Tahiti, le 28 avril 2022 – La mise en liquidation de La Dépêche de Tahiti vient ponctuer une spirale infernale entamée depuis 2012 pour le plus ancien journal de Polynésie française. C'est près de 60 ans d'histoire du Fenua qui sont aujourd'hui menacés.
Le 3 août 1964, les habitants de Tahiti découvraient un nouveau journal, avec son nom, "La Dépêche de Tahiti", encadré par le carré rouge et le rond blanc devenus emblématiques aujourd'hui. À sa "une", on trouvait l'inhumation de Tony Bambridge, l'inauguration de l'église de Faa'a et le projet d'une route traversière Papenoo – Punaruu, maintes fois ressuscité et réenterré depuis. On était au début du CEP, trois ans après l'ouverture de la piste long courrier à Faa'a, deux ans avant les premières explosions aériennes à Moruroa et, visionnaire, le journal anticipait les difficultés liées à une expansion incontrôlée de la zone urbaine, quelques jours après la visite du premier ministre d'alors et futur président de la République, Georges Pompidou.
Son créateur, Philippe Mazellier, né à Lyon, ancien journaliste parlementaire et correspondant de Reuteurs, avait quitté la direction du "Journal de Tahiti" pour lancer son propre titre. À l'époque, il y avait donc déjà deux autres journaux quotidiens en Polynésie française : Les Nouvelles de Tahiti, créé en 1957 et le Journal de Tahiti, créé en 1961 et il paraissait improbable qu'un troisième journal puisse prospérer sur un territoire avec une population si restreinte. "Nous avons mis très rapidement en place un système de distribution qui n’existait pas chez les autres quotidiens. Ces derniers n’étaient disponibles qu’en ville ou par abonnement. Nous avons innové en distribuant tout autour de l’île de Tahiti ainsi que dans les communes limitrophes de Papeete. Les habitants de Tautira, de Faaone ou de Mataiea ont trouvé leur Dépêche au départ du truck qui les amenait en ville", confiait Jean-Claude Soullier, ancien rédacteur en chef adjoint de La Dépêche, au magazine Hiroa, en 2020, en reprenant des confidences de Michel Anglade, directeur de publication à la création du journal.
Une révolution journalistique
Cette politique de distribution, le bon travail de journalisme et la présence importante de photos, assurent à la Dépêche un rapide succès. En 1973, le journal tirait à 4 600 exemplaires, devenant le plus lu de Tahiti. En 1982, au prix d'un investissement correspondant à une année de chiffre d'affaires, Philippe Mazellier importe une imprimante rotative, la première et longtemps l'unique sur le territoire, une véritable révolution pour l'époque. En 1985, la Dépêche étend d'un étage son célèbre siège de la Fautaua. Daniel Pardon, ancien rédacteur en chef, rend ainsi compte de l'évolution du journal : "Petit à petit, rapidement à vrai dire, grâce à la vision que Philippe Mazellier avait de son journal […] La Dépêche de Tahiti est devenue la référence en matière de presse en Polynésie française, riche en textes, mais aussi en photos, car pour résister aux nouveaux médias, il fallait combattre les images par les images".
En 1988, Philippe Mazellier revend le journal au groupe France-Antilles, propriété de Robert Hersant, qui possédait alors la majorité de la presse dans les Outre-mer. Financièrement, c'était les années fastes. Le groupe s'étend, les titres se multiplient : les Nouvelles, bien sûr, racheté par le groupe en 1989, mais aussi La Dépêche Dimanche, les magazines Fenua'Orama, Tikimag, Paru-Vendu…Mais, en 2012, le groupe Hersant Média, en grande difficulté financière, revend l'ensemble de sa filiale polynésienne à un triumvirat composé de Paul Yeou Chichong, Richard Bailey et la famille Chin Foo. Le Groupe Média Polynésie, société mère de La Dépêche et des Nouvelles, employait alors près de 250 personnes.
