"La Tahiti Fashion Week a énormément évolué"


© Tevahitua Brothers
Tahiti, le 4 mai 2023 - La 9e édition de la Tahiti Fashion Week se déroulera du 7 au 11 juin à l'hôtel InterContinental Tahiti. Au programme, trois jours de défilés avec un concours de mannequins, auquel quatorze jeunes filles participent cette année, suivis de deux jours de showroom avec la quarantaine de créateurs présents. Rencontre avec Alberto V., le créateur et directeur artistique de l'événement mode de l'année.
 
Il s'agit de la 9e édition de la Tahiti Fashion Week. Comment a-t-elle évolué au fil des années ?

“Elle a énormément évolué, à tous les points de vue, mais surtout au niveau des créateurs. Il y a beaucoup de nouveaux créateurs qui viennent, des créateurs qui évoluent. Et j'aime bien écouter les gens qui viennent de l'étranger, qui ont un œil neuf quand ils viennent, et à chaque fois, ils remarquent l'évolution. Il y a beaucoup de créations, surtout en bijouterie et en artisanat, et aussi le textile ; mais le textile, c'est toujours un peu plus compliqué que les bijoux.”
 
Pourquoi est-ce plus compliqué ?

“Déjà du point de vue de la fabrication. C'est de la couture, donc c'est différent. Nous, on prend tous les créateurs du moment que le produit a une signature polynésienne et que l'idée vient de Tahiti. Après, même si c'est fabriqué ailleurs, ce n'est pas grave. Même Chanel, c'est fabriqué en Italie, donc on se fiche d'où c'est fabriqué du moment que le concept initial vient de Polynésie.”
 
Comment prépare-t-on un tel événement ?

“On commence à le préparer le lendemain du dernier jour de la Tahiti Fashion Week. Je pense qu'au début, on ne s'est pas rendu compte, mais c'est vraiment beaucoup, beaucoup de boulot. Et c'est de plus en plus compliqué. Heureusement que nous sommes entourés de gens extrêmement exceptionnels – pour le maquillage, la coiffure, la photographie, la communication... Pour moi, c'est important d'avoir des gens qui, chacun dans leur domaine, sont professionnels.”
 
Vous dites que vous vous êtes laissé un peu dépasser. Vous avez été étonné de l'ampleur que ça a pris ?

“Oui, vraiment. On a même des messages de Londres, des messages de New York... Il y a un monsieur de chez Ralph Lauren qui va être là et qui aimerait bien assister à la Fashion Week. Donc on est très contents.”
 
Cette année, l'invité d'honneur est le modiste et chapelier belge Elvis Pompilio, qui était déjà venu à Tahiti en novembre dernier pour la première édition du Salon du chapeau ? Pourquoi votre choix s'est-il porté sur lui ?

“Parce que le défilé des chapeaux a eu énormément de succès. L'année dernière, c'est le styliste Olivier Theyskens qui était venu. Je trouve que les chapeaux qu'Elvis fait sont tout simplement sublimes. Et il y a un côté qui me fait beaucoup penser à nos chapeaux locaux. Il y a un parallèle avec l'artisanat. Chez Elvis, il y a beaucoup de choses faites à la main. Il a donné des conseils aux créateurs d'ici et vice-versa. Les mama d'ici lui ont aussi donné des conseils. Il faut avoir l'esprit ouvert. Être à l'écoute de tout le monde, en création, pour moi c'est la base.”
 
Comme chaque année, il y a un concours de mannequins en marge des défilés. Comment cela va-t-il se dérouler ?
“Les filles vont commencer à défiler dès la première soirée. On a déjà démarré les répétitions et les shootings photo. Le concours, c'est pendant trois jours, mais le concours, ce sera toute leur vie ! Comme pour tous les jobs ! Pour les défilés, il y aura deux groupes : celui avec les mannequins qui participent au concours, et puis les anciennes, celles des années précédentes. Au total, il y aura une quarantaine de mannequins.”
 
Ce concours, il a suscité des vocations ? Certaines sont ensuite devenues professionnelles ?

