"La lutte contre le narcotrafic est d’abord une affaire de renseignements" (Gérald Darmanin)


La simplification de la procédure de la défiscalisation et l'extension des secteurs éligibles va faire partie des demandes du gouvernement et des parlementaires auprès de Gérald Darmanin. Photo : AFP
PAPEETE, le 26 juillet 2018. Gérald Darmanin, ministre de l'Action et des Comptes publics, est en déplacement au fenua. Il se rendra à la direction régionale des douanes ce matin, qui a réalisé d'importantes saisies de cocaïne au cours des derniers mois en Polynésie. Demain, il ira sur l'île de Bora Bora pour parler de l'économie touristique. Le gouvernement polynésien souhaiterait que la défiscalisation soit étendue à l'activité de croisière. Interview.

Vous allez vous rendre ce matin au service des douanes. Plusieurs saisies de grande ampleur de cocaïne ont été réalisées au cours des derniers mois en Polynésie. Quels moyens l'Etat met-il en place pour lutter contre ces trafics ?
Gérald Darmanin : Je serai durant quatre jours pleins en Polynésie française à l’invitation du président Edouard Fritch avec lequel j’ai une excellente relation de travail. J’aurai l’occasion de rendre visite à l’ensemble des services de l’Etat qui sont sous ma responsabilité. A ce titre, je tiens à saluer le travail très important de nos douaniers pour lutter contre tous les trafics, notamment celui de stupéfiants. Comme vous le savez, la Polynésie française est située au milieu de la route Pacifique Sud, avec un flux important de voilier : 700 sont déclarés chaque année. Les récentes opérations d’interception de stupéfiants menées aussi bien par les autorités françaises qu’étrangères témoignent de l’importance prise au cours des deux dernières années par le trafic de cocaïne dans le Pacifique. Les autorités françaises, en étroite coopération avec leurs partenaires étrangers, participent activement à la répression de ce trafic international. Ce travail s’opère en liaison avec le procureur de la République et implique, bien sûr la douane, la gendarmerie nationale, les forces armées en Polynésie.
La Polynésie française se prête particulièrement aux interventions maritimes, en raison de son immensité et de l’éparpillement de ses 118 îles et atolls. L’ensemble des administrations coopèrent d’une façon ou d’une autre à la répression du trafic de produits stupéfiants. Les forces armées et plus particulièrement la marine nationale disposent de moyens importants de surveillance et d’intervention (navires et aéronefs). Enfin, comme vous le savez, la douane dispose juridiquement d’une compétence d’initiative dans les 24 nautiques.

La Polynésie française étant vaste comme l'Europe, les moyens maritimes dont disposent les autorités sont-ils suffisants ?
Au-delà des moyens, la lutte contre le narcotrafic est d’abord une affaire de renseignements. Nos services travaillent avec minutie sur ces trafics, avec leurs moyens propres mais aussi en liaison avec des services partenaires étrangers. Ainsi, les moyens n’interviennent pas au hasard mais de façon ciblée. Localement, la coopération inter-administrations et les nouvelles technologies, en particulier un recours croissant à l’imagerie satellite, ont permis de conduire plusieurs opérations complexes en 2017, parfois à des distances très éloignées de Tahiti. Ces aspects de coopération interservices devront être tout particulièrement renforcés.

De même, les moyens maritimes sont-ils suffisants pour effectuer des missions de surveillance et lutter contre la pêche illégale ?
La surveillance de la Zone économique exclusive (ZEE) et de ses abords est conduite dans le cadre de l’action en mer, en particulier grâce au Centre Maritime Commun (CMC) et aux moyens des forces armées. Des contrôles ont lieu à la mer, des signalements sont faits. Ce dispositif, est efficient et visible ce qui le rend dissuasif : la ZEE est bien protégée et les flottilles de pêche étrangères sont maintenues à l’extérieur.

Quel message ferez-vous passer lors de votre visite au service des douanes ? Le service des douanes va-t-il disposer de moyens supplémentaires pour faire face à la nouvelle situation de la Polynésie, qui est désormais située sur la route des trafiquants ?
Je viens en Polynésie française pour faire un état des lieux de l’action de l’Etat en mer sur place. J’ai demandé aux douaniers de se consacrer en priorité à la lutte contre la fraude et la question est posée des voies d’amélioration de leur capacité d’intervention, en complément des autres partenaires (gendarmerie maritime, marine nationale). J’ai demandé au directeur général des douanes d’étudier tous les scénarios possibles pour les renforcer.

