La mémoire de Rapa retrouvée


Christian Ghasarian, professeur à l’université de Neuchâtel et membre associé du laboratoire d’anthropologie des institutions et des organisations sociales (LAIOS) est un spécialiste de l’île de Rapa. Il a traduit et publié le texte de John Stokes.
TAHITI, le 3 octobre 2021 - “Ethnologie de l’île de Rapa”, écrit par John Stokes et rendu au commanditaire de ses recherches en 1930 a été traduit et édité par Christian Ghasarian avec ‘Api Tahiti. Un trésor “inestimable” qui participe à “sauvegarder le patrimoine de l’humanité à travers la diversité de ses expressions”.

Le précieux texte de John Stokes vient de sortir, publié par ‘Api Tahiti avec le concours de la Commission des publications de la faculté des lettres et sciences humaines de l’université de Neuchâtel et la Maison des Sciences de l’homme du Pacifique. Il se découpe en divers chapitres sur l’histoire, la vie quotidienne, les techniques matérielles, les mythes et légendes. Il y est question des clans et des guerres, de naissance et de mort, d’agriculture, de chasse, de pêche…

Le chercheur a séjourné sur l’île de Rapa entre mai 1921 et janvier 1922. Après avoir été directeur du Bernice Bishop Museum de Honolulu à Hawaii de 1912 à 1918, il a participé en qualité d’ethnologue à la Dominick Bayard Expedition, une mission scientifique lancée le 8 septembre 1920 dans les îles polynésiennes pour étudier l’origine des migrations.
Christian Ghasarian, professeur à l’université de Neuchâtel et membre associé du laboratoire d’anthropologie des institutions et des organisations sociales (LAIOS) est un spécialiste de l’île de Rapa où il s’est rendu à plusieurs reprises et sur laquelle il a déjà beaucoup écrit. Il revient ici sur les travaux de John Stokes.

Tahiti Infos : Comment avez-vous eu connaissance de l'existence de ce manuscrit ?

Christian Ghasarian : “L’ethnologue Allan Hanson, qui a réalisé une recherche sur Rapa dans les années 1960, cite dans son propre livre, “Rapa. Île d’hier et d’aujourd’hui”, ce manuscrit qu’il avait consulté au Bishop Museum de Hawaï. La population de l’île n’en n’avait pas vraiment connaissance lorsque je suis arrivé à Rapa au début des années 2000. La seule évocation locale de Stokes se rapportait au lexique de mots Rapa publié dans un article posthume et sur lequel le Tomite reo (comité) de l’île se reposait pour retrouver la langue des tupuna qui s’était perdue en raison de l’influence du tahitien sur l’île. Pierrot Faraire, qui en était le président, gardait précieusement un exemplaire de ce lexique qui servait de base aux discussions du comité.

Dans votre préface, vous parlez d'un texte “inestimable”, en quoi l’est-il ?

Les données exposées dans ce manuscrit sont inestimables précisément parce que pour la plupart elles ont disparu de la mémoire locale. La publication de ce qu’a relevé John Stokes 100 après ses recherches permet ainsi de retrouver des savoirs anciens oubliés sur les clans, sur les mythes, sur les techniques matérielles (agricoles, de pêche, de cuisson, etc.), sur les pare, ces mystérieuses constructions en forme semi-pyramidales sur les crêtes de l’île, sur le rapport ancestral à la terre, etc.”

Avez-vous fait des recherches sur John Stokes, qui était-il ?
L’homme était apparemment pudique et il ne dit rien de lui dans son manuscrit. C’est à travers les diverses lettres qu’il a envoyées de l’île et que l’on retrouve aux Archives du Bishop Museum que l’on comprend son respect envers la population et sa volonté de l’étudier le plus précisément possible. Je les ai toutes incluses à la fin de l’ouvrage et leur lecture permet aussi de comprendre comment il est tombé en disgrâce auprès de la direction du Bishop Museum, auquel il n’a finalement remis qu’en 1930 un manuscrit inachevé que j’ai dû réorganiser et éditer pour sa version en français.”

Vous parlez, toujours dans votre préface, d'ethnographie boasienne, mais qu'est-ce que cela plus précisément ?
L’ethnographie que John Stokes a menée s’inscrit dans les orientations de la discipline de l’époque qui, suivant les recommandations de l’anthropologue Franz Boas, voulait recueillir un maximum de données dans les sociétés dont on pensait qu’elles allaient peu à peu disparaître dans leur forme ancienne. Ces enquêtes qualitatives nécessitaient un séjour prolongé et une immersion dans le milieu étudié. C’est ce qu’a fait John Stokes qui est resté neuf mois à Rapa en 1921.”

Le manuscrit n'a donc jamais été publié avant votre livre, même pas en anglais ?

Non, il reste toujours dans sa forme inachevée d’un quasi-brouillon, raturé, avec des répétitions et des fautes de style, dans les Archives du Bishop Museum. Cette version française est donc la seule qui valorise son travail et le rend accessible au grand public.”

Pourquoi est-ce important de porter à la connaissance d'un public contemporain des faits, habitudes qui remontent à un autre siècle ?
Il s’agit non seulement de sauvegarder le patrimoine de l’humanité à travers la diversité de ses expressions mais aussi de faire connaître les savoirs et pratiques des anciens de Rapa à leurs descendants aujourd’hui, aux Polynésiens et à tous ceux intéressés par l’histoire culturelle de cette région du monde."

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Rédigé par Delphine Barrais le Dimanche 3 Octobre 2021 à 13:54 | Lu 2550 fois