La mémoire de Ahutoru ravivée à Hitia’a


La stèle a été dévoilée jeudi matin, dans les jardins de la mairie de Hitia’a (Crédit : Anne-Charlotte Lehartel).
Tahiti, le 7 novembre 2024 – Son visage est désormais gravé dans la pierre, dans le district qui avait assisté à son départ “historique” en 1768. Premier Polynésien à se rendre en France, Ahutoru est décédé trois ans plus tard, le 7 novembre 1771, date choisie par l’association familiale Ia Faahotu ia rahiti pour l’inauguration d’une stèle commémorative. 

 
Une centaine de personnes étaient réunies dans les jardins de la petite mairie de Hitia’a, ce jeudi matin, pour honorer la mémoire de Ahutoru. Né à Raiatea, il était le fils d’un chef, mais aussi le premier Polynésien à avoir embarqué sur La Boudeuse avec Bougainville, le 15 avril 1768, à Hitia’a, pour traverser les océans et rejoindre la France.
 
“Lors de cette aventure, il fit connaître aux Européens l’art de la navigation aux étoiles, et marqua le début d’une ère d’échanges entre la Polynésie et l’Europe, mais il ne put aller aussi loin qu’il aurait voulu. Il mourut à Madagascar, sur le chemin du retour à Tahiti, où selon l’usage, le 7 novembre 1771, son corps fut livré à la mer lors d’une cérémonie chrétienne de la Marine royale”, a rappelé le maire de Hitia’a o te Ra, Henri Flohr.
 

Chants et percussions traditionnelles ont rythmé la cérémonie.

Hommage à un ancêtre


À la demande de l’association familiale Ia Faahotu ia rahiti, la municipalité a accepté d’accueillir une stèle commémorative visant à “honorer cet homme qui, il y a plus de 250 ans, a marqué l’histoire de la Polynésie et de la France grâce à son courage et sa curiosité, comme un symbole d’ouverture et de rencontre des cultures”. Cette stèle a été dévoilée lors d’une cérémonie particulièrement émouvante pour l’auteur de l’œuvre, le sculpteur marquisien Warren Huhina, qui a déposé ses larmes sur le visage de Ahutoru, désormais gravé dans la pierre.
 
L’émotion était également palpable pour Francis Barbos, ancien maire délégué de Hitia’a, heureux d’avoir contribué à réaliser le projet de son père, Edgar Valentin Barbos, tāvana du district avant lui, tout en étant porteur d’un appel teinté de gravité. “Il avait eu cette idée il y a quarante ans, en sortant peut-être cette pierre de la rivière Mahateaho. C’est aussi une façon de rendre hommage à notre papa, lui qui disait souvent : ‘Qui apprendra notre histoire à nos enfants, si nous ne sommes plus là demain ?’. Nous devrions mieux connaître nos ancêtres. Il est temps de se réveiller !” estime-t-il, en tant que descendant de Ahutoru.
 

Une centaine de personnes ont assisté à l’inauguration, dont plusieurs représentants officiels.

“Le retour de Ahutoru parmi les siens”


Grâce à ses recherches et à ses mots justes, Véronique Dorbe-Larcade, maître de conférences à l’université de la Polynésie française, a embarqué les convives dans un voyage dans le temps captivant, ponctué de succès et de blessures. “Il a marqué le cœur des gens […]. Et surtout, Ahutoru, on ne l’a jamais oublié à Hitia’a. […] C’est vrai, son histoire, on ne la connaît pas très bien […]. Mais je crois que la force de Ahutoru est dans cette pierre et dans la ténacité qu’ont eue les gens de sa famille à vouloir maintenir le fait qu’il soit toujours là. C’est le retour de Ahutoru parmi les siens”, a souligné l’auteure du livre “Ahutoru ou l’envers du voyage de Bougainville à Tahiti”, paru l’an dernier.
 
Parmi les invités officiels, le contre-amiral Guillaume Pinget a également rendu hommage au parcours de cette figure polynésienne : “Cette confiance que Ahutoru a donné aux marins français, c’est quelque chose qu’il faut qu’on entretienne tous ensemble. C’est une histoire qui gagne à être connue et transmise des deux côtés de la planète.” C’est la vocation de cette stèle, pensée comme un lieu de mémoire et de transmission accessible à tous.
 

Warren Huhina, sculpteur de Hiva Oa : “Un parcours de guérison”

“C’est ma première œuvre sur pierre dans ce style, et surtout tout seul. Tout a commencé en début d’année 2024, quand cette famille a voulu me rencontrer pour pouvoir terminer un projet commencé par leur père. Ce que j’ai ressenti, c’était une envie de guérir. C’est cette raison qui m’a fait accepter de travailler chez eux, avec eux et pour eux. Personnellement, ça a été un parcours de guérison pour cette famille, pour cet ancêtre, pour ce peuple et pour moi-même. Je suis persuadé que l’art peut guérir.”

Rédigé par Anne-Charlotte Lehartel le Jeudi 7 Novembre 2024 à 15:25 | Lu 1891 fois