Tahiti, le 15 novembre 2020 - Deux chercheurs de l'UPF et de l'université du Québec ainsi que leurs étudiants ont passé presque deux ans à étudier notre secteur touristique. Ils ont présenté leurs résultats vendredi dernier. Selon eux, le scénario le plus probable après le Covid est un retour à la normale du secteur en 2025.
Qui saura sauver notre secteur touristique ? Peut-être ces deux chercheurs. Ce vendredi 13 novembre, les professeurs Sylvain Petit (de l’Université de la Polynésie) et François de Grandpré (de l’Université du Québec à Trois-Rivières au Canada) ont présenté aux professionnels du tourisme leur "Diagnostic touristique de la Polynésie française". Il s’agit d’une analyse en 1 000 pages de tout notre secteur touristique, les acteurs qui le composent, le profil des touristes qui nous rendent visite, les facteurs extérieurs qui ont une influence sur le secteur. Il contient aussi de nombreux conseils et recommandations pour établir une stratégie de développement jusqu’en 2025.
Leur travail propose ainsi de recentrer notre communication internationale sur l’aspect "carte postale" de la Polynésie, notre nature et nos paysages. Les études montrent ainsi que c’est ce qui attire le plus les touristes étrangers. Notre culture, en particulier le Mana, est plus facile à expliquer aux touristes une fois sur place plutôt que dans des publicités. La culture devient alors le principal argument pour inciter nos visiteur à revenir nous voir, ce qu’ils ne font que très rarement pour l’instant… Un gros potentiel de croissance de notre tourisme, en particulier dans les îles éloignées ! Le diagnostic explore de nouveaux produits touristiques à fort potentiel qui pourraient être développés en Polynésie, comme le tourisme d’affaires (conférences, colloques, etc.) ou le tourisme culinaire.
Le rapport propose aussi des changements plus techniques destinés aux professionnels, comme une nouvelle segmentation marketing de nos touristes et une communication spécifique à chaque segment (par exemple nos voisins du triangle polynésien s’intéressent à Taputapuatea, ceux du bord du Pacifique à des plages à proximité, les francophones du Québec à des îles qui parlent leur langue, etc). Il propose aussi de créer cinq associations de promotion et de gestion du tourisme, une pour chaque archipel. "Pour augmenter les ventes, augmentez les vendeurs ! Là on passerait d'un vendeur, la Polynésie, à six vendeurs, la Polynésie et ses cinq archipels" propose François de Grandpré. De très nombreuses autres recommandations sont à trouver dans le rapport…
La reprise au deuxième semestre 2021
Ce travail a été entamé en avril 2019, donc quand notre tourisme était dans une forme olympique et battait record après record. Leur analyse s’est terminée en pleine crise du Covid, alors que trois hôtels viennent de fermer et qu’un autre a renoncé à rouvrir. La moitié de nos connexions aériennes sont suspendues et une grande partie de nos touristes n’a même plus le droit de venir nous voir…
Ils ont donc bien sûr abordé cette question dans leur présentation aux professionnels du tourisme. Selon ces chercheurs, on prévoit une diminution de 70% du nombre de visiteurs pour 2020. Et il va falloir attendre encore un peu avant que les indicateurs repassent au vert. Le scénario le plus probable selon ces experts est une reprise en trois étapes :
1. Depuis juillet 2020 et jusqu’à la distribution d’un vaccin, nous conservons le "tourisme d’obstinés". Ce sont ceux qui ont pris l’avion dès que ça leur était autorisé, principalement dans le but de s’éloigner de la crise chez eux. Les chercheurs notent que le délai de préparation a chuté. Normalement un voyage à Tahiti se réserve 3 à 4 mois en avance, aujourd’hui ce délai est tombé à un mois, souvent à une semaine. La durée de séjour a également augmenté fortement, de 4,5 jours en moyenne.
2. De la mi-2021 jusqu’à 2024, nous serons dans la reprise touristique. Ce sera trois ans d’adaptation au nouveau profil des visiteurs :
- Les premiers touristes à revenir seront les visiteurs métropolitains, traditionnellement notre marché de rebond, le plus stable et solide ; suivi par les Américains, à reconquérir. Les marchés européens et canadiens seront essentiels pour diversifier notre tourisme. Les réservations à la dernière minute et sur internet vont devenir la norme, il faudra donc que les agences de voyage s’adaptent.
- Pour l’offre, on voit déjà que la crise a un effet psychologique très fort sur les touristes, avec un effet de repli sur soi, de recherche de sécurité, qui accélère très rapidement des tendances qui progressaient lentement avant la crise. Ainsi il faut s’attendre à ce que la popularité de la location saisonnière de type AirBnB s’accélère. La tendance sera aussi favorable aux pensions de famille. Dans la croisière, ce sont les petits formats de type catamaran qui ont le vent en poupe.
