L’impossible attente des Calédoniens au Fenua


Tahiti, le 26 mai 2024 - Ils se sont comptés. Près de 280 ressortissants du Caillou sont en attente depuis deux semaines de retrouver leurs proches. Sans visibilité, dans des conditions parfois difficiles, ils en appellent aux autorités pour pouvoir rentrer chez eux.

Ils sont venus au Fenua en touristes, pour le travail, ou pour un échange sportif. En quelques jours, ils ont vu leur pays s’enflammer, s’effondrer. Seuls, en couple, avec des enfants, entre amis, depuis le 14 mai dernier, ils sont bloqués en Polynésie française, sans possibilité de retour sur le Caillou.
Deux semaines après le vote à l’Assemblée nationale de la loi modifiant le corps électoral en Nouvelle-Calédonie, ces ressortissants n’attendent qu’une chose, rentrer chez eux et retrouver leurs proches. Mais le Caillou est englué dans les émeutes. Même si les images renvoyées par les médias montrent une baisse des actes d’incivilité sur place, eux ne sont pas dupes.
En contact permanent avec leurs familles, ils entendent les agressions, comptent les voitures brulées, mais comptent aussi les jours qui les tiennent éloignés de leurs foyers.
Dimanche, comme un symbole, c’est sur la place Jacques Chirac qu’ils ont rencontré les médias locaux pour leur faire part de leur désarroi.
La peur qui est la leur de voir des amis blessés. Les annonces quotidiennes d’entreprises brûlées, fermées, et leurs proches qui se retrouvent sans emploi. Ce cadre en agronomie qui ne comprend pas pourquoi son laboratoire a été saccagé alors qu’il est venu en Polynésie pour travailler pour la jeunesse de son pays, et du nôtre, dans le cadre d’un partenariat pour l’avenir des océans.
Sans rancœur, ils se félicitaient dimanche matin qu’un vol de l’Armée permettait le jour même à 80 Polynésiens de revenir au Fenua. Et ils attendent leur tour, qui ne vient pas.
Si les autorités locales, État comme Pays, se veulent rassurantes avec eux, ces Calédoniens, éloignés des leurs depuis deux semaines, ne voient pas le bout du tunnel, s’endettent un peu plus tous les jours pour pouvoir se loger, ne nourrir, se déplacer. En se levant le matin avec l’espoir que le soir, un avion les reconduira chez eux. Des espoirs pour l’instant douchés chaque soir… et reportés au lendemain.
Dimanche, quelques heures après avoir rencontré la presse, la ministre déléguée aux Outre-mer, Marie Guévenoux, annonçait la prolongation de la fermeture de l’aéroport de Tontouta pour une semaine de plus, expliquant que “sur le terrain, la situation demeure très difficile pour les habitants de l'île, en particulier dans le Grand Nouméa”.
Des propos qui ne vont pas rassurer les 280 ressortissants calédoniens, bloqués dans une Polynésie accueillante, chaleureuse et ensoleillée, mais qui ne remplacera jamais leurs foyers, leurs familles et leurs proches.
Dimanche, ils en ont donc appelé à l’État et aux autorités locales pour faire accélérer les choses et leur permettre de rentrer. “Même si la situation est très dure, explique un Calédonien hors micro, ma place est là-bas.”

Véronique Mollot
“Nous voulons être auprès de nos familles”
 
Vous êtes réunis aujourd’hui pour dénoncer un ras-le-bol.
“C’est surtout pour exposer notre désarroi qui peut être minime par rapport à ce que vivent nos compatriotes en Nouvelle-Calédonie, mais nous nous sentons abandonnés parce que nous n’avons aucune information. Nous avons constitué ce collectif, mais nous sommes plus de 280 Calédoniens coincés ici en Polynésie. Nous glanons chaque jour des informations. L’organisation ici est très compliquée. Nous devons trouver un logement au jour le jour. Multiplier nos dépenses. L’aspect matériel n’est pas ce qui nous contrarie le plus. Le problème, c’est surtout de ne pas pouvoir être auprès des nôtres. Nous avons l’impression d’abandonner nos proches. Nous voulons rentrer en Nouvelle-Calédonie et nous attendons d’avoir des perspectives. C’est ce manque d’informations qui nous perturbe beaucoup. C’est important pour nous de montrer notre solidarité, et nous voulons aussi souligner qu’en Polynésie, nous avons eu un accueil extrêmement bienveillant, compatissant. Même des personnes démunies nous offrent l’hospitalité. Il y a une générosité exemplaire ici. Nous avons appris que le président de la Polynésie allait demander que soit mis en place un vol pour que nous puissions rentrer. Nous le remercions et nous attendons les dates. Nous sommes meurtris par cette situation. Quand on est éloigné, l’angoisse est exacerbée. Nous avons envie d’être auprès de nos enfants, de nos conjoints.”
 
Le manque d’interlocuteurs pèse aussi ?
“On nous dit ‘Nous avons bien pris en considération votre demande’ ; mais derrière, il n’y a pas de proposition concrète.”
 
Comment vont vos familles sur place ?
“Le comble, c’est que ce sont nos familles qui nous rassurent. Elles nous disent qu’elles sont heureuses de nous savoir à l’abri. Mais nous avons envie d’être avec eux. Selon les quartiers où ils se trouvent, la tension est différente. Nos familles sont désœuvrées et pour nous, c’est insupportable de ne pas pouvoir être là pour les aider. Nous nous sentons coupables de profiter de cet accueil ici, en Polynésie.”
 
Vous faites énormément de démarches, mais rien n’aboutit. 
“Tout à fait. Tous les jours on nous envoie des formulaires à compléter. Du haut-commissariat de Polynésie, celui de Nouvelle-Calédonie, des formulaires de Aircalin. Avec sans arrêt des demandes complémentaires. On a instruit tous les dossiers et on attend des réponses concrètes.”
 
Êtes-vous soutenus financièrement ? 
“Ça commence à devenir problématiques pour beaucoup d’entre-nous. Des Polynésiens nous offrent leur hospitalité, mais c’était initialement prévu pour deux jours. Maintenant, nous n’avons plus de perspectives. La Province Sud nous a envoyé un document à instruire pour une aide potentielle. Mais là encore, nous n’avons plus de nouvelles. Mais je le redis : la détresse, elle est en Nouvelle-Calédonie. Nous, nous sommes désemparés. Nous voulons être auprès de nos familles. Des ressortissants d’Australie et de Nouvelle-Zélande ont été rapatriés très rapidement. Nous, personne ne nous offre de perspective concrète de retour.”
 
Un avion est parti ce matin avec des vivres et des médicaments. Il revient avec des Polynésiens le soir. Vous n’êtes toujours pas dedans. 
“Alors oui, la priorité est donnée aux vivres et aux médicaments. C’est normal, mais ce que nous aimerions, c’est qu’un avion militaire nous rapatrie. On est près de 280 depuis le 13 mai à attendre.”

Adriane et Sébastien : “Revoir nos enfants”



  
Vos enfants sont restés en Nouvelle-Calédonie, c’est là votre véritable angoisse.
Adriane : “C’est très compliqué de vivre tout ça à distance. Ici tout se passe bien alors qu’au pays… C’est très angoissant d’être loin de nos enfants.”
 
Comment vont-ils ? Avez-vous des nouvelles ?
Sébastien : “Ils vont bien. Ils sont bien entourés par nos parents. Nous sommes dans le Mont-Dore Sud, c’est une zone qui est protégée par la population. On espère juste rentrer vite.”
 
Pour le logement, comment faites-vous ?
Adriane : “C’est compliqué. On a pris un Airbnb à quatre. On vit au jour le jour. La location de voiture est compliquée. C’est un budget supplémentaire. Là, ça commence à peser.”
Sébastien : “On attend le retour pour voir à quoi ressemble le pays.”
 
Craigniez-vous pour vos emplois là-bas ?
Adriane : “Nous, je pense que nos patrons sont compréhensifs et ils nous soutiennent.”
Sébastien : “Mais nous avons des amis des proches qui ont perdu leur emploi. Ce sont les emplois locaux qui ont été brûlés avec les incendies. C’est très triste, on ne peut rien faire.”
 
Quand vous voyez les images dans les médias, comment est votre cœur à ce moment-là ?
Adriane : “Ouf ! [Elle marque un temps de pause]. C’est très dur. Nous avons nos vies là-bas. Nous avons construit notre famille, notre travail. C’est dur de voir notre pays comme ça. Ce pays où on a grandi. Cela s’est tellement dégradé en peu de temps. On est parti à Tahiti, tout se passait bien et en moins d’une semaine, tout s’est effondré.”
 
Vous n’imaginiez pas une telle dégradation ? Avez-vous suivi le vote à l’Assemblée nationale ?
 Sébastien : “Quand on a vu le vote à Paris, on a vu venir la catastrophe, mais on ne s’attendait pas à ça.”

Rédigé par Bertrand PREVOST le Dimanche 26 Mai 2024 à 18:37 | Lu 3147 fois