La concurrence, bientôt une réalité à Tahiti ?


Le nouveau projet de Loi du Pays relatif à la concurrence ne s’attaque pas qu’au secteur de la grande distribution, ce qui était le principal défaut du précédent texte d’octobre 2013
PAPEETE, 27 mai 2014 - Le CESC a rendu mardi un avis favorable "sous réserve de recommandations" au texte du projet de Loi du Pays sur la concurrence rédigé par le gouvernement. Engagé dans une procédure d’urgence, le texte doit être présenté en Conseil des ministres dès mercredi et sera vraisemblablement soumis courant juin à l’assemblée de Polynésie.

Un droit sur la concurrence ? En Polynésie, on en parle depuis dix ans, sans que finalement rien ne bouge. Le CESC a été saisi déjà à deux reprises au cours des dernières années, en septembre 2011 puis en octobre 2013.
A chaque fois le texte n’a pas franchi les portes de l’assemblée de Polynésie. Cette fois serait donc la bonne. Visiblement, le gouvernement met les bouchées doubles et a inscrit ce projet de Loi du Pays sur la concurrence dans une logique d’urgence.

Saisi le 19 mai dernier, le CESC devait absolument rendre son avis au plus tard ce mardi 27 mai. Le projet de Loi du Pays est dès ce mercredi à l’ordre du jour de la réunion du Conseil des ministres. Si tout va bien, le texte pourrait se retrouver mi juin entre les mains des représentants de l’Assemblée.

Pourquoi une telle urgence ? L’exposé des motifs en donne un aperçu : "l’introduction du droit de la concurrence est indispensable à la remise à plat progressive d’un certain nombre de mécanismes interventionnistes coûteux devenus souvent obsolètes. L’adoption récente de la loi du pays sur le partenariat public-privé traduit ce changement décisif de cap de notre politique économique et souligne la place centrale que les pouvoirs publics entendent désormais laisser à l’initiative privée. La reconversion de notre économie appelle la mise en place d’un cadre concurrentiel garantissant le pluralisme économique et une régulation du marché dans l’intérêt des consommateurs".

Mardi, les représentants du CESC ont émis un avis favorable au projet de Loi du Pays, mais, comme pour les deux premiers textes sur la concurrence déjà passés entre leurs mains, ils ont placé un des observations et des recommandations.

Ils s’inquiètent de ce que l’Autorité administrative indépendante (AAI) ne sera pas obligatoirement sollicitée sur tous les secteurs. Ainsi, l’avis de l’autorité ne sera que facultatif pour les délégations de service public. "Ce sont pourtant des secteurs d’activités très importants comme les transports, les télécoms", faisait remarquer Patrick Galenon, secrétaire général du syndicat CSTP-FO.

Le sentiment est partagé par d’autres dans les rangs du patronat, "encore une fois des pans entiers de notre économie ne sont pas forcément concernés ou en tout cas les textes sont sujets à interprétation", remarque Christophe Plée de la CG-PME.

Mais la solidarité syndicats/patrons s’est arrêtée là, au CESC : l’avis rendu sur le projet de Loi du Pays sur la concurrence a été favorable par 29 voix pour ; seulement six syndicalistes se sont abstenus.

L’avis de l’expert avec Florent Venayre

En mai 2013, dans leur livre "La concurrence à Tahiti : une utopie", Florent Venayre et Christian Montet enseignants en sciences économiques à UPF, appelaient de leurs vœux la mise en place d’une loi sur la concurrence en Polynésie pour mettre fin à des dysfonctionnements locaux. Notamment l’interventionnisme politique dans les secteurs de l’économie qui conduisent à la construction de monopoles ou encore les régulations imposées qui aboutissent à des effets calamiteux. Leur credo d’économistes : la libre concurrence est un moteur dynamisme de l’économie. Invité à venir discuter avec le CESC du nouveau texte prévu par le gouvernement polynésien sur la concurrence, Florent Venayre précise qu’il n’en est pas l’auteur. Il a, en revanche, participé à différentes commissions du CESC d’analyse du projet de loi du Pays et a pu identifier les écueils du texte. Interview.

Une des dispositions de ce projet de Loi di Pays consiste à réprimer les abus de domination (ou abus de position dominante) qu’en pensez-vous ?

Florent Venayre : Le CESC relève que l’abus de position dominante introduit un seuil de parts de marché à 35%, or il apparaît très dangereux de limiter les parts de marchés de manière arbitraire. Dans la loi métropolitaine, l’abus de position dominante est sanctionné mais il n’y a pas de seuil fixé.

En revanche, la Nouvelle-Calédonie qui vient d’adopter une loi sur la concurrence dans son territoire a fixé un seuil de 25%. Mais il n’y a aucun recul sur l’efficacité ou non de cette mesure. Avec un seuil à 35% un opérateur qui est bon dans son domaine va devoir limiter son activité pour ne pas être sanctionné. En revanche, on pourra avoir trois opérateurs qui se partagent un secteur : on se retrouve alors dans des conditions idéales pour favoriser les cartels.

En sanctionnant l’abus de position dominante, on peut forcer un opérateur à une rétrocession donc cela est suffisant. Il n’est pas nécessaire de fixer de seuil.

Si le projet de Loi du Pays est adopté prochainement par l’assemblée de Polynésie, les consommateurs pourront-ils constater une baisse des prix ?

Florent Venayre : Pas dans l’immédiat. Il faut d’abord mettre en place l’Autorité indépendante de la concurrence qui doit être nommée, lui laisser le temps de faire ses enquêtes ! Donc cela prendra un peu de temps. Il faudra être certain aussi de son indépendance. Cela dit, on pourra toujours faire appel des décisions de l’Autorité auprès de la Cour d’appel de Paris.

L’existence de cette loi va nécessairement rebattre les cartes de certaines entreprises qui sont dans une situation très confortable aujourd’hui.


C’est déjà la 3e fois que le CESC examine un projet de Loi de Pays sur la concurrence en Polynésie, comment être sûr que cette fois sera la bonne ?

C’est vrai qu’il y a eu tout un travail de lobbying de la part de certains groupes pour que ce projet de Loi du Pays n’aboutisse pas. Mais les idées progressivement font leur chemin, les résistances s’émoussent. Maintenant, tout le monde attend qu’il y ait un texte pour réglementer la concurrence en Polynésie.

Rédigé par Mireille Loubet le Mardi 27 Mai 2014 à 15:45 | Lu 3729 fois