3. Après 2025, retour à la normale avec un secteur touristique polynésien qui aura un visage bien différent…
Le tourisme va changer
Les chercheurs notent aussi deux autres conséquences probables de la crise. D’abord un repli identitaire, que l’on voit dans le monde entier comme à Tahiti. Ici, le secteur du tourisme est blâmé pour le retour de l’épidémie dans nos îles. Peut-être que cette attitude laissera des séquelles de long terme et que l’attitude positive des Polynésiens envers le tourisme deviendra désormais teinté de doute...
L’autre conséquence sera la conséquence de la grave crise économique provoquée par la pandémie. De nombreuses entreprises locales et internationales sont en difficulté et beaucoup vont fermer ; On peut donc s’attendre à une très forte concurrence dans les années qui viennent, puis à des faillites ou à des rachats massifs. Au final, il restera beaucoup moins d’acteurs économiques et donc de concurrence. C’est particulièrement attendu dans le secteur du transport aérien et de l’hôtellerie…
Les résultats complets de l’étude seront communiqués par le Centre d’Études du Tourisme en Océanie-Pacifique (CETOP) et l’UPF dans les jours qui viennent. Vous pouvez contacter le CETOP par mail à [email protected] ou suivre son actualité sur Facebook, @cetop.upf.
Qui saura sauver notre secteur touristique ? Peut-être ces deux chercheurs. Ce vendredi 13 novembre, les professeurs Sylvain Petit (de l’Université de la Polynésie) et François de Grandpré (de l’Université du Québec à Trois-Rivières au Canada) ont présenté aux professionnels du tourisme leur "Diagnostic touristique de la Polynésie française". Il s’agit d’une analyse en 1 000 pages de tout notre secteur touristique, les acteurs qui le composent, le profil des touristes qui nous rendent visite, les facteurs extérieurs qui ont une influence sur le secteur. Il contient aussi de nombreux conseils et recommandations pour établir une stratégie de développement jusqu’en 2025.
Leur travail propose ainsi de recentrer notre communication internationale sur l’aspect "carte postale" de la Polynésie, notre nature et nos paysages. Les études montrent ainsi que c’est ce qui attire le plus les touristes étrangers. Notre culture, en particulier le Mana, est plus facile à expliquer aux touristes une fois sur place plutôt que dans des publicités. La culture devient alors le principal argument pour inciter nos visiteur à revenir nous voir, ce qu’ils ne font que très rarement pour l’instant… Un gros potentiel de croissance de notre tourisme, en particulier dans les îles éloignées ! Le diagnostic explore de nouveaux produits touristiques à fort potentiel qui pourraient être développés en Polynésie, comme le tourisme d’affaires (conférences, colloques, etc.) ou le tourisme culinaire.
Le rapport propose aussi des changements plus techniques destinés aux professionnels, comme une nouvelle segmentation marketing de nos touristes et une communication spécifique à chaque segment (par exemple nos voisins du triangle polynésien s’intéressent à Taputapuatea, ceux du bord du Pacifique à des plages à proximité, les francophones du Québec à des îles qui parlent leur langue, etc). Il propose aussi de créer cinq associations de promotion et de gestion du tourisme, une pour chaque archipel. "Pour augmenter les ventes, augmentez les vendeurs ! Là on passerait d'un vendeur, la Polynésie, à six vendeurs, la Polynésie et ses cinq archipels" propose François de Grandpré. De très nombreuses autres recommandations sont à trouver dans le rapport…
La reprise au deuxième semestre 2021
Ce travail a été entamé en avril 2019, donc quand notre tourisme était dans une forme olympique et battait record après record. Leur analyse s’est terminée en pleine crise du Covid, alors que trois hôtels viennent de fermer et qu’un autre a renoncé à rouvrir. La moitié de nos connexions aériennes sont suspendues et une grande partie de nos touristes n’a même plus le droit de venir nous voir…
Ils ont donc bien sûr abordé cette question dans leur présentation aux professionnels du tourisme. Selon ces chercheurs, on prévoit une diminution de 70% du nombre de visiteurs pour 2020. Et il va falloir attendre encore un peu avant que les indicateurs repassent au vert. Le scénario le plus probable selon ces experts est une reprise en trois étapes :
1. Depuis juillet 2020 et jusqu’à la distribution d’un vaccin, nous conservons le "tourisme d’obstinés". Ce sont ceux qui ont pris l’avion dès que ça leur était autorisé, principalement dans le but de s’éloigner de la crise chez eux. Les chercheurs notent que le délai de préparation a chuté. Normalement un voyage à Tahiti se réserve 3 à 4 mois en avance, aujourd’hui ce délai est tombé à un mois, souvent à une semaine. La durée de séjour a également augmenté fortement, de 4,5 jours en moyenne.
