La TEP s'installe au centre du jeu


Tahiti, le 30 novembre 2020 – Dans une interview à Tahiti Infos, le nouveau P-dg de la TEP et ancien P-dg d'EDT entre 2008 et 2015, Hervé Dubost-Martin, détaille le repositionnement progressif du rôle de sa société d'économie mixte en tant que "responsable d'équilibre" du réseau de transport d'électricité à Tahiti, comme voulu par le plan de transition énergétique du Pays. "Notre travail, c'est d'être vraiment au centre et d'organiser la transparence et l'impartialité des règles du jeu", affirme Hervé Dubost-Martin.
 
Pourquoi la TEP avait-elle délégué ses missions à EDT lors de sa création ?

"Tout simplement parce que lorsque la TEP a été créée, dans les premiers mois, il n'y avait que deux personnes dans la société. Ensuite, dans les années suivantes, ce nombre est peut-être monté à cinq ou six personnes. Mais la TEP avait été créée par Alban Ellacott dans les années 1980 avec une première mission qui était de faire le tampon entre Marama Nui, qui était un producteur indépendant à l'époque, et EDT. Ceci pour financer les infrastructures nécessaires à acheminer l'hydroélectricité du Sud vers le Nord de Tahiti. Donc il y avait des investissements lourds à faire. Et le modèle qui avait été choisi à l'époque et développé par le Pays -puisque la TEP était une émanation du Pays et que Alban Ellacott avant la création de la TEP était ministre de l'Energie- était très pragmatique et s'appuyait sur les compétences du secteur. C'est à dire que la TEP était une espèce d'intermédiaire ou de véhicule financier et de portage de maîtrise d'ouvrage. Il y avait à l'époque un opérateur dominant qui était EDT. Il y avait un autre opérateur important qui était Marama Nui. Et tout ce que la TEP pouvait déléguer aux entreprises existantes du secteur, elle l'a délégué. D'où ce modèle au départ très pragmatique, avec très peu de personnes et une délégation totale à EDT y compris pour la maîtrise d'ouvrage."
 
Ce modèle a évolué depuis…

"Ce modèle a très bien fonctionné historiquement. Il a rempli son office. Après, le monde de l'énergie a changé. Comme dans tous les systèmes du monde, il y a eu une volonté des autorités politiques de plus de diversité et de pluralisme des acteurs. Et c'est en partie du fait de cette pression-là, et sous l'impulsion des gouvernements successifs de la Polynésie française, que la TEP a repris progressivement ses missions en direct. Donc la maintenance à la mi-2019, l'exploitation à la mi-2020 et maintenant la conduite en direct de son réseau au 1er décembre 2020."
 
Qu'est-ce que change concrètement cette reprise en main de la conduite du réseau de transport de l'électricité par la TEP ?

"Cela veut dire que les manœuvres qui sont nécessaires sur les organes de transport seront dorénavant effectuées par des techniciens et des opérateurs de conduite de la TEP. Elles ne seront plus assurées par le dispatching d'EDT, comme c'était le cas auparavant. Cela veut dire que dans le dispatching global de Tahiti, là où auparavant au quotidien EDT avait la main à 100% sur les décisions qui étaient prises, aujourd'hui les décisions et les informations vont devoir être partagées."
 
Et la suite de cette reprise en main des missions de la TEP, ce sera au 1er janvier 2022 avec la reprise en main, au moins du contrôle, du dispatching ?

"Je dirais qu'aujourd'hui les modalités restent complètement ouvertes. La loi du Pays fixe un certain nombre de principes. Elle donne le cap, les objectifs et ce qui est attendu de la TEP. Et ce qui est attendu à travers cette mission de responsable d'équilibre, c'est d'une part de reprendre la main sur les orientations et les programmations globales nécessaires pour que le service public de l'électricité soit assuré je dirais de manière optimale, et c'est d'autre part d'être la garante de l'égalité d'accès au système par les éventuels producteurs voire distributeurs indépendants qui viendraient à survenir. Il y a déjà deux distributeurs à Tahiti et je ne pense pas qu'il y en aura davantage. Mais par contre des producteurs indépendants d'énergie renouvelable ça il y en aura. C'est souhaité par le Pays. Donc, ce sont les deux volets : que la maîtrise d'ensemble du système soit assumée par une entreprise publique et aussi que cette entreprise publique donne les gages d'indépendance ou d'impartialité entre les deux producteurs. Gages qui sont ressentis comme un besoin aujourd'hui par certains."
 

