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La cryptomonnaie, terrain de nombreuses escroqueries au fenua


Crédit photo : Pexels.
Crédit photo : Pexels.
Tahiti, le 31 aout 2023 – Les escroqueries basées sur des scams de cryptomonnaies se multiplient localement depuis quelques années. Avec leur système de fonctionnement bien huilé et des “leaders” locaux, ces arnaques sont légion et ont déjà fait de nombreuses victimes au fenua, dont l’une témoigne dans Tahiti Infos.
 
Depuis quelques années, les escroqueries à la cryptomonnaie (aussi appelé Scam crypto) et autres bots de tradings se multiplient au fenua. En effet, les "One Coin, TokenPLus, Mainet" et dernièrement "Omega Pro" font des ravages dans les économies de Polynésiens crédules, qui investissent – parfois toutes leurs économies – dans ces projets véreux basés sur des systèmes de Ponzi (pyramidaux). L'explosion en 2017 des marchés des cryptomonnaies – qui étaient jusque-là, réservés aux experts de l'informatique – et leurs rendements faramineux a été le terreau de l'apparition dans le monde entier de la myriade d'escroqueries précédemment citées. Car si ces projets ne naissent pas au fenua spécialement – ils sont pour la plupart implantés à Dubai –, ceux-ci s'épanouissent aux quatre coins du globe, grâce à des “leaders”. Ces personnes, souvent originaires du territoire en question, incitent, par l’intermédiaire de leurs réseaux sociaux ou grâce au bouche-à-oreille, d'autres personnes à investir dans ces scams en empochant au passage de juteuses commissions.
 
Pour décortiquer ce sujet aussi technique qu'épineux, Tahiti Infos est allé à la rencontre d'Hellmouth Banner. Installé en Polynésie depuis de nombreuses années, il est le rédacteur en chef du Journal du Coin, un média spécialisé dans l'actualité de crypto, NFT et de trading. Connaissant le sujet sur le bout des doigts, il est depuis des années le spectateur désappointé de ces escroqueries. “Malheureusement, ce genre d'arnaques est tristement classique. J'en vois passer régulièrement depuis que j'ai commencé à m'intéresser au sujet des cryptomonnaies et aux technologies blockchain en 2016.”
 
Ça s'en va et ça revient
 
Si les scams crypto sont aussi nombreux et continuent à perdurer malgré le nombre de victimes, c'est parce qu'ils fonctionnent sur un système de roulement bien rodé. En effet, ceux-ci ont une durée de vie d'un à deux ans et demi – pour les plus viables – avant de disparaître, à cause de raisons grotesques, pour mieux être relancés quelques semaines plus tard sous un autre nom. Omega Pro par exemple, l'un des scams qui a fait le plus de dégâts récemment en Polynésie a lui déjà vécu et périclité dans ce qu'on appelle un soft rogue (une fuite douce). “Pour Omega Pro, ils ont dit à leurs clients en octobre dernier qu'ils avaient eu un problème avec leur provider de paiement, puis ils ont déclaré avoir fait l'objet d'un bug informatique. Mais quand on est dans le métier, ça nous fait tout doucement sourire, car c'est forcément un mensonge. Mais c'est la raison qu'ils ont donnée pour faire disparaître le projet”, nous explique Hellmouth Banner, “c'est toujours le même mécanisme, il y a un Ponzi qui se crée, avec des promesses de rendements mirobolants (parfois jusqu'à 200 ou 300 %, NDLR). Ça fonctionne au début car les premiers investisseurs sont payés mais au bout d'un moment, les fonds commencent à manquer et puis on invente une excuse. Ça peut être un piratage ou même un problème de régulation en argumentant car le projet est tellement performant par rapport au système financier traditionnel que l'AMF (Autorité des marchés financiers, NDLR) demande à ce que le projet soit mis en pause”. Ainsi, la boucle devient un cercle vicieux infernal, puisque le cadavre à peine froid, un autre scam vient prendre sa place, sous un autre nom, en promettant que cette fois-ci, “ça sera encore mieux et que c'est encore plus sécurisé...”. Une mauvaise grippe revient toujours.

Les “leaders”, culture de l'omerta
 
Au-delà des scams, il y a les leaders. Ces personnes œuvrent, là où ils vivent, dans l'optique de promouvoir ces scams et d’inciter le plus de gens à investir dans ces projets véreux. Certains n'hésiteraient d'ailleurs pas à faire leur propagande à la sortie des églises. Des événements dans des hôtels de luxe sont également organisés. Ils seraient un petit nombre au fenua à avoir pignon sur rue selon nos informations, et qui continueraient, malgré les années et leur notoriété, à enchaîner les escroqueries. Pour Hellmouth Banner, ce petit monde s'apparenterait à celui de la mafia : “C'est la bonne terminologie avec les filleuls qui veulent devenir des leaders. Il y a aussi une culture de l'omerta, il ne faut jamais remettre en question la voix de ces leaders/parrains. Et avec le pognon qu'il y a en jeu, des représailles peuvent avoir lieu.”