2. De la mi-2021 jusqu’à 2024, nous serons dans la reprise touristique. Ce sera trois ans d’adaptation au nouveau profil des visiteurs :
- Les premiers touristes à revenir seront les visiteurs métropolitains, traditionnellement notre marché de rebond, le plus stable et solide ; suivi par les Américains, à reconquérir. Les marchés européens et canadiens seront essentiels pour diversifier notre tourisme. Les réservations à la dernière minute et sur internet vont devenir la norme, il faudra donc que les agences de voyage s’adaptent.
- Pour l’offre, on voit déjà que la crise a un effet psychologique très fort sur les touristes, avec un effet de repli sur soi, de recherche de sécurité, qui accélère très rapidement des tendances qui progressaient lentement avant la crise. Ainsi il faut s’attendre à ce que la popularité de la location saisonnière de type AirBnB s’accélère. La tendance sera aussi favorable aux pensions de famille. Dans la croisière, ce sont les petits formats de type catamaran qui ont le vent en poupe.
3. Après 2025, retour à la normale avec un secteur touristique polynésien qui aura un visage bien différent…
Le tourisme va changer
Les chercheurs notent aussi deux autres conséquences probables de la crise. D’abord un repli identitaire, que l’on voit dans le monde entier comme à Tahiti. Ici, le secteur du tourisme est blâmé pour le retour de l’épidémie dans nos îles. Peut-être que cette attitude laissera des séquelles de long terme et que l’attitude positive des Polynésiens envers le tourisme deviendra désormais teinté de doute...
L’autre conséquence sera la conséquence de la grave crise économique provoquée par la pandémie. De nombreuses entreprises locales et internationales sont en difficulté et beaucoup vont fermer ; On peut donc s’attendre à une très forte concurrence dans les années qui viennent, puis à des faillites ou à des rachats massifs. Au final, il restera beaucoup moins d’acteurs économiques et donc de concurrence. C’est particulièrement attendu dans le secteur du transport aérien et de l’hôtellerie…
Les résultats complets de l’étude seront communiqués par le Centre d’Études du Tourisme en Océanie-Pacifique (CETOP) et l’UPF dans les jours qui viennent. Vous pouvez contacter le CETOP par mail à [email protected] ou suivre son actualité sur Facebook, @cetop.upf.
Docteur Sylvain Petit, maître de conférences en sciences économiques, habilité à diriger les recherches
Combien d’étudiants et de chercheurs ont travaillé sur ce diagnostic ? A quoi servira-t-il ?
"Ce projet a été coordonné par 2 enseignants-chercheurs (François de Grandpré, Université du Québec à Trois Rivières, UQTR ; et moi-même). Le CETOP, sa direction mais aussi l’assistante de recherche nous ont fortement épaulés. On a mobilisé 16 étudiants de la licence professionnelle "Management et organisation des structures hôtelières et touristiques en Polynésie française" de l’UPF et 11 étudiants de la maîtrise "Loisir, culture et tourisme" de l’UQTR. Plusieurs collègues nous ont aidés aussi ponctuellement, je pense notamment à Yannis Belle."
Vous recommandez la création de 5 associations régionales chargées d’organiser et de promouvoir chaque archipels. Ne risquent-elles pas d’être en concurrence les unes avec les autres ?
"On a beaucoup d’exemples de destinations qui se développent au sein d’un même pays. C’est une concurrence saine, qui se complète par des alliances de communications et de promotions. Prenons un exemple totalement différent : le domaine skiable commun des "3 Vallées" dans les Alpes n’empêche pas le développement des domaines de Val Thorens, Méribel, Les Menuires, Courchevel, etc. D’une manière générale, c’est une tendance mondiale, observée depuis de nombreuses années. Ça favorise la répartition des flux, qui est un enjeu important pour l’environnement, ça développe les synergies mais ça n’empêche pas à chacun de "jouer sa carte". La Polynésie est un territoire immense avec une grande diversité des cultures et des paysages. C’est un atout pour tous les archipels."
Vous avez utilisé une technique nommée Modèle Touristique Régional, développée au Canada. En quoi est-elle meilleure que celles utilisées pour les stratégies touristiques précédentes ? Que peut-elle nous apporter ?
