jusqu'à 7 heures parfois, ou attendre des reports de rendez-vous”, déplore sans détours la directrice du CHPF.
 
Deuxièmement, elle évoque de profondes difficultés dans la gestion du personnel de l'établissement depuis la pandémie. Elle affirme que la crise Covid a “beaucoup affecté les professionnels de santé” et qu'on observe aujourd'hui “beaucoup de personnes qui se réinterrogent sur le déroulé de leur carrière, qui manifestent à l'hôpital aujourd'hui des aménagements de temps de travail, des mises en disponibilité, des demandes de temps partiel, voire des démissions”. Claude Panero en veut pour preuve un taux d'absentéisme particulièrement élevé dans son établissement : +37% de progression des arrêts maladies et +47% du nombre de jours d'arrêts de travail. “On est confronté à des situations très exceptionnelles et nous cherchons à faire face à chacune de ces situations.”
 
Quelles pistes ?
 
Si la situation de pénurie au bloc opératoire ne se résoudra pas en quelques jours, la directrice affirme que le CHPF a réorienté ses priorités, notamment budgétaires, pour résorber cette situation. “On active tous les leviers de recrutement”, assure Claude Panero. Intégration, formation, compagnonnage pour recruter et former du personnel de bloc opératoire : “On essaie d'explorer toutes les voies possibles”. La construction du budget 2023 a également été élaborée sur une série de projets appelant à “renforcer des filières, proposer des alternatives à l'hospitalisation complète, augmenter les capacités en hospitalisation, les capacités en bloc opératoire…” Reste à espérer que les effets de ces réformes se fassent sentir assez rapidement sur les personnels et les patients de l'hôpital. Visiblement, il y a urgence.
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Mardi 15 Novembre 2022 à 22:49 | Lu 3803 fois