La cohabitation, mode d'emploi


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Paris, France | AFP | mercredi 19/06/2024 - Une majorité pour le RN ou la gauche provoquerait pour la quatrième fois dans la Vème République une "cohabitation" entre un président de la République et une majorité parlementaire de couleur différente.

Si la Constitution délimite en partie les prérogatives du président et du Premier ministre, les trois précédents - deux sous la présidence de François Mitterrand (1986-88 avec Jacques Chirac; 1993-95 avec Edouard Balladur) et une sous celle de Jacques Chirac (1997-2002 avec Lionel Jospin) ont aussi établi des pratiques.

- Qui nomme le Premier ministre ? 

Selon l'article 8 de la Constitution, le président de la République nomme le Premier ministre.

Mais, dans les faits, il doit le choisir au sein de la majorité parlementaire sinon un gouvernement minoritaire se ferait rapidement censurer à l'Assemblée. Si la majorité se met d'accord sur un nom, difficile pour le président de faire un autre choix. Après avoir rappelé qu'il "nomme qui il veut", François Mitterrand avait ainsi fini par désigner Jacques Chirac puis Edouard Balladur, choisis par leur camp.

Le Premier ministre nomme les membres de son gouvernement. Cependant, il est d'usage que les titulaires des affaires étrangères et de la défense soient choisis avec l'accord du Président. François Mitterrand avait opposé son véto à la nomination de François Léotard à la défense en 1986.

- Le président peut-il empêcher la majorité de gouverner ? 

Le gouvernement "détermine et conduit la politique de la nation" selon l'article 20.

Lors des trois cohabitations, la majorité a pu mettre en oeuvre son programme, que ce soient les privatisations avec la droite ou l'instauration des 35 heures par la gauche.

A défaut de pouvoir bloquer leur adoption, le président peut retarder l'adoption de certaines mesures, comme il doit apposer sa signature aux ordonnances et décrets délibérés en conseil des ministres.

Lors de la première cohabitation, François Mitterrand avait refusé de signer les projets d'ordonnances de privatisation, contraignant le gouvernement à légiférer par un projet de loi classique.

Le Président peut demander au Parlement une nouvelle délibération d'une loi votée. C'est lui qui convoque une session extraordinaire du Parlement. François Mitterrand avait ainsi refusé d'inscrire le projet de révision de la loi Falloux (financement de l'enseignement privé par les collectivités locales) à l'ordre du jour d'une session extraordinaire en juillet 1993.

Seul le président peut organiser un référendum au titre de l'article 11 (organisation des pouvoirs publics, réformes économique, sociale ou environnementale et aux services publics, ratification d'un traité) ou convoquer un Congrès pour approuver une révision de la Constitution (article 89).

Enfin, le président peut prononcer la dissolution de l'Assemblée (article 12), exercer les pouvoirs exceptionnels (article 16) et nommer trois de ses membres ainsi que le président du Conseil constitutionnel (article 56).

- Défense et politique étrangère, quel partage ? 

La Constitution ne tranche pas précisément le partage des compétences en politique extérieure et en défense. 

Selon l'article 5, le chef de l'Etat est "le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités". 

Chef des armées, il préside les conseils de défense nationale (article 15). Mais le Premier ministre est "responsable de la défense nationale" (article 21) et le gouvernement "dispose de la force armée" (article 20).

Dans les faits, François Mitterrand a consacré le rôle prééminent du président sur la défense. Bien qu'Edouard Balladur y fut favorable, la droite n'a pas remis en cause par exemple le moratoire sur les essais nucléaires décidé en 1992. C'est Jacques Chirac qui le fera une fois à l'Elysée. 

Cette prééminence du chef de l'Etat n'a été que peu contestée parce que les Premier ministre de cohabitation avaient l'ambition de devenir président et ne souhaitaient pas voir leurs futurs pouvoirs diminuer. 

Sur les sommets européens et internationaux, après quelques ajustements, le chef de l'Etat et le Premier ministre sont parvenus lors des trois cohabitations à exprimer une seule voix de la France parce que les divergences entre droite et gauche n'étaient pas fondamentales.

La situation pourrait être différente cette fois-ci en cas de cohabitation avec le RN. Emmanuel Macron et Jordan Bardella n'ont pas la même position sur la défense européenne ou le soutien militaire à l'Ukraine. 

Sur l'UE, leurs conceptions sont totalement opposées. Or, c'est bien Matignon qui tranche au quotidien sur la politique européenne. Ce sont les ministres qui siègent au Conseil de l'UE dans ses différentes formations (environnement, économie, justice, etc.), négocient et votent les législations européennes.

le Mercredi 19 Juin 2024 à 06:45 | Lu 303 fois