Mais si les leaders sont connus de tous et qu'autant de Polynésiens en sont victimes, il est légitime de se demander pourquoi ces affaires ne finissent pas devant les tribunaux. Selon nos informations, seulement une plainte a été déposée en 2022 pour une arnaque à la crypto. C’est d'abord la honte qui fait que ces affaires n’éclatent pas au grand jour. La honte d'avoir perdu de l'argent ou d'avoir fait perdre de l'argent à sa famille. Il y a également la peur. “Quand des gens achètent, ils vont aussi essayer de faire entrer des proches dans la boucle pour tenter de toucher des parrainages promis par les leaders. Ce système, appelé le MLM (Multi Level Marketing) est très ancien et n'est pas illégal. Mais dès qu'il croise la finance, ça part en vrille, car il n'y a pas de bien à vendre, c'est une promesse. Dans ce cas-là, ça devient pénal, car l'investisseur devient de ce fait un prestataire de services financiers, un des jobs les plus encadrés au monde et surtout en France”, raconte Hellmouth Banner, “c'est sur ce levier-là que les leaders vont appuyer. Quand les gens se plaignent trop, ils vont leur dire que s'ils portent plainte, la prison les attend.”

Reconnaître un scam crypto
 
Si les escroqueries à la cryptomonnaie sont nombreuses et se noient dans d'autres projets de qualité, quelques pistes permettent malgré tout de même de les reconnaître. “Il y a un vital besoin de pédagogie”, affirme Hellmouth Banner. Tout d'abord, il faut savoir que ces scams se nourrissent de “hype” et sur leur capacité à surenchérir avec des publications sur les réseaux, prônant la liberté financière. “On voit des publicités faites par des influenceurs, avec des montres et des voitures de luxe”, détaille le rédacteur en chef du Journal du Coin. “Quand cette promotion s'arrête, c'est que le projet est mort et que les gens ne reverront plus leur argent. Les vrais bons projets crypto ne font d'ailleurs que très peu de publicité car les gens qui travaillent dessus sont trop pris par leur travail. De plus, aucun bon projet ne prônera la liberté financière.”

Autre piste pour identifier un scam crypto, le lieu d'immatriculation de la société derrière le projet. En effet, celles-ci sont toutes immatriculées dans des paradis fiscaux et principalement à Dubaï, dont les autorités sont plus laxistes sur les finances. Dernier conseil de Hellmouth Banner pour éviter les escroqueries à la crypto le Do Your Own Research. “Dans ce milieu-là, il ne faut jamais suivre les recommandations de quelqu'un pour acheter. Il faut s'informer et faire ses propres recherches. Ne me croyez pas, vérifiez !” Toujours dans cette optique d'éduquer la population sur ces sujets, Hellmouth Banner organise la seconde édition du PICS (Polynesian Islands Crypto Summit) du 12 au 14 mai 2024 à Tahiti.
 

Bianca, victime de l'escroquerie Omega Pro : “L'offre était alléchante et je me suis fait embarquer”

La victime a voulu rester anonyme. Crédit photo : Freepik.com
La victime a voulu rester anonyme. Crédit photo : Freepik.com
Quand as-tu investi dans Omega Pro ?

“Je me suis inscrite en 2021 par l'intermédiaire d'un ami et j'ai commencé à investir dans ce projet cette année-là. J'ai investi une petite somme au départ. J'avais dans l'optique de mettre plus, mais fort heureusement je ne l'ai pas fait. Au total, j'ai placé de l'argent dans trois comptes différents, dont deux pour mes enfants. Mais même si ça reste une somme modeste, j'aurais eu besoin de cet argent.”
 
Comment as-tu investi dans Omega Pro. Est-ce de ta propre initiative ou as-tu été approchée par un leader ?

“C'est eux, les leaders, qui m'ont approchée, par Facebook. J'ai reçu des messages me disant que puisque je ne travaillais pas, ils avaient un truc à me proposer. L'offre était alléchante et je me suis fait embarquer. J'ai été attirée par les mots qu'ils employaient, mais surtout par le rendement affiché qui était de 300 %. On me parlait d'intérêts composés... Je ne comprenais pas tout, mais ils s'exprimaient tellement bien que je me suis fait emballer. Comme beaucoup, j'ai été crédule.”
 
Comment tu t'es aperçue qu'Omega Pro était une arnaque ?

“Quelque temps après mon investissement, on m'a demandé de transférer l'argent que j'avais investi sur un autre compte. Ce que j'ai fait et j'ai ensuite laissé l'argent travailler. Mais en fin d'année dernière, quand j'ai voulu le retirer, ils m'ont dit que l'entreprise avait été touchée par un bug informatique puis quelque temps après, qu'Omega Pro était en plein audit et que je ne pouvais pas avoir accès à mon argent pendant six mois.”
Mon leader m'a ensuite dit qu'il aurait fallu que je retire l'argent avant et que c'était trop tard. Ils ont tout fait pour que je change d'avis en essayant de me faire comprendre qu'il ne fallait pas en parler. Puis au bout d'un moment, je n'ai plus eu de nouvelles. Je me suis résignée et j'ai arrêté de relancer. Ce n'est qu'après que j'ai appris que beaucoup n'ont pas pu récupérer leur argent. On est tous bloqués. Le lien du site Omega Pro pour accéder à nos comptes n'existe plus. On n'a plus aucune info. J'ai vraiment de la peine pour ceux qui ont investi plusieurs millions et qui se retrouvent sans rien. Les leaders, eux, vivaient grâce aux commissions qu'ils empochaient avec nos investissements. C'est donc une quasi-certitude qu'ils sont passés à un autre projet d'arnaque.”
 

Rédigé par Thibault Segalard le Jeudi 31 Août 2023 à 19:30 | Lu 8786 fois