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« La Polynésie est sur le chemin de notre coopération »


Le consul de Chine en Polynésie française, Shen Zhiliang.
Le consul de Chine en Polynésie française, Shen Zhiliang.
PAPEETE, le 15 mai 2019 - Quelques semaines après le deuxième sommet des nouvelles Routes de la Soie, le 25 avril dernier à Beijing, le consul de Chine en Polynésie française, Shen Zhiliang, a accordé une longue interview à Tahiti-Infos pour détailler notamment les implications potentielles de ce vaste projet pour la Polynésie. Il évoque également le projet aquacole de Hao et le sujet -très actuel- de la pollution des navires chinois en Polynésie.

Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste le projet « La ceinture et la route » aussi appelé projet des nouvelles « Routes de la Soie » de la Chine ?
« A mon avis, le projet « La ceinture et la route » crée la plus grande plateforme du monde pour la coopération internationale. Il a été initié par notre président Xi Jinping en 2013. L’objectif de cette initiative, c’est d’opérer des coopérations pour la paix et pour le bénéfice mutuel dans une optique d’enrichissement mutuel. L’initiative est basée sur la construction d’infrastructures pour créer un monde interconnecté et fournir une force motrice pour la croissance mondiale. Le tout dans une optique d’ouverture, pour que ce projet soit bénéfique à tous. C’est pour ça que nous avons eu de nombreuses participations lors du dernier sommet du 25 avril. Jusqu’à aujourd’hui, 127 pays du monde et 29 organisations internationales ont signé les documents de coopération dans le cadre de cette initiative. Depuis six ans, les chiffres d’affaires de coopération des projets dans ce cadre ont dépassé 6 000 milliards de dollars US (640 000 milliards de Fcfp) et les investissements chinois dans ces projets ont dépassé les 90 milliards de dollars (9 600 milliards de Fcfp). Ce qui a permis de créer plus de 300 000 emplois locaux. Cette initiative a commencé par l’Asie et l’Europe. Et aujourd’hui, elle atteint l’Afrique, l’Océanie et l’Amérique du Sud. La Polynésie se situe sur la prolongation de cette route. (…) La route de la Soie existe depuis l’antiquité. Aujourd’hui, elle participe d’une démarche d’ouverture de la Chine vers l’extérieur au niveau des échanges commerciaux, mais aussi culturels ou éducatifs… »

Votre président a mis l’accent sur le « développement vert » pour ces projets. Comment cela se traduit-il concrètement ?
« Le développement vert est très important pour la Chine. C’est une partie indispensable dans notre développement de civilisation écologique. Les efforts de la Chine ces dernières années en matière écologique ont été reconnu par l’ONU et par de nombreux Pays. Quand on parle de développement vert, il y a des infrastructures vertes et des financements verts pour protéger notre planète. Les conditions primordiales pour que les entreprises investissent sont que les projets correspondent à des besoins des partenaires et qu’ils respectent toutes les lois en vigueur dans ces Pays. Il y a des centaines de projets d’infrastructures en cours. Mais tous les projets -par exemple hydroélectriques, thermoélectriques ou de chemins de fer- doivent respecter des études d’impact environnemental. Nos projets sont également étudiés en ce sens par des parties tiers. Parce qu’on comprend que tous nos partenaire sont très préoccupés par l’écologie. Comme je vous les dis, c’est d’abord la consultation et après la coopération. Ce n’est pas la Chine qui décide. Elle discute avec les pays. Le gouvernement chinois exige des entreprises chinoises de respecter les obligations environnementales et de renforcer la coopération internationale dans ce cadre. Comme le dit notre Président : « La montagne verte et l’eau claire valent de l’or ».