"C’est un modèle beaucoup plus simple à appliquer que les autres modèles concurrents (Gunn, 1988 ; Ritchie et Crouch, 2003) tout en étant aussi complet. Donc, avec ce modèle, on pouvait bien répartir le travail entre nous et entre les étudiants. Pédagogiquement, c’était donc le modèle le plus approprié. L’autre avantage est que c’est un modèle d’économiste (qui étudie la demande, l’offre et les facteurs externes) tout en utilisant les outils d’autres disciplines. Étant un économiste, je ne peux qu’adhérer et comprendre ce modèle. Enfin, sa grande originalité est de mettre le visiteur au centre du modèle ; et donc de changer le prisme de l’analyse."
Que faut-il changer en priorité dans notre secteur touristique pour sortir grandi de la crise du Covid, au lieu d’en sortir distancé par les autres destinations du Pacifique ?
"Nous avons des recommandations pour diversifier et développer plusieurs produits touristiques en s’appuyant notamment sur les différences entre les archipels. Cette restitution des travaux entre experts avait justement pour but de faire évoluer la réflexion au sens large mais aussi post-covid. Ce ne sont que des recommandations visant à aider la réflexion globale engagée de la démarche du Fāri'ira'a Manihini. Nous sommes encore en train de finaliser l’étude et de prendre en compte les remarques de la conférence de vendredi pour nourrir la version finale du rapport. Nous communiquerons dans les jours qui viennent sur toutes nos suggestions et recommandations."
"Ce projet a été coordonné par 2 enseignants-chercheurs (François de Grandpré, Université du Québec à Trois Rivières, UQTR ; et moi-même). Le CETOP, sa direction mais aussi l’assistante de recherche nous ont fortement épaulés. On a mobilisé 16 étudiants de la licence professionnelle "Management et organisation des structures hôtelières et touristiques en Polynésie française" de l’UPF et 11 étudiants de la maîtrise "Loisir, culture et tourisme" de l’UQTR. Plusieurs collègues nous ont aidés aussi ponctuellement, je pense notamment à Yannis Belle."
Vous recommandez la création de 5 associations régionales chargées d’organiser et de promouvoir chaque archipels. Ne risquent-elles pas d’être en concurrence les unes avec les autres ?
"On a beaucoup d’exemples de destinations qui se développent au sein d’un même pays. C’est une concurrence saine, qui se complète par des alliances de communications et de promotions. Prenons un exemple totalement différent : le domaine skiable commun des "3 Vallées" dans les Alpes n’empêche pas le développement des domaines de Val Thorens, Méribel, Les Menuires, Courchevel, etc. D’une manière générale, c’est une tendance mondiale, observée depuis de nombreuses années. Ça favorise la répartition des flux, qui est un enjeu important pour l’environnement, ça développe les synergies mais ça n’empêche pas à chacun de "jouer sa carte". La Polynésie est un territoire immense avec une grande diversité des cultures et des paysages. C’est un atout pour tous les archipels."
Vous avez utilisé une technique nommée Modèle Touristique Régional, développée au Canada. En quoi est-elle meilleure que celles utilisées pour les stratégies touristiques précédentes ? Que peut-elle nous apporter ?
"C’est un modèle beaucoup plus simple à appliquer que les autres modèles concurrents (Gunn, 1988 ; Ritchie et Crouch, 2003) tout en étant aussi complet. Donc, avec ce modèle, on pouvait bien répartir le travail entre nous et entre les étudiants. Pédagogiquement, c’était donc le modèle le plus approprié. L’autre avantage est que c’est un modèle d’économiste (qui étudie la demande, l’offre et les facteurs externes) tout en utilisant les outils d’autres disciplines. Étant un économiste, je ne peux qu’adhérer et comprendre ce modèle. Enfin, sa grande originalité est de mettre le visiteur au centre du modèle ; et donc de changer le prisme de l’analyse."
Que faut-il changer en priorité dans notre secteur touristique pour sortir grandi de la crise du Covid, au lieu d’en sortir distancé par les autres destinations du Pacifique ?
"Nous avons des recommandations pour diversifier et développer plusieurs produits touristiques en s’appuyant notamment sur les différences entre les archipels. Cette restitution des travaux entre experts avait justement pour but de faire évoluer la réflexion au sens large mais aussi post-covid. Ce ne sont que des recommandations visant à aider la réflexion globale engagée de la démarche du Fāri'ira'a Manihini. Nous sommes encore en train de finaliser l’étude et de prendre en compte les remarques de la conférence de vendredi pour nourrir la version finale du rapport. Nous communiquerons dans les jours qui viennent sur toutes nos suggestions et recommandations."