La menace permanente des espèces invasives


Le rhinocéros de cocotier, nuisible très présent chez nos voisins du Pacifique, n'a heureusement pas encore foulé le sol polynésien. On croise les doigts. (photo : Alix Madec - NC))
Tahiti, le 25 janvier 2024 – Si la Direction de l'environnement (Diren) œuvre à la préservation de la biodiversité, cette dernière oscille entre la gestion des espèces exotiques invasives et la protection des espèces remarquables. Une approche double et simultanée qui suscite bien des problématiques, surtout lorsque la population locale ne joue pas le jeu. Aujourd'hui, plus que jamais, la Diren se trouve sur le qui-vive.
 
Selon une étude portée par la Direction de l'environnement, de 2013 à 2019 la mise à jour de la liste rouge des espèces végétales endémiques de Polynésie française a montré que 78% d’entre elles étaient impactées par la présence d'espèces envahissantes. Aujourd'hui, la liste des espèces menaçant la biodiversité compte 52 espèces terrestres : 39 espèces végétales et 13 animales (mammifères, oiseaux, reptiles, insectes, mollusques, vers). Un état des lieux qui a permis de montrer que, quel que soit l'archipel, les espèces envahissantes se concentrent sur les îles où les échanges de marchandises sont les plus importants, c'est-à-dire celle aux plus fortes densités de population. Ainsi, les dix îles de Tahiti, Moorea, Raiatea, Taha'a, Huahine, Bora Bora, Hiva Oa, Nuku Hiva, Rurutu et Tubuai hébergent chacune plus de 20 espèces menaçant la biodiversité, alors que les 109 autres îles habitées de Polynésie française sont relativement épargnées.
 
Effectifs réduits et actions ciblées
 
Responsable de la préservation de la biodiversité, la Diren dispose de moyens humains et financiers bien définis. Une réalité qui l'oblige à adapter ses actions en fonction de ses ressources : “Nous sommes davantage dans la prévention, l'intervention rapide sur des alertes précoces, et puis sur des programmes dédiés surtout”, explique Christophe Brocherieux, chargé de projet à la Direction de l’environnement. “Le but n'est pas de mettre des pansements, ni de s'attaquer à tout et n'importe quoi à la fois. Nous ciblons nos efforts. Aujourd'hui, nous concentrons ces efforts sur cette cinquantaine d'espèces invasives, tout en essayant de préserver les espèces remarquables du Pays.”
 
Une mission que le spécialiste avoue être difficile : “Notre réalité, à nous, agents de la Diren, c'est que nous sommes peu nombreux et qu'au final nous ne passons que 20 à 30% de notre temps sur le terrain. Il faudrait plus de monde et plus de moyens, mais aujourd'hui ce n'est pas possible. Notre quotidien, c'est de consulter, réceptionner des offres et surtout passer des commandes publiques pour des actions concrètes à tel endroit, pour protéger telle espèce.” Car si le nombre d'agents de la Diren est limité, sur le terrain, en revanche, les acteurs sont nombreux : Particuliers, associations, entreprises certifiées etc.
 
Des réussites et des échecs
 
Les menaces extérieures étant omniprésentes, la Diren sait qu'elle doit rester vigilante. En effet, l'essentiel des espèces invasives a été introduit par l'homme, souvent par inadvertance. Un casse-tête sans fin pour les autorités publiques face à une population peu conciliante. “Nous avons la chance d'avoir une brigade cynophile à la Direction de la biosécurité, qui intervient régulièrement à l'aéroport et qui fait un travail remarquable’, rassure néanmoins Christophe Brocherieux, qui préfère ne pas noircir le tableau : “Il y a des espèces exotiques envahissantes qui sont hélas arrivées en Polynésie c'est vrai, mais beaucoup d'autres, présentes chez nos voisins du Pacifique, n'ont pas franchi la frontière. Nous sommes vigilants et attentifs à certaines d'entre elles, comme le Rhinocéros du cocotier (Oryctes rhinoceros), originaire d'Asie du Sud-Est et présent aux Samoa, Fidji ou encore aux Vanuatu.”
 
En revanche, dans le cas où une espèce arrive à s'implanter sur le territoire polynésien, les choses se compliquent rapidement pour le Pays et la Diren. Éradication par voies chimiques ou introduction d'un nouveau prédateur sur le sol polynésien, les deux méthodes ont déjà montré leurs limites : “Avec la fourmi de feu, nous avons essayé de grosses campagnes de traitements chimiques afin de nettoyer des zones à grandes échelles. Hélas, si à court terme la solution semblait efficace, sur le long terme c'était une autre histoire. Car en faisant ça, on tuait toutes les espèces en même temps, et finalement la première à se réapproprier ces zones étaient la fourmi de feu. Une erreur de notre part, d'autant qu'avec le temps, on a remarqué que les autres fourmis se sont mises naturellement à interagir avec cette dernière et ont considérablement stoppé sa propagation dans certaines zones.” Et concernant l'introduction d'une nouvelle espèce afin de venir à bout d'une autre, les risques sont tout aussi élevés. En témoignent l'introduction d'espèces telles que le busard de Gould, initialement introduit pour lutter contre les rats, ce dernier s'en est vite pris à d'autres oiseaux endémiques. Idem pour le Merle, qui était censé venir à bout de la guêpe jaune.  
 
C'est pourquoi, pour la Diren, le message est clair : “Il faut absolument limiter l'introduction d'espèces invasives et faire plus attention. Surtout lorsque l'on revient de voyage, ou quand on pense faire plaisir à un proche en lui offrant une plante du jardin. Ces gestes font partie des causes principales de propagation d'espèces exotiques invasives sur le territoire.”

Certains voyageurs ne reculent devant aucune fantaisie. En témoigne les iguanes retrouvées à Papeete et Taravao en 2021. (Photo : DIREN)

Rédigé par Wendy Cowan le Jeudi 25 Janvier 2024 à 15:26 | Lu 2692 fois