La falaise de Maruapo débarrassée de la fourmi de feu


Tahiti, le 23 avril 2021 - Trois ans après le premier épandage, plus aucune trace de cette peste rouge dans la vallée de Maruapo. Menée par la Sop Manu afin de préserver l'habitat du très rare Monarque de Tahiti, l’opération peut se targuer d'avoir relevé deux challenges : éradiquer complètement une méga-colonie sur plus de 16 hectares de forêts et traiter une falaise sur 300 mètres de haut. Coût de l’opération : 5 millions.
 
“Il fallait attendre trois années pour être certain que des petites fourmis de feu (PFF) ne subsistaient pas dans le haut des arbres traités et dans la falaise“ écrit la Sop Manu dans un communiqué de presse diffusé aujourd’hui. Trois ans pour s’assurer que la PFF a bien libéré la vallée Maruapo à Punaauia. Une victoire confirmée officiellement ce matin par la Sop et l’occasion de revenir sur trois ans de lutte contre l’espace envahissante.

A l’origine de cette opération d’éradication, la désertion en 2016 de cinq Monarques de Tahiti des falaises de Maruapo, infestées de petites fourmis de feu. Pour l’association à l’époque, s’en est trop. La survie de l’oiseau endémique en danger critique d'extinction est suffisamment importante pour justifier le déploiement d’un dispositif de grande ampleur. D’autant que la petite peste rouge forme des colonies de plusieurs hectares, ne laissant rien sur son passage, si ce n’est des animaux aveugles et des pucerons dont elles récoltent le “miellat“ (liquide excrété).

Avec l’aide d’une cohorte de spécialistes du Pacifique, dont Gary Morton et Ben Hofmann (Australie), Cas Vanderwoude (Hawaii), Matai Depierre (Diren) ou Hervé Jourdan (Nouvelle-Calédonie), un plan opérationnel est mis au point.

Vertigineuse et impraticable

Le protocole de traitement retenu prévoit l’utilisation de produits classés peu ou non toxiques dans la liste des substances autorisées en Polynésie : le S méthoprène et l'Hydraméthylnone. “Elles ont été choisies car elles sont très rapidement détruites par le soleil, l’eau, l’humidité, ou la chaleur selon les cas, justifie l’association. Nous avons testé leur impact in situ et constaté le retour dans la forêt d’un peuplement d’insectes et d’araignées varié six mois après le dernier épandage“. En parallèle, la société partenaire Matarai élabore un panier épandeur transportable par les drones.  
 
Mais l’association doit encore relever le challenge de voler à des altitudes négatives pour traiter une falaise vertigineuse et impraticable, sur plus de 300 mètres de haut. “Les lignes de vol des drones ont été calculées bénévolement par l’ingénieur Gérard Peels et la société Matarai avait obtenu les autorisations de la part de l’Aviation Civile pour voler dans ces conditions extrêmes“ rapporte l’association.
 
Afin de s’assurer que les intrus ne recolonisent pas la falaise, l’association a également dû s’attaquer aux 7,2 hectares du lotissement Te Maru Ata. Car c’est par là que la peste rouge est arrivée et c’est d’ailleurs par l’activité humaine qu’elle se propage (lire encadré). Une soixantaine d’habitations ont donc été traitées au fipronil ultra-dilué, un gel développé par Hawaii Antlab. “Grâce à une participation active, y compris financière, des habitants du lotissement, seuls 500 m2 sur quatre lots hébergent encore des PFF, félicite l’association. Deux autres colonies sont en cours d'éradication“.

Nouveaux épandages sur Punaauia

Ainsi entre août 2017 et janvier 2018, ce sont au total 16 hectares de forêts et de précipices qui ont été traités, à raison de quatre épandages par drones de deux à trois journées chacune. “C’est un véritable partenariat technique entre Matarai et la SOP qui a rendu cette aventure possible, chacun ayant apporté ses compétences dans leurs domaines très spécifiques“ souligne l’association, remerciant au passage le soutien de l’Union Européenne (via les financements BEST), de la mairie de Punaauia, du Pays et de 13 autres partenaires.
 
Le succès de ces épandages pourrait même inspirer le déploiement de nouvelles opérations en zone forestière. “C’est l’idée, mais la réussite sur ce site avec cette végétation sèche ne veut pas dire que cela va forcément marcher ailleurs, nuance Thomas Ghestemme, directeur de la SOP. Nous devons épandre en 2021 sur 33 hectares sur Punaauia, mais il faudra également tester dans des forêts plus humides de l’île“.

Si trois ans après le premier traitement, aucune fourmi de feu n’a montré le bout du nez, la falaise fait toujours l’objet d’une surveillance étroite, des pieds à la tête, avec l’aide de cordistes professionnels notamment. Il s’agit d’éviter une ré-infestation. Ce qui passe par la sensibilisation du public. Une campagne de prévention devrait voir le jour très prochainement, en partenariat avec la mairie de Punaauia.

Le test du beurre de cacahouètes

Les fourmis s’agglutinent surtout autour du beurre de cacahouète.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, elles ne se propagent pas toutes seules. Encore une fois, les activités humaines y sont pour quelque chose. Et une fois implantées, les colonies progressent d’environ 50 mètres par an. En l’espace de 30 ans, la petite fourmi a colonisée la moitié des terres sur Arue rappelle l’association. Pour éviter une ré-infestation, les particuliers sont invités à adopter les bons gestes, meilleures barrières contre la PFF.
 
Au rang des comportements à risque identifiés, l’association relève le fait de ramener des plantes en pot ou du matériel végétal (tronc, coco, bourre de coco, fleurs du type oiseaux de Paradis, bananiers…), d’utiliser du terreau ou de la terre venant de l’extérieur, de faire des travaux d’enrochement, de remblai ou de gravier, voire même de récupérer des déchets variés (déchèterie, bord de route).
 
Le cas échéant, l’association invite à vérifier la présence effective des petites bêtes, en faisant le test du beurre de cacahuète sur un bâtonnet à entreposer à l’ombre pendant une heure.
Notez que les PFF n’aiment pas non plus les passages trop fréquents, la pluie, ou trop de vent, mais aussi que les poules ou les chiens adorent aussi le beurre de cacahuète. A l’issue d’une heure d’attente, si vous observez une fourmi orange, minuscule (de la taille d’une petite tête d’épingle), qui se laisse tomber facilement du bâtonnet, ou qui s’agglutinent autour sans forcément s’installer directement dessus, vous êtes probablement en présence de cette peste.

 

Rédigé par Esther Cunéo le Vendredi 23 Avril 2021 à 16:32 | Lu 3388 fois