La descente aux enfers
Deux ans plus tard, en 2014, la société Papyrus, gérée par Dominique Auroy et Pierre Marchisini, acquiert dans le tumulte les droits majoritaires d'un groupe qui connaissait des lourdes pertes et avait vu ses effectifs réduits à 170 employés. Ce rachat provoque l'inquiétude des journalistes du groupe qui craignent des licenciements massifs et une modification des lignes éditoriales. Inquiétude qui deviendra réalité quand, dès le rachat, les nouveaux propriétaires annoncent la fermeture des Nouvelles, le plus ancien quotidien de Polynésie. Dominique Auroy incriminait alors un déficit important et la ligne éditoriale "agressive" de ce journal réputé pour son opposition à la gouvernance de Gaston Flosse.
Pour La Dépêche, c'est le début d'une spirale folle d'accumulation de pertes financières, de tensions internes et de visites aux tribunaux. Après avoir affronté une première grève en 2016 qui dénonçait les manquements aux accords d'entreprise et les pressions sur le personnel, les gérants sont condamnés en 2017 pour non respect du droit du travail. Placé en redressement judiciaire en 2018, le groupe accumule les impayés à la CPS comme aux propriétaires de son immeuble. La même année, c'est l'imprimerie qui est placée en liquidation. La rotative est mise aux enchères sans trouver acquéreur et rouille depuis dans les sous-sols du siège historique. Les douze salariés de l'imprimerie sont licenciés.
L'année suivante, l'adoption d'un plan de continuation, qui prévoit licenciements économiques et réduction forcée du temps de travail pour les salariés, donnera lieu à une longue grève. En septembre 2021, les salariés sont expulsés de leur locaux de la Fautaua, en raison des loyers impayés depuis 2016. En octobre 2020, la SIC, la société éditrice du journal avait été placée en liquidation judiciaire. Suspendue par le parquet dans un premier temps, la liquidation vient d'être confirmée en appel ce jeudi 28 avril 2022. Elle pourrait bien sonner le glas d'un journal qui a été le plus populaire de Polynésie française. Une terrible nouvelle pour la trentaine d'employés qui y travaillent encore, malgré tout.
> Lire aussi : La Dépêche de Tahiti liquidée
Le 3 août 1964, les habitants de Tahiti découvraient un nouveau journal, avec son nom, "La Dépêche de Tahiti", encadré par le carré rouge et le rond blanc devenus emblématiques aujourd'hui. À sa "une", on trouvait l'inhumation de Tony Bambridge, l'inauguration de l'église de Faa'a et le projet d'une route traversière Papenoo – Punaruu, maintes fois ressuscité et réenterré depuis. On était au début du CEP, trois ans après l'ouverture de la piste long courrier à Faa'a, deux ans avant les premières explosions aériennes à Moruroa et, visionnaire, le journal anticipait les difficultés liées à une expansion incontrôlée de la zone urbaine, quelques jours après la visite du premier ministre d'alors et futur président de la République, Georges Pompidou.
Son créateur, Philippe Mazellier, né à Lyon, ancien journaliste parlementaire et correspondant de Reuteurs, avait quitté la direction du "Journal de Tahiti" pour lancer son propre titre. À l'époque, il y avait donc déjà deux autres journaux quotidiens en Polynésie française : Les Nouvelles de Tahiti, créé en 1957 et le Journal de Tahiti, créé en 1961 et il paraissait improbable qu'un troisième journal puisse prospérer sur un territoire avec une population si restreinte. "Nous avons mis très rapidement en place un système de distribution qui n’existait pas chez les autres quotidiens. Ces derniers n’étaient disponibles qu’en ville ou par abonnement. Nous avons innové en distribuant tout autour de l’île de Tahiti ainsi que dans les communes limitrophes de Papeete. Les habitants de Tautira, de Faaone ou de Mataiea ont trouvé leur Dépêche au départ du truck qui les amenait en ville", confiait Jean-Claude Soullier, ancien rédacteur en chef adjoint de La Dépêche, au magazine Hiroa, en 2020, en reprenant des confidences de Michel Anglade, directeur de publication à la création du journal.