Ces projets concernent-ils également les câbles sous-marins pour des liaisons Internet à très haut débit, notamment dans le Pacifique ?
« Nous avons développé des projets dans l’électricité, l’énergie renouvelable ou les réseaux terrestres. Tout cela fait partie de ce système de réseaux et de routes terrestres. Mais bien sûr nous avons des projets de câbles sous-marins. En 2015, l’entreprise chinoise China Unicom a annoncé plusieurs projets de câbles sous-marins, y compris un projet de câble sous-marin direct Asie-Amérique. La grande entreprise de télécommunication chinoise China Mobile a également travaillé avec la Corée du Sud, le Japon, les Etats-Unis et Taiwan pour le projet « NPC ». Un nouveau projet trans-Pacifique part de Shanghai vers Pacific City aux Etats-Unis. Il a été mis en fonction en mars dernier. »

« Hao est un projet gagnant-gagnant »

On a déjà évoqué un projet de câble entre la Chine et l’Amérique du Sud pouvant passer la par la Polynésie. Est-ce réellement à l’étude ?
« Sur ce projet que vous mentionnez, oui nous en avons entendu parler. Je sais que des entreprises chinoises sont intéressées et qu’il y a eu des discussions entre différentes parties. La Chine soutient l’idée, le Chili soutient l’idée, et plusieurs pays insulaires soutiennent l’idée. Mais la prochaine étape, c’est de concrétiser. Jusqu’à aujourd’hui, ça reste une idée, pas encore du concret. »

La Polynésie française, du fait de sa situation géographique centrale dans le Pacifique, est-elle directement concernée par ces nouvelles routes de la Soie ?
« Il faut toujours commencer par les relations Etat-Etat. Premièrement, la France fait partie des premiers pays occidentaux qui ont accepté de participer à cette initiative. Depuis quelques années, la Chine avec la France ont travaillé ensemble pour pousser à la coopération des marchés tiers. Cela veut dire que certains projets dans des pays tiers peuvent être financés par la Chine et la France. Par exemple, la Chine et la France ont travaillé sur des projets en Afrique. Fin mars de cette année, notre président a effectué une visite officielle en France et les deux parties ont signé un « memorandum of understanding » pour développer des marchés tiers. Deuxièmement, la Polynésie se situe au centre du Pacifique. Donc c’est une localisation très importante, très intéressante. La Polynésie est sur le chemin de la prolongation de ces nouvelles routes de la soie. La Polynésie est sur le chemin de notre coopération. Et ça nous fait plaisir de voir que lors de nos différents entretiens ici, les Polynésiens expriment leur souhait que la Polynésie participe à ces projets avec la Chine. Je pense qu’avec les échanges de plus en plus étroits entre la Polynésie et la Chine, les visites qui s’accélèrent, je suis convaincu qu’il y aura davantage de participation de la Polynésie avec la Chine. »

Lorsque l’on évoque les projets chinois en Polynésie, on pense évidemment aujourd’hui au projet aquacole de Hao qui peine à démarrer. Ce projet est-il viable selon vous ?
« Une chose très importante que l’on a fait depuis ma prise de fonction, c’est que j’ai accompagné le président Edouard Fritch et le haut-commissaire René Bidal pour aller voir ce projet à Hao. On peut dire que c’est un très bon projet. C’est un projet qui répond aux attentes de la Polynésie. Et à long terme, il peut servir la croissance de la Polynésie et créer de l’emploi. C’est un projet gagnant-gagnant. Mais c’est aussi un projet complexe, parce que c’est un projet de construction maritime qui touche à l’environnement et parce que c’est un projet à long terme. Vous savez que tous les projets maritimes demandent beaucoup de procédures administratives, d’agréments et d’études d’impact environnemental. Le projet aquacole de Hao, c’est la même chose. Il y a beaucoup de procédures administratives à effectuer. Je le répète, le gouvernement chinois encourage les entreprises chinoises à aller investir à l’étranger pour créer de nouveaux marchés, mais en même temps le gouvernement exige que les entreprises respectent les lois des pays dans lesquels ces entreprises investissent, surtout du point de vue environnemental mais aussi sur le plan social. Je sais qu’il y a des discussions entre les investisseurs chinois et les entreprises privées de Polynésie. Ils ont beaucoup échangé sur des travaux à venir. En Chine, on dit que les bons projets prennent du temps à démarrer. En Chine, nous construisons vite, mais c’est parce que nos projets prennent beaucoup d’années d’études préalables. »