Relations EDT-TEP : "Je ne dirais pas que c'est simple"

Parmi les gages d'indépendance, il reste toujours la question de la sortie d'EDT du capital de la TEP. Où en est-on de ce dossier ?

"C'est un dossier qui n'a pas beaucoup avancé en 2020. Il relève de discussions directes entre le Pays et EDT. A ma connaissance, ces discussions sont en cours, puisque le code de l'énergie prévoit explicitement un délai de deux ans laissé aux producteurs ou aux distributeurs qui seraient aujourd'hui dans le capital de la TEP pour en sortir. Ce qui est clairement le cas d'EDT."
 
Avec toutes ces missions, la TEP va-t-elle devoir s'étoffer ?

"Aujourd'hui, nous sommes 36. Pour la reprise de la responsabilité d'équilibre, tout dépendra de ce qui sera contractualisé. C'est à dire qu'aujourd'hui la loi du Pays est claire sur les objectifs à atteindre, mais elle laisse une certaine liberté dans les modalités qui devront faire l'objet de négociations tripartites en 2021 entre le Pays, la TEP et EDT. Donc ce sont ces négociations qui vont déterminer les moyens que la TEP devra mettre en place."
 
Avec toutes ces missions reprises en main par la TEP, où en sont vos relations avec EDT ?

"Aujourd'hui comme hier, les relations entre la TEP et EDT sont assez intenses. Elles n'ont jamais été simples historiquement. Ces relations sont assez complexes et les choses ont pas mal évolué ces dernières années, notamment dans les relations entre le Pays et EDT. (…) Il faut bien noter que la TEP n'a pas de stratégie propre. Elle déploie la stratégie qui lui est assignée par la Polynésie française. Donc quand c'est compliqué entre la Polynésie française et EDT, c'est forcément un peu compliqué entre la TEP et EDT. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ces dernières années les choses se sont un peu complexifiées. Il y a de nouvelles dispositions dans le code de l'énergie. Il y a eu une multiplication des contentieux devant les tribunaux. Il y a eu beaucoup d'avenants au contrat de concession. Il y a eu un rapport de l'assemblée de la Polynésie française qui n'est pas passé inaperçu en 2017… Et c'est vrai que l'un des points de négociation qui demeure, c'est celui du rôle de la TEP et de la responsabilité d'équilibre. Comment le dispatching d'EDT s'adapte à cette nouvelle donne. C'est clairement un sujet qui reste sur la table des discussions. Ceci dit, les entreprises, tant TEP qu'EDT, ont toujours su faire face avec professionnalisme à ces difficultés, préserver l'essentiel et faire en sorte que le travail soit correctement fait. Je n'ai pas de doute, cela se poursuivra dans les mois et les années qui viennent… Lorsque je suis arrivé, l'une des premières feuilles de route que m'a assignées le Pays, c'était d'essayer de décrisper l'état des relations entre la TEP et EDT. J'essaie de m'y attacher depuis quelques mois, avec des propositions de dialogue et de concertation. Je ne dirais pas que c'est simple."
 
Lorsqu'on est Hervé Dubost-Martin (ex-P-dg d'EDT) avec un ministre qui s'appelle Yvonnick Raffin (Ex-directeur adjoint d'EDT), est-ce que le but c'est de mettre de l'huile dans les rouages ou est-ce que ce doit davantage être une crainte pour EDT parce que l'on a un tandem qui connaît particulièrement cette société ?

