La famille Grey dément avoir une dette de deux milliards aux Samoa


Le Sheraton Samoa Aggie Greys Hotel and Bungalows Apia avait été reconstruit grâce à un prêt de 2 milliards Fcfp du gouvernement samoan, qui n'a jamais été totalement remboursé.
PAPEETE, le 13 décembre 2018 - Selon le Samoa Observer, le gouvernement des îles Samoa menace de saisir des biens de la famille Grey si une dette de deux milliards de francs pacifique n'est pas remboursée avant janvier. La famille Grey est propriétaire de six hôtels en Polynésie. Mais de nouveaux éléments viennent contredire cette information.

Mise à jour le 14 décembre : Ce matin nous avons été reçus par Frédérick Grey en personne, qui nous a présenté des éléments contredisant la version de l'article publiée par le Samoa Observer, notre source principale pour cet article. En particulier, il a reçu une lettre d'excuse du ministre des Finances des Samoa en personne, Sili Epa Tuioti. Le ministre y explique que "(ses) commentaires rapportés par les médias peuvent avoir donné l'impression que le groupe Grey, après avoir vendu le Sheraton Aggie Grey Hotel aux nouveaux investisseurs en 2017, n'a pas suffisamment travaillé avec la Development Bank of Samoa pour s'assurer que les nouveaux propriétaires respecteront leurs obligations envers la banque." Il ajoute que "le gouvernement est bien au courant (que les inondations à répétition de l'hotel ont compliqué le remboursement du prêt) et nous travaillons avec les nouveaux investisseurs chinois pour trouver une solution qui leur permettra de rembourser le prêt accordé par le gouvernement des Samoa lors de la reconstruction de l'hôtel." Donc si le ministre ne contredit pas directement les informations du Samoa Observer, il affirme que c'est bien aux nouveaux investisseurs chinois de rembourser cette dette.

Frédérick Grey nous a aussi confirmé que le terrain de l'hôtel, hypothéqué pour le prêt, avait été vendu avec l'établissement aux nouveaux investisseurs chinois, contrairement à ce qui est affirmé par l'enquête du Samoa Observer. Par contre la méprise a pu venir du fait que le groupe Grey a conservé la propriété du casino de l'hôtel et de son terrain. Les investisseurs chinois n'ont racheté que l'établissement hotelier, avec les dettes encourues pour sa reconstruction. Cette dette de 50 millions de tala (2 milliards de francs) aurait déjà été remboursée à hauteur de 4 millions de tala. Mais le "soft loan" (prêt public à taux très avantageux) accordé par la Development Bank of Samoa pour la reconstruction de l'hôtel dure 25 ans, donc jusqu'en 2037. Selon ces nouvelles informations, les propriétaires chinois de l'hôtel ont demandé une période de grâce de un an dans le remboursement du prêt, le temps de reconstituer leur trésorerie après avoir dû dépenser 15 millions de talas (607 millions Fcfp) en nouveaux travaux de rénovation encourus après des inondations en février et avril 2018. Pour éviter de nouvelles inondations, le gouvernement samoan aurait d'ailleurs entamé des travaux pour canaliser la rivière voisine... Des travaux financés par des aides internationales à hauteur de 35 millions de dollars US (3,7 milliards de francs).

Mise à jour à 16h le 13 décembre : Une source bien informée au sein du Grey Investment Group nous a contactés pour nous assurer que les articles du Samoa Observer que nous citons dans ce papier sont erronés : "Il y a eu des erreurs de la part du Samoa Observer dans la retranscription des citations du ministre des Finances. Le ministre nous a écrit en personne pour s'excuser de cette erreur, et le Samoa Observer va bientôt retirer son article." Cette même source nous assure que "les dettes de la société ont été transférées aux investisseurs chinois en même temps que les actifs du Aggie Grey's Hotel and Bungalows. Le gouvernement samoan ne compte saisir aucun bien de la famille Grey."

