La fédération des Tū’aro mā’ohi fière mais préoccupée


Tahiti, le 14 juillet 2024 – Ce dimanche, marquait la dernière journée du Heiva consacré aux Tū'aro mā'ohi. L'occasion pour le président de la Fédération des sports et jeux traditionnels, Enoch Laughlin, de faire un tour d'horizon de ces pratiques sportives et des différentes perspectives d'avenir qui s'offrent à elles. Car hélas, si les opportunités sont nombreuses, les moyens ne suivent pas forcément.
 
La ferveur est réelle. Chaque année, les Tū'aro mā'ohi, ou sports traditionnels, rassemblent un public toujours plus grand et surtout plus sensible à la démarche prônée par la Fédération des sport et jeux traditionnels : la performance au service de la culture et du partage. Une notion qui fait écho chez les différents 'aito du triangle polynésien, tous désireux de renouer des liens oubliés ou rompus. En témoignent les accolades, les poignées de main ou les sourires échangés à la fin de chaque épreuve. Car que l'on soit de Rimatara, Moorea, Hawai'i ou des îles Cook, si la compétition existe bel et bien, elle ne l'emporte jamais sur la bienveillance, l'ADN des peuples autochtones. En effet, aujourd'hui, le Heiva des Tū'aro mā'ohi fédère et a pour lui cette chance d'être enrichi par les savoir-faire de chaque région.
 
“En fonction des épreuves, on retrouve très souvent les favoris”, témoigne Enoch Laughlin, président de la Fédération des sports traditionnels, à l’occasion du Heiva Tū’aro mā’ohi qui s’est déroulé samedi et dimanche au parc Vairai. “À l'exemple du Patia fa où l’on retrouve bien évidemment l'île d'Anaa qui est encore une fois en super forme, mais également l'ensemble des équipes des Tuamotu. C'est vraiment une tradition de chez eux. Et puis dorénavant, il y a également des pays ou des îles qui viennent mieux préparés. Je pense notamment à la Nouvelle-Zélande qui s'est imposée à la course des porteurs de fruits du côté des femmes, mais également au soulever de pierre. Hawai'i montre aussi de très belles choses cette année. Fort heureusement, nous avons aussi nos forces propres, tout à l'heure au lever de pierre dans la catégorie des super-lourds, nous retrouverons nos fantastiques Tuha'a Pae par exemple.”
 
Tahiti peu représenté, mais un vivier de crossfiteurs en vue
 
Si une pointe de regret subsiste, c'est sur la participation relativement faible des habitants de l'île de Tahiti, pourtant terre d'accueil de ce Heiva des Tū'aro mā'ohi : “Nous sommes sur une île désormais très urbanisée où certaines activités comme le coprah ne sont plus pratiquées donc il est difficile de créer des équipes de Tahiti”, explique le président de la fédération. Et pour cause, lorsque des athlètes de Tahiti osent se présenter, il s'agit très souvent de personnes originaires des îles, notamment des Raromata'i. Pour autant, un nouveau vivier tend à se faire connaître depuis deux ans : les crossfiteurs.
 
“Il y a ce vivier d'athlètes qui est important et que l'on doit aller chercher”, confie Enoch Laughlin. “Ce sont des athlètes qui ont le physique pour, la condition, et qui viennent avec joie s'essayer aux sports traditionnels.” Et le président de la Fédération des Tū'aro mā'ohi ne croit pas si bien dire. Véritables gladiateurs des temps modernes, les crossfiteurs présentent des qualités athlétiques hors normes et arrivent déjà à réaliser de belles performances sur certaines épreuves, à l'exemple de Vaihau Bottari chez les garçons, ou encore de Juliette Vizier et Mahana Maiarii plus récemment chez les athlètes femmes à la course des porteurs de fruits. Hinatea Montebello, championne incontestée en matière de crossfit sur le territoire, s'est également magistralement illustrée au soulever de pierre, terminant 3e de sa catégorie. Le potentiel est là.
 
Un succès indéniable mais un contexte contraignant
 
Fière de l'engouement qu'elle suscite, la Fédération des sports et jeux traditionnels demeure cependant sur la réserve. En cause, un succès et des opportunités qu'elle ne pense pas, dans l'immédiat, pouvoir assurer : “Pour être honnête, ça me fait un peu peur”, déclare Enoch Laughlin. “Nous avons énormément de propositions. Pas plus tard qu'hier, nous avons eu la visite d'un représentant de l'Utah, aux États-Unis, qui est venu nous voir pour nous proposer d'organiser un festival des Tū'aro mā'ohi, chez eux, l'année prochaine. Dernièrement, nous avons également reçu une représentante de la ville de Miami qui souhaite intégrer les sports traditionnels à sa compétition de va'a. Hawai'i et la Nouvelle-Zélande veulent également organiser des événements. C'est bien mais il faut cadrer tout ça. Financièrement, on ne pourra pas suivre. Et c'est un danger aussi pour nous, car si nous n'arrivons pas à suivre le mouvement, l'engouement pour notre événement prendra également un coup.” Composée aujourd'hui uniquement de bénévoles, la Fédération doit faire face non seulement à son succès mais aussi et surtout au travail qu'il entraîne : “Un événement comme le nôtre, ça se prépare depuis janvier déjà. Et ce n'est pas évident, il y a toute la paperasse administrative, l'organisation à mettre en place, etc. Nous sommes des bénévoles donc chacun donne un coup de main quand il peut. Ce n'est vraiment pas évident.” Si les sports traditionnels ont définitivement de l'avenir, il faudra néanmoins trouver de nouvelles ressources pour accompagner leur essor.


Rédigé par Wendy Cowan le Dimanche 14 Juillet 2024 à 17:43 | Lu 787 fois