"Je crois que c'est à EDT qu'il faut poser cette question, mais je peux répondre pour Hervé Dubost-Martin (rires). Je crois que connaître un secteur, savoir de quoi l'on parle et avoir la perspective historique, c'est toujours mieux lorsqu'on s'occupe de sujets comme ceux-ci. Ce qui m'a frappé quand je suis revenu en Polynésie, c'est quand même que les choses avaient beaucoup changé. Les nouveaux avenants, les nouvelles lois, tous les débats autour de la nouvelle loi sur les provisions pour renouvellement… Il y a quand même eu des bouleversements très forts. J'ai retrouvé une situation très différente de celle que j'avais laissée quand j'étais, effectivement, patron d'EDT. Donc j'ai l'impression d'avoir finalement un regard neuf sur le secteur, puisque beaucoup de choses ont évolué. Le fait d'avoir un ministre qui lui-même est un ancien du secteur, ça ne peut être qu'une bonne chose. Là aussi, le fait que le ministre ait une sensibilité particulière sur ce sujet, c'est plutôt un facteur qui devrait aider à progresser dans les négociations avec les acteurs, dans l'analyse des problèmes et surtout dans la prise de décisions pour avancer plus concrètement et plus rapidement dans la transition énergétique. Je rappelle quand même que sur l'objectif de 75% d'énergies renouvelables en 2030, on est à 35% aujourd'hui à Tahiti et à moins de 30% sur l'ensemble de la Polynésie. On peut considérer qu'à Tahiti, on a progressé de l'ordre de 6% dans les dix dernières années avec le seul solaire. On a fait 6% en dix ans, maintenant comment va-t-on faire 40% ces dix prochaines années ? C'est un vrai sujet."
 

"Il y a une attente des promoteurs de centrales solaires"

C'est un des objectifs de la TEP d'organiser un contexte à même de faire progresser la Polynésie sur les énergies renouvelables ?

"C'est l'un des objectifs assignés à la TEP. C'est très clair. Notamment en termes d'impartialité. C'est à dire qu'aujourd'hui, il y a une attente notamment chez les promoteurs de centrales solaires, ceux qui sont dans les starting-blocks, de pouvoir discuter avec la TEP de leur raccordement au réseau. Parce qu'ils souhaitent avoir un acteur qui soit plutôt une entreprise publique et surtout un acteur qui s'interdit d'investir directement dans la production. C'est clairement la ligne que l'on suit à la TEP. Pour la production, on souhaite à Tahiti rester un pure player des réseaux. Sachant que les réseaux se complexifient beaucoup avec l'arrivée des énergies renouvelables et des énergies intermittentes. Puisqu'il faut positionner des dispositifs de stockage et de régulation pour pouvoir augmenter la part des énergies fatales, et puis parce que plus on a de producteurs et plus il faut prévoir de règles du jeu et de procédures de connexions et de déconnexions éventuellement. Notre travail, c'est d'être vraiment au centre et d'organiser la transparence et l'impartialité des règles du jeu par rapport à ça. Le gouvernement nous attend beaucoup sur ces sujets. Outre le fait que la TEP, étant à la fois un industriel et une entreprise publique, est en situation de mettre de l'huile dans les relations entre les différents acteurs du secteur pour que tout le monde se comprenne mieux."
 
La TEP a-t-elle vocation à s'occuper du transport ou même de distribution d'énergie dans les autres îles que Tahiti ?

"Pour l'instant, la TEP ne répond pas dans le cadre des consultations lancées par les îles. Ceci pour laisser le marché s'exprimer et voir ce qui se présente. Peut-être que dans un an ou deux avec les premières procédures qui seront sorties, encore une fois la TEP fait ce que le gouvernement lui demande de faire, on arrivera à la conclusion qu'il n'y a pas suffisamment de concurrence pour animer les procédures sur la distribution des îles et qu'on demandera à la TEP de s'en mêler. Ce n'est pas le cas aujourd'hui."
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Mardi 1 Décembre 2020 à 16:44 | Lu 2655 fois