L'impact du shark-feeding sur les requins étudié


Les requins ont été étudiés principalement au large de Moorea et Tahiti, où le nourrissage artificiel est pratiqué, ainsi qu'autour de Tetiaroa, Maiao et Mehetia. Crédit photo : Lauric Thiault.
PAPEETE, le 2 novembre 2016. Lors de son doctorat mené au sein du Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement (Criobe), Pierpaolo Brena a étudié le comportement de requins-citrons et de requins-tigres sur des zones de nourrissage artificiel de requins. Objectif : une meilleure connaissance de l'écologie de ces animaux, des impacts potentiels de cette pratique et de ses risques associés.

Pierpaolo Brena fait partie de la "génération Cousteau". Bercé par les reportages réalisés par le célèbre commandant au bonnet rouge, il devient rapidement captivé par la beauté des requins, avant de réaliser les "enjeux économiques et sociétaux importants" que représentent ces animaux.
Ce vendredi 4 novembre, ce doctorant EPHE-CRIOBE présentera les résultats de ses travaux de thèse, intitulée "Dimensions écologique et humaine de la relation Homme-Requin : approches fondamentale et appliquée du nourrissage de requins en Polynésie française". Ce rendez-vous s'adresse aux personnes intéressées par les questions du shark-feeding, et plus généralement par l'interaction entre l'Homme et son environnement. Pendant plus de deux ans, Pierpaolo Brena s'est intéressé à l'impact du shark-feeding sur les requins-citrons et les requins-tigres. L'objectif de son étude est en partie de répondre aux questions suivantes : le shark-feeding augmente-t-il l'agressivité des squales ? Cette pratique les rