L'oenologie du futur à l'Inra: des vins techniques mais nature


PECH ROUGE (AUDE), 14 septembre 2013 (AFP) - Moins de chimie mais du génie: à Gruissan, l'Inra invente les vins du futur, à base de nouveaux cépages résistants et d'une "oenologie de précision" qui fait appel à la technologie de pointe.

C'est un domaine avant d'être un labo: 47 ha de coteaux, propriété de l'Institut national de recherche agronomique sur le Massif de la Clappe, en surplomb de la Méditerranée, aux grappes noires, lourdes et sucrées sous les feuilles rougies par les feux de septembre.

Divisées en parcelles, étiquetées et numérotées, les vignes d'ici produisent des jus nouveaux et parfois audacieux, issus d'hybrides conçus pour encaisser les maladies et le réchauffement climatique, qui fait prendre aux raisins un degré d'alcool par décennie, près de 3° en 30 ans.

"Sélectionner des cépages plus résistants aux maladies nous semble la seule solution pour diminuer l'usage de pesticide", explique entre les vignes Hernan Ojeda, responsable de l'unité expérimentale de Pech Rouge rattachée à l'Inra de Montpellier. Car la vigne est après la pomme la deuxième culture la plus traitée en France, 6 à 20 fois par an selon les régions. Peu de traces dans les vins, mais beaucoup dans les sols et l'eau.

Par hybridation d'un cépage américain muscadinia et d'un vinifera européen recroisé depuis avec du grenache, du cabernet-sauvignon et du merlot, l'Infra obtient cette saison la 6ème vendange vierge de tout traitement, mais blindée contre le mildiou et l'oïdium, fléaux bien connus des vignobles.

Démonstration: en soulevant les feuilles lisses et les grappes gonflées de sa création, Hernan Ojeda découvre celles, flétries aux raisins racornis, du cépage traditionnel: sans protection chimique, il est rongé par l'oïdium. Le nouveau cépage - qui n'a pas encore de nom, juste un numéro - est d'ailleurs en train d'envahir l'ancêtre.

"On traite encore moins qu'en bio", relève le chercheur venu d'Argentine où, comme ailleurs dans le "Nouveau Monde" du vin, le Chili, l'Australie, on tourne sans pudeur le dos aux traditions pour s'adapter.

Ainsi, la "non-taille", ou taille minimale des ceps fait partie de ces nouvelles procédures testées ici - mais "adoptée depuis plus de 30 ans en Australie" -: la vigne, contrainte de s'adapter seule à son environnement, produit ce qu'elle peut gérer: moins de feuilles, mais plus de grappes. "Même si les baies sont plus petites, la production peut augmenter de 20%", note-t-il. Plus lente à mûrir, elle compense aussi les effets du changement climatique en freinant d'elle-même la production de sucre - donc d'alcool.

Bémol: "La vigne faisant plus d'effort elle réclame 15 à 20% d'eau supplémentaire. Mais les coûts de main d'oeuvre sont facilement divisés de moitié". Penh Rouge teste d'ailleurs les possibilités d'irrigation avec des eaux ménagères et agricoles recyclées.

"En combinant cépages résistants, non-taille et eau recyclée, on réduirait les coûts de production et les émissions de CO2 de 50%", assure le chercheur.

De l'Argentine à l'Australie

Simultanément la révolution "Nature" se poursuit dans les cuves où l'Inra a déjà mis au point des techniques inédites comme le foulage par éclatement (en cours de brevetage) et la "flash détente" (on chauffe le raisin à 90° avant de le plonger dans un cuve sous vide): "la phase de détente favorise la libération des composants recherchés, la couleur, les polyphénols, tout ce qui structure le vin et favorise son aptitude au vieillissement", résume Jean-Michel Salomon, directeur de recherches.

Pour le vigneron, du temps gagné: "Cinq minutes d'éclatement et quelques heures de macération, contre une à trois semaines. On peut obtenir très rapidement des vins charpentés", poursuit-il. L'intérêt est évident pour les caves industrielles. La plupart des grandes caves françaises sont désormais équipées mais le "flash détente" essaime aussi en Argentine et au Chili.

De même, cette vinification high-tech sait contrôler la fermentation en "freinant" la température, corriger l'acidification ou le degré d'alcool sans aucun additif; ainsi avec "l'électrolyse membranaire", on cible les indésirables, même l'excès d'alcool.

"La technologie est plus chère que la chimie", reconnait M.Salmon. Mais le gain est tel que ces innovations ont gagné les vignobles du monde entier, de l'Argentine à l'Australie, pour acidifier, désacidifier, désalcooliser , bref stabiliser les vins sans aucun ajout chimique.

Eurodia, partenaire industriel de l'Inra, exporte aujourd'hui cette technologie membranaire dans 25 pays, dont 300 caves rien qu'au Chili.

Rédigé par Par Anne CHAON le Samedi 14 Septembre 2013 à 05:45 | Lu 1086 fois