“Oui, bien sûr. Il y a Tia Wan, que tout le monde connaît. Il y a aussi Tevai, la gagnante de l'année dernière. Mais tout le monde fait un grand truc autour des mannequins. Mannequin, c'est un boulot comme un autre. Il y en a qui aiment bien médiatiser leur boulot et d'autres qui n'ont pas envie et qui font leur travail tranquillement, qui sont mannequins quand il y a de la demande, et qui vivent leur vie tranquillement sans avoir besoin de médiatiser leur travail de mannequin. Après, ici c'est plus compliqué, parce que toutes filles ont envie d'“apparaître”, et ici il n'y a pas le marché pour être mannequin. Parce que le pays est trop petit, tu ne peux pas vivre du mannequinat à Tahiti.”
 
Les gagnantes partent à Milan dans l'agence Brave Model Management. Qu'est-ce qui les attend là-bas ?

“Elles partent surtout faire des tests. Des tests photo mais aussi des tests d'adaptation. Car quand tu viens de Tahiti, tu peux être très photogénique mais ne pas t'adapter à la vie là-bas. Parce que c'est une grande ville, c'est complètement différent de la Polynésie.”
 
Est-ce qu'elles sont chaperonnées sur place ?

“Non. J'en reviens toujours à la même chose, c'est un boulot comme un autre. Alors on essaie de ne pas les assister.”
 
Après les tests, est-ce qu'elles peuvent décrocher un contrat ?

“Avec l'agence, elles signent tout de suite un contrat. Mais après, les contrats, c'est avec les clients. L'agence, elle est au milieu. Quand tu as besoin d'un mannequin, tu n'appelles pas la mannequin. Tu n'appelles pas Naomi Campbell : ‘Allô Naomi, vous êtes libre ?’ C'est l'agence qui fait tout le travail, qui parle d'argent, qui parle du shooting, et c'est le client qui décide de ce dont il a besoin.”
 
Milan, vous connaissez bien puisque vous y êtes né. C'est la capitale italienne de la mode. Est-ce que cela vous a inspiré et a influencé votre parcours ?

“Moi j'ai fait les Beaux-arts. Je suggère à tout le monde de ne pas faire d'école de mode, parce que ou tu l'as, ou tu ne l'as pas. Ça, j'en reste convaincu. C'est comme pour les mannequins. Tu ne vas pas apprendre à être mannequin, tu ne vas pas apprendre à être styliste. Après les Beaux-arts, je suis devenu architecte parce que mes parents ne voulaient pas que je travaille dans la mode. Ils avaient beaucoup de stéréotypes sur le milieu de la mode. Ils préféraient que j'aie un travail sérieux, donc j'ai fait architecture, jusqu'au doctorat avec une thèse sur l'urbanisme. Et petit à petit, je me suis faufilé dans le milieu en étant vendeur dans une boutique. On avait plein de célébrités qui venaient s'habiller et j'aimais bien m'occuper de les habiller de façon personnalisée. J'ai commencé à dessiner des vêtements pour la boutique, quelqu'un m'a remarqué et j'ai signé un contrat avec une grosse société et là, ça a démarré. Le soir, j'ai dîné avec le big boss et il m'a dit : 'Si tu signes avec nous, tu pars la semaine prochaine pour le tour du monde' et c'est ce qui s'est passé. Il y avait des voyages d'inspiration et des voyages de fabrication, c'est-à-dire aller voir les usines, faire fabriquer les prototypes et la grosse production. Ça a duré une dizaine d'années. Même quand je suis arrivé à Tahiti, les premières années, je faisais les deux.”
 
Vous avez donc sillonné le monde et donc vu beaucoup de façons de faire différentes, mais aussi beaucoup de cultures différentes. Quel regard portez-vous sur la mode à Tahiti ?

“Je ne suis pas là pour juger quoi que ce soit. Après, il y a des choses que j'aime plus que d'autres. Il y a aussi des gens qui ne sont pas créateurs et qui le deviennent d'un jour à l'autre. Pour être créateur, il faut la passion. Il y en a qui le font pour de mauvaises raisons, pour être mis en avant. Pour moi, il faut être passionné et persévérer. Mais heureusement, il y en a beaucoup !”

Pendant le shooting des mannequins par le photographe Teiki Dev, Alberto V. garde un œil, en compagnie ici de la maquilleuse Orama Noble. © Tevahitua Brothers

Rédigé par Anne-Laure Guffroy le Jeudi 4 Mai 2023 à 17:42 | Lu 1861 fois