Une révolution journalistique
Cette politique de distribution, le bon travail de journalisme et la présence importante de photos, assurent à la Dépêche un rapide succès. En 1973, le journal tirait à 4 600 exemplaires, devenant le plus lu de Tahiti. En 1982, au prix d'un investissement correspondant à une année de chiffre d'affaires, Philippe Mazellier importe une imprimante rotative, la première et longtemps l'unique sur le territoire, une véritable révolution pour l'époque. En 1985, la Dépêche étend d'un étage son célèbre siège de la Fautaua. Daniel Pardon, ancien rédacteur en chef, rend ainsi compte de l'évolution du journal : "Petit à petit, rapidement à vrai dire, grâce à la vision que Philippe Mazellier avait de son journal […] La Dépêche de Tahiti est devenue la référence en matière de presse en Polynésie française, riche en textes, mais aussi en photos, car pour résister aux nouveaux médias, il fallait combattre les images par les images".
En 1988, Philippe Mazellier revend le journal au groupe France-Antilles, propriété de Robert Hersant, qui possédait alors la majorité de la presse dans les Outre-mer. Financièrement, c'était les années fastes. Le groupe s'étend, les titres se multiplient : les Nouvelles, bien sûr, racheté par le groupe en 1989, mais aussi La Dépêche Dimanche, les magazines Fenua'Orama, Tikimag, Paru-Vendu…Mais, en 2012, le groupe Hersant Média, en grande difficulté financière, revend l'ensemble de sa filiale polynésienne à un triumvirat composé de Paul Yeou Chichong, Richard Bailey et la famille Chin Foo. Le Groupe Média Polynésie, société mère de La Dépêche et des Nouvelles, employait alors près de 250 personnes.
La descente aux enfers
Deux ans plus tard, en 2014, la société Papyrus, gérée par Dominique Auroy et Pierre Marchisini, acquiert dans le tumulte les droits majoritaires d'un groupe qui connaissait des lourdes pertes et avait vu ses effectifs réduits à 170 employés. Ce rachat provoque l'inquiétude des journalistes du groupe qui craignent des licenciements massifs et une modification des lignes éditoriales. Inquiétude qui deviendra réalité quand, dès le rachat, les nouveaux propriétaires annoncent la fermeture des Nouvelles, le plus ancien quotidien de Polynésie. Dominique Auroy incriminait alors un déficit important et la ligne éditoriale "agressive" de ce journal réputé pour son opposition à la gouvernance de Gaston Flosse.
Pour La Dépêche, c'est le début d'une spirale folle d'accumulation de pertes financières, de tensions internes et de visites aux tribunaux. Après avoir affronté une première grève en 2016 qui dénonçait les manquements aux accords d'entreprise et les pressions sur le personnel, les gérants sont condamnés en 2017 pour non respect du droit du travail. Placé en redressement judiciaire en 2018, le groupe accumule les impayés à la CPS comme aux propriétaires de son immeuble. La même année, c'est l'imprimerie qui est placée en liquidation. La rotative est mise aux enchères sans trouver acquéreur et rouille depuis dans les sous-sols du siège historique. Les douze salariés de l'imprimerie sont licenciés.
L'année suivante, l'adoption d'un plan de continuation, qui prévoit licenciements économiques et réduction forcée du temps de travail pour les salariés, donnera lieu à une longue grève. En septembre 2021, les salariés sont expulsés de leur locaux de la Fautaua, en raison des loyers impayés depuis 2016. En octobre 2020, la SIC, la société éditrice du journal avait été placée en liquidation judiciaire. Suspendue par le parquet dans un premier temps, la liquidation vient d'être confirmée en appel ce jeudi 28 avril 2022. Elle pourrait bien sonner le glas d'un journal qui a été le plus populaire de Polynésie française. Une terrible nouvelle pour la trentaine d'employés qui y travaillent encore, malgré tout.
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