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La République fédérale de Mā'ohi Nui validée par la commission de décolonisation


Tahiti, le 16 avril 2025 - La commission spéciale sur la décolonisation s'est réunie ce mardi et a adopté l'avant-projet du Tavini de Constitution de la République fédérale de Mā’ohi Nui qu'il a présenté lors de son congrès du 5 avril. Sans aucune consultation populaire, et même si ces recommandations n'ont aucune portée législative, le parti majoritaire engage ainsi les Polynésiens dans une voie qu'ils n'ont pas choisie sur le plan institutionnel au regard des résultats des dernières élections territoriales.

 
Les 57 élus de Tarahoi ont été destinataires d'un courrier d'Antony Géros, ce mardi 15 avril, après la réunion de la commission spéciale sur la décolonisation qu'il préside et qu'il a créée six mois tout juste après être arrivé au perchoir de l'assemblée en 2023.  Un courrier dans lequel la commission formule deux recommandations transmises à l'assemblée ainsi qu'au gouvernement : d'abord, elle demande “à l'unanimité des membres présents ou représentés, de prendre acte et d'accueillir l'avant-projet de Constitution de la République fédérale de Mā’ohi Nui telle que déposé par le parti politique Tavini Huira'atira no te ao Mā'ohi Nui – FLP et présenté à la commission. Elle appelle les autres forces politiques représentées au sein de l'assemblée de la Polynésie française à déposer leurs projets éventuels en ce sens afin d'enrichir les réflexions institutionnelles dans le cadre du dialogue de décolonisation avec l'État.”
 
Ensuite, elle recommande au gouvernement “d'engager les moyens règlementaires, financiers et matériels en faveur de la réalisation” d'une étude sur les “conséquences transgénérationnelles liées aux essais nucléaires français en Polynésie française de 1966 à 1996 (...) en tant qu'élément de discussion du dialogue de décolonisation avec l'État”.
 
Des recommandations politiques sans portée législative
 
Des recommandations qui viennent asseoir un peu plus la démarche politique du Tavini mais qui n'auront aucune portée législative. Rappelons en effet que les élus de la minorité ont refusé d'emblée de cautionner la création de cette commission dans laquelle siègent uniquement des élus Tavini. Le Tapura et Ahip avaient donc déposé un recours commun devant le Conseil d'État en pointant notamment du doigt son manque de transparence et le fait qu'elle utilise des deniers publics à des fins politiques. Dans sa décision rendue en juillet 2024, la haute juridiction administrative avait choisi de statuer sur le droit et non sur l'utilité ou la légitimité de cette commission, en convenant ainsi qu'elle était “dépourvue de toute compétence législative”.
 
Se pose néanmoins la question de la consultation populaire sur un sujet aussi crucial pour l'avenir institutionnel du Pays. C'est une chose de faire approuver ce projet de Constitution d'un État fédéral de Mā’ohi Nui par le congrès du parti (le 5 avril dernier), c'en est une autre de faire porter ce projet politique par l'assemblée. Une assemblée à majorité bleue à la faveur de la prime majoritaire, mais qui n'est pas représentative des électeurs polynésiens puisque 75 000 d'entre eux ont voté pour des candidats autonomistes en 2023, contre 58 000 pour le Tavini. C'est un fait. Et c'est faire peu de cas de cette frange de la population.
 
C'est pourquoi, en décembre dernier, l'opposition avait à nouveau dénoncé un “coup de force” du Tavini, cette fois soutenue par l'élue bleue Hinamoeura Morgant-Cross, et demandé une “consultation populaire” concernant deux textes portés par Antony Géros. Le premier étant une “résolution” pour obliger l'État à “ouvrir le dialogue de décolonisation sous l'égide des Nations Unies”, et le second étant une délibération autorisant le président de l'assemblée à ester la France en justice si elle persiste à refuser ce dialogue. Texte attaqué cette fois par le haut-commissaire et qui est toujours entre les mains du Conseil d'État dont la décision est attendue dans les jours qui viennent.

Une République fédérale de Mā’ohi Nui qui coûterait cher
 
Petite piqûre de rappel. Lors du congrès du Tavini qui s'est tenu à Vaitupa le 5 avril dernier, le bras droit d'Antony Géros à l'assemblée, Richard Tuheiava, a présenté cet avant-projet de Constitution de la République fédérale de Mā'ohi Nui qui constituerait le socle législatif de la Polynésie une fois qu'elle aura accédé à son indépendance. Une République qui donnerait davantage d'autonomie aux cinq archipels en leur octroyant le statut d'État fédéré. Chacun d'entre eux disposerait de sa propre assemblée législative composée de 14 membres, mais aussi de son “maire” qui serait comme un président à l'échelle de l'archipel, d’une autonomie financière et de compétences propres. Cette organisation institutionnelle s'inspire des modèles américain, français et micronésien, comme l'avait souligné Richard Tuheiava qui avait présenté la version la plus onéreuse de cette future République fédérale de Mā'ohi Nui tout en envisageant quand même d'en “réduire la voilure”. Et pour cause. Dans le modèle exposé, en plus de ces 70 élus des archipels et de leurs cinq “maires”, il est aussi prévu que l'assemblée se dédouble pour former un Parlement comme en métropole : 57 députés élus pour cinq ans à la proportionnelle et 57 sénateurs élus par les assemblées législatives des archipels. Pour 280 000 habitants, ça commence à faire beaucoup et la facture risque d'être salée quand on sait qu'aujourd'hui, le fonctionnement de l'assemblée de Tarahoi pèse pour près de deux milliards et demi de francs par an dans le budget du Pays.

Rédigé par Stéphanie Delorme le Mercredi 16 Avril 2025 à 17:30 | Lu 4728 fois