Article original publié à le 13 décembre à 13h15 : La famille Grey est rapidement devenue un acteur économique incontournable en Polynésie. Ces investisseurs d'origine samoane ont ainsi racheté Tahiti Nui Travel en 2016, la plus grosse agence de voyage locale regroupant les entreprises Tahiti Nui Travel, Tahiti Tours, Tekura Travel Tahiti et Pacific Experience. De plus, la société Grey Investment Group a rapidement construit un empire hôtelier en Polynésie ces dernières années, rachetant six établissements depuis 2012 : le Méridien Tahiti, le Ia Ora de Moorea, le Sofitel Marara, le Sofitel Private Island de Bora Bora, le Manava Beach Resort Moorea en juin 2017 pour finir par le Hawaiki Nui de Raiatea en novembre 2018, via sa société TNT. Enfin, le groupe est maintenant associé à deux autres partenaires néo-zélandais pour la construction de la première tranche du Village Tahitien, le grand projet de développement touristique de Outumaoro.

Ce redéploiement à marche forcée de la famille Grey en Polynésie a laissé quelques affaires en suspens dans son pays d'origine, les îles Samoa, qui les rattrapent aujourd'hui. Le gouvernement du petit pays du Pacifique réclamerait en effet le remboursement d'un prêt de 50 millions de tala (2 milliards de francs cfp) accordé en 2012 par la banque publique Development Bank of Samoa à la famille Grey pour la reconstruction de son mythique Aggie Grey's Hotel and Bungalows. C'est un hôtel "4,5 étoiles" situé en bord de mer dans la capitale Apia. Il avait été sévèrement endommagé en 2012 par des inondations causées par le cyclone Evan. Lors de la reconstruction, les Grey avait alors inclut un casino dans l'hôtel.

Une pression politique forte pour obtenir le remboursement

Un bon investissement puisqu'en 2017, l'hôtel-Casino était revendu à un groupe d'investissement chinois. Sauf que la dette, elle, n'a été que partiellement repayée. Le journal Samoa Observer a ainsi interrogé le ministre des finances samoan, Sili Epa Tuioti, sur les actions qu'allait entreprendre le gouvernement pour obtenir le remboursement de cette dette. Il leur a répondu que le gouvernement était en cours de négociation avec les nouveaux propriétaires chinois, mais que tous les moyens seraient utilisés pour obtenir le remboursement avant janvier.

Le sujet est en effet chargé politiquement dans l'île, où la Development Bank of Samoa a saisi les biens de chefs d'entreprises qui avaient échoué à rembourser des sommes bien plus petites. De plus, la vente de l'hôtel à des investisseurs étrangers semble être impopulaire dans le pays insulaire au mode de vie très traditionnel (voir articles du Samoa Observer), d'autant que le montant de la vente est allé à la famille Grey au lieu de servir à rembourser la dette.

Le terrain de l'hôtel pourrait être saisi

Du coup, le gouvernement samoan se dit prêt à saisir les propriétés de la famille Grey hypothéquées lors de l'obtention du prêt, en particulier le terrain sur lequel le Aggie Grey's hotel est construit. Le terrain, qui sert de garantie au prêt selon le Samoa Observer, serait resté la propriété de la famille Grey, même si l'hotel lui-même a été vendu. Sa saisie serait un coup dur pour les Grey, bien qu'ils conservent de nombreuses entreprises et propriétés aux Samoa.

A noter que les investisseurs chinois, emmêlés eux-aussi dans cet imbroglio financier, ont publié un communiqué en juin dernier quand le problème du remboursement de ce prêt avait été soulevé pour la première fois par le parlement samoan. Ils expliquaient alors : "Comme vous le savez, depuis que nous avons acheté l'hôtel, nous avons été touché deux fois par des inondations importantes (en février et avril 2018, NDLR). La première inondation était encore plus grave que celle de 2012 et en conséquence nous avons investi près de 15 millions de talas (607 millions de francs) de nos propres fonds pour nettoyer les dommages causés, sans nous endetter. (...) En tant que nouveaux propriétaires, nous avons joué de malchance avec la météo aux Samoa, mais nous restons optimistes dans notre investissement, tout comme dans les efforts du gouvernement samoan pour faire croître le tourisme aux Samoa." Les investisseurs ont rouvert l'hôtel en août, et organisent des vols charter depuis la Chine pour le remplir.

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Jeudi 13 Décembre 2018 à 13:13 | Lu 4450 fois