« Toute pêche illégale à l’intérieur de la ZEE sera punie lourdement »

Pour finir sur l’actualité récente, un navire chinois a été intercepté en début de semaine pour une pollution au large de Tahiti. On se souvient également de la pollution aux sacs plastiques aux Marquises en janvier dernier. Comment les autorités chinoises peuvent travailler à empêcher ces incidents qui nuisent tant à l’environnement qu’à l’image de la Chine en Polynésie ?
« Je comprends tout à fait ces craintes. Mais dans le Pacifique, il y a beaucoup de bateaux. Et même sur des bateaux chinois, il y a des équipages étrangers. A mon arrivée en 2017, un navire chinois s’est échoué en Polynésie et a causé une pollution. On a cherché à contacter le gouvernement chinois, puis on a cherché à contacter l’armateur, qui finalement était Taïwanais… Reste que lorsque ce type de pollution est découvert, je vous prie de contacter immédiatement le consulat pour en avertir le gouvernement chinois, en plus des autorités maritimes en Polynésie. J’ai eu des échanges avec des responsables des bateaux chinois qui sont venus ici. Ils m’assurent être très stricts avec les marins, notamment sur les questions de déchets. Nous répétons tout le temps qu’il faut respecter la loi et les réglementations internationales. Et si jamais les autorités françaises en Polynésie nous informent et prouvent que des bateaux chinois polluent ou pêche dans la ZEE de la Polynésie, sachez que j’adresserai immédiatement un rapport sur ces faits au gouvernement chinois. Malheureusement, il faut aussi constater que dès qu’il y a un petit problème en mer concernant l’environnement, on dit que ce sont des navires chinois. Lorsque je fais le tour de cette magnifique île, je vois parfois des déchets par endroit. Ce n’est pas la faute des Polynésiens ou du gouvernement, ce sont des problèmes individuels. C’est la même chose pour les navires qui polluent. Mais sachez qu’en tant que représentant du gouvernement chinois, nous allons continuer à sensibiliser les bateaux et les marins. Nous y sommes sensibles. D’autant plus qu’aujourd’hui le continent de plastique dérive de l’Amérique du Nord vers l’Asie. Ces préoccupations nous concernent donc très directement. »

Sur la problématique du contrôle des navires de pêche chinois dans le Pacifique, les autorités polynésiennes assurent surveiller la zone. Le gouvernement chinois y participe-t-il également ?
« Nous exigeons que tous les bateaux respectent la convention des Nations Unies. Tous les bateaux qui pêchent en haute mer doivent respecter ces obligations. Mais sur ce sujet, je pense que vous savez également qu’il y a des personnes, pour des raisons diverses, qui ont diffusé des informations disant que les bateaux chinois pêchaient dans la ZEE de la Polynésie et que ce n’est pas la réalité. Notre consulat et les autorités françaises l’ont confirmé. Maintenant, il faut savoir que l’administration chinoise pour la pêche supervise à distance tous les bateaux chinois par GPS ou par d’autres moyens. Et une fois que les bateaux chinois approchent à 5 miles nautiques des frontières de la ZEE, nous en sommes alertés. Toute pêche illégale à l’intérieur de la ZEE sera punie lourdement, y compris en retirant les licences de pêche des bateaux. Encore une fois, si jamais l’autorité locale ou d’autres personnes découvrent que des pêcheurs chinois pêchent dans la ZEE, ils peuvent directement rapporter cette information aux autorités maritimes françaises et au consulat de Chine en Polynésie. »

Rédigé par Antoine Samoyeau le Jeudi 16 Mai 2019 à 09:30 | Lu 1402 fois