En mars dernier, lors de la présentation des résultats des douanes vous avez souligné qu'il fallait s'inspirer de ce qui se fait aux Antilles et renforcer la coopération avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Concrètement, comment cela peut-il se faire ? Comment l'Etat va intervenir pour renforcer la coopération avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande ?
Il y a quelques mois, j’avais effectivement salué l’important travail mené par la douane en Polynésie française et dans les Antilles en matière de lutte contre les trafics de stupéfiants. J’avais souligné un bilan et des résultats 2017 globalement en hausse dans la saisie de stupéfiants et j’avais en particulier évoqué la saisie qui fut opérée, ici, de 1,7 tonne de cocaïne sur deux voiliers au début du mois de janvier et, pour toute l’année 2017, tous services confondus, se sont 2,1 tonnes qui, grâce à la l’action combinée des services, ont été mises « hors circuit » du trafic international. Nous devons renforcer cette coopération sur la problématique du narcotrafic : nous avons notamment constaté l’ouverture d’une nouvelle route vers l’Australie et la Nouvelle-Zélande via le canal de Panama, qui traverse la Polynésie française. Il s’agit ainsi d’explorer notamment l’amélioration de l’échange de renseignements avec nos partenaires dans le Pacifique.

L'océan Pacifique est aussi un enjeu géostratégique, puisqu'il est bordé des plus grandes puissances économiques du monde : les Etats-Unis, la Chine et le Japon. Comment l'Etat compte-t-il se positionner en Polynésie française face à cet enjeu ?
Comme vous le savez, le statut d’autonomie confère beaucoup de compétences à la Polynésie française, y compris celle de négocier avec les Etats ou territoire du Pacifique tout arrangement en vue de favoriser son développement économique, social et culturel. Dans ce cadre, l’État accompagne et soutient la Polynésie française dans toutes ses stratégies et politiques publiques et en défend les intérêts sur la scène internationale, car la collectivité polynésienne est au sein de la République Française, nos « grands voisins » le savent bien et ils respectent ce territoire très convoité. Au terme de la procédure du « Brexit », la France sera la seule « parcelle de l’Europe » dans le Pacifique sud. Les enjeux stratégiques et économiques du futur placent donc la Polynésie française dans une position centrale de cet axe Indopacifique dont a parlé le Président de la République.

La défiscalisation nationale joue un rôle important dans l'économie polynésienne, en particulier le tourisme et l'économie bleue. Comment l'Etat va-t-il accompagner le Pays dans ces deux secteurs ?

Le tourisme et l’économie bleue font partie des axes principaux de développement du territoire. Par l’intermédiaire de ses partenariats financiers et du dispositif de la défiscalisation, l’Etat est aux côtés du Pays pour la mise en œuvre de ces deux politiques publiques. Pour la seule année 2017 par exemple, six programmes d’investissement ont reçu le bénéfice de la défiscalisation nationale, ce qui représente un montant estimé à près de 3,5 milliards de francs pacifiques (soit 29 millions d’euros) pour le renforcement de l’activité et des emplois dans la construction navale, l’hôtellerie ou les charters nautiques. Le contrat de projets 2015-2020 entre l’Etat et le Pays consacre au développement touristique une enveloppe de 8,95 milliards de Fcfp (75 millions d'euros). Le soutien financier de l’Etat se porte également sur les ressources primaires issues de l’océan, la pêche, l’aquaculture ou la perliculture (le contrat de projets prévoit 2,69 milliards de Fcfp (soit 22,5 millions d'euros).
Je sais que de nombreux projets ont déjà vu le jour. Je pense notamment, en lien avec le tourisme nautique, au développement d’infrastructures permettant d’accueillir les usagers de la mer, ou encore à la construction d’un écomusée sur l’île de Moorea et à la rénovation du Musée de Tahiti et des îles.
J’ai noté que l’économie bleue était présente dans le « Livre Bleu outre-mer », qui constitue la feuille de route du gouvernement pour les outre-mer. Il fera l’objet dans les semaines à venir d’arbitrages interministériels pour prévoir, en lien avec le Pays, sa déclinaison concrète dans les territoires.

La Polynésie française souhaiterait que le dispositif de défiscalisation nationale soit étendu à d'autres secteurs, notamment à l’activité de croisière par exemple et qu'un traitement local de la procédure administrative de défiscalisation soit mis en place en Polynésie française. Que répondez-vous à ces demandes ?
Le gouvernement a décidé de proroger le dispositif d’aide à l’investissement outre-mer, initialement prévu jusqu’à fin 2017, jusqu’au 31 décembre 2025 pour les collectivités d’outre-mer. Deux sujets sont à l’étude. L’ouverture du dispositif de la défiscalisation à la navigation de croisière, qui fera l’objet d’un examen comme l’ensemble des autres suggestions issues des Assises des outre-mer dont nous allons expertiser la faisabilité et la pertinence pour le territoire polynésien.
Les pistes d’amélioration de la procédure, afin que l’aide économique directe que constitue la défiscalisation soit mise en œuvre dans les meilleures conditions. C’est là encore un chantier ouvert sur lequel je n’ai pas encore pris de décision, mais que je compte examiner lors de ce déplacement ; j’attends un travail technique afin de rendre les arbitrages nécessaires, en lien d’ailleurs avec le récent rapport parlementaire déposé par la délégation aux outre-mer de l’assemblée nationale sur la défiscalisation dans les outre-mer.

