La culture face au défi de la réinsertion


Le programme a été lancé en septembre au centre de détention de Papeari (Crédit : Anne-Charlotte Lehartel).
Tahiti, le 25 avril 2024 - Chaque lundi depuis septembre, 40 détenus de Tatutu reçoivent les enseignements du Conservatoire artistique de la Polynésie française. Deux professeurs de danse et de percussions traditionnelles interviennent au centre de détention de Papeari, en lien avec le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip).
 
Depuis le mois de septembre, à raison d’une heure et demie par semaine, une quarantaine de détenus de Tatutu ont rendez-vous avec le Conservatoire artistique de la Polynésie française (CAPF) - Te Fare ‘Upa Rau. Si le cours de percussions traditionnelles est le plus suivi, la danse tahitienne a aussi trouvé ses adeptes.
 

Tamatea Ondicolberry, professeur de ‘ori tahiti.


Deux professeurs mobilisés

Chaque lundi après-midi, du côté de la salle de spectacle, Tamatea Ondicolberry poursuit l’apprentissage de la chorégraphie associée au thème que John Mairai a commencé d’écrire avant son décès. “Au départ, ils ne savaient pas danser. À la fin de l’année, le but, c’est qu’ils aient appris tous les pas de base et qu’ils sachent maîtriser leur corps et suivre le rythme pour présenter un spectacle en interne. Je sens que ça leur tient à cœur de montrer leurs progrès. J’ai vu une belle évolution ! À mon niveau, ça me permet d’affiner ma pédagogie”, confie le professeur de ‘ori tahiti qui compte plusieurs performances à son actif, dont le titre de meilleur danseur au Heiva i Tahiti 2018.
 
Dans le gymnase, les percussions résonnent haut et fort sur les conseils de Teihotua Tehei, enseignant également primé au concours annuel et membre du groupe Sissa-Sué. “C’est une première belle expérience pour moi. Ça se passe très bien : ils ont beaucoup appris et ils progressent ! La musique, c’est une source de bonheur et d’apaisement. Ça peut aussi leur apporter des opportunités professionnelles. Ils savent que la porte est ouverte pour venir jouer avec moi au Heiva.”
 

Teihotua Tehei, professeur de percussions traditionnelles.


Identité et estime de soi

Ce projet est cofinancé par le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip) et le centre de détention. “On remercie le personnel qui veille au bon déroulement des activités et le conservatoire qui est impliqué dans le programme malgré la distance”, souligne Tehere Guillots, cheffe de l’antenne du Spip à Tatutu.
 
Ce partenariat, qui concerne également Nuutania pour la deuxième année consécutive, comporte plusieurs objectifs sur le chemin de la réinsertion. “On s’aperçoit que la culture occupe une part importante dans la vie des personnes détenues. Ces activités permettent de développer l’estime de soi. La culture joue un rôle dans l’identité des personnes qui arrivent ici avec un manque de repères, notamment les plus jeunes. Avec le conservatoire, la discipline se professionnalise. C’est valorisant, car ils acquièrent des compétences avec une formation de qualité. Il faut bien comprendre qu’avec certains détenus, on part de loin, donc venir à des horaires précis et sortir de sa zone de confort, ce n’est pas toujours évident. C’est aussi un moyen de se sociabiliser en s’ouvrant aux autres”, explique Tehere Guillots, qui plaide déjà pour une reconduction de l’initiative l’an prochain.
 
En attendant, un spectacle sera présenté en interne à l’occasion de la fête de la musique, fin juin. Les détenus pourraient également se joindre au gala du conservatoire, sous réserve de l’obtention d’une permission de sortie conditionnée par la situation pénale de chacun.
 

Pour Tehere Guillots, cheffe d’antenne du Spip à Tatutu, “la culture joue un rôle dans l’identité des personnes qui arrivent ici avec un manque de repères, notamment les plus jeunes”.

Témoignages de détenus

Danseur de 40 ans : “Depuis le début de ma détention, j’ai toujours été volontaire pour participer aux activités. Ça permet de s’intégrer et de préparer sa sortie. C’est important de savoir danser par rapport à notre culture. J’ai fait partie d’un groupe de danse au Heiva par le passé, donc je suis content de pouvoir continuer à danser avec un professionnel. Ça me permet de sortir de ma cellule et de revenir à la source. Et j’ai eu ce déclic : quand je vais sortir, je vais retourner dans un groupe pour continuer à danser et éviter de retomber dans les mauvais chemins.” 
 
Percussionniste de 28 ans : “Lorsque la détention nous a informés qu’il y aurait des cours de percussions, je me suis tout de suite inscrit. C’est l’opportunité pour moi de renouer les liens avec ma culture, vu que je n’avais jamais pu pratiquer avant. Elle est un peu tardive, mais c’est une très belle découverte. Une fois sorti, j’aimerais intégrer un groupe pour pouvoir continuer à jouer de la percussion traditionnelle. J’ai pu être initié à tous les instruments, mais personnellement, j’ai une préférence pour le tō’ere.”
 

Les percussions sont plébiscitées par les détenus.

Rédigé par Anne-Charlotte Lehartel le Jeudi 25 Avril 2024 à 17:43 | Lu 2533 fois