La mobilité des fonctionnaires ultramarins est un sujet de préoccupation en Polynésie française. L'article 85 de la loi Egalité réelle Outre-mer (Erom) de février 2017 rend prioritaire le retour en Polynésie des fonctionnaires d’État polynésiens. Dans la pratique, cela semble compliqué à mettre en place dans certains ministères. Ce dispositif va-t-il être amélioré ?
Ces mesures ont, dans un premier temps, proposé la prise en compte des centres d’intérêts matériels et moraux (CIMM) dans les critères de mutation de la fonction publique. C'était déjà une étape majeure pour les milliers de fonctionnaires des outre-mer qui peuvent désormais être plus facilement affectés dans leur territoire d’origine. Dans un second temps, la loi Erom de février 2017 a érigé la reconnaissance d'un CIMM dans l’une des collectivités d'outre-mer en priorité légale d’affectation pour tous les fonctionnaires de l’État. Ces dispositions de 2016 et 2017 ont contribué à améliorer la situation des fonctionnaires détenant leur CIMM dans l’une des collectivités d’outre-mer et souhaitant y être affectés. Mais ces améliorations notables ne sont sans doute pas suffisantes. C’est tout l’enjeu de la mission du Député Olivier Serva qui s’est achevée par une étape en Polynésie française. Il vient de remettre au Premier ministre son rapport de mission sur « la valorisation et l’attractivité de la fonction publique ultramarine ». Sur ces bases, le gouvernement dira, en temps utile, les voies d’amélioration qui sont possibles.


Le programme en détail

Aujourd'hui
Le ministre arrive ce vendredi matin à 5h20 à l'aéroport de Tahiti Faa'a. La journée commencera par le traditionnel dépôt de gerbe par le ministre au monument aux morts de Papeete. Gérald Darmanin s'entretiendra ensuite avec le président du Pays, Edouard Fritch, puis le président de l'assemblée Gaston Tong Sang.
Il se rendra ensuite à la direction régionale des douanes et des droits indirects, à Motu Uta, où il rencontrera les agents.
Le nouveau système de dédouanement sera également présenté à Gérald Darmanin avant de rencontrer les organisations syndicales de la Fonction publique de l’Etat.
L'après-midi, il visitera le Centre opérationnel de Tahiti et du Centre Maritime Commun de Polynésie française, au Comsup. Là, lui seront présentées les actions conduites en matière de lutte contre le trafic de produits stupéfiants en mer et le cadre de l’intervention des forces armées dans l’action de l’Etat, principalement en mer.
En milieu d'après-midi ce vendredi, il montera à bord du bâtiment multi-missions « Bougainville ». Ce navire est intervenu début juillet après l'échouement du Thorco Lineage à Raroia. En fin de journée, il participera à une réunion technique sur la coordination des services de l’Etat en mer.

Samedi
Samedi matin, Gérald Darmanin visitera le câblier destiné à relier le système de communication à haut débit par câbles sous-marins à fibre optique de Tahiti aux îles Marquises et Tuamotu.

Il s'envolera ensuite pour l’aéroport de Bora Bora. Cette fin de journée sera axée sur l’économie touristique en Polynésie. L'après-midi, il rencontrera les professionnels du tourisme autour de l’hôtellerie polynésienne et de la filière nautique avant d'assister à une présentation du Sea-Water Air Conditionning (SWAC) comme exemple d’un système innovant.

Dimanche
A Tahiti, dimanche, il déjeunera avec des chefs d’entreprise au haut-commissariat pour évoquer les "enjeux douaniers".
En fin d'après-midi, à l’invitation du président du Pays, séquence culturelle d’explication du Heiva et de la signification d’un marae avec le spectacle de la troupe Hitireva au marae Arahurahu.
Dimanche soir, il se rendra à l’aéroport avec la brigade de surveillance extérieure de la direction régionale des douanes et des droits indirects.
Lundi, pour sa dernière journée au fenua, pour mieux connaître la filière pêche et mareyage en Polynésie française. Il assistera au démarrage d'une criée, visitera les ateliers de découpe et de transformation et le navire Lady Chris 6 ou 7 construit par le chantier naval Nautisport. Pour terminer, le potentiel de la pêche hauturière pour le développement économique lui sera présenté.
Ensuite, il visitera les services de la direction générale des finances publiques (DFIP) avant de s'entretenir avec les parlementaires polynésiens.
Il quittera le fenua lundi soir

Rédigé par Mélanie Thomas le Vendredi 27 Juillet 2018 à 03:00 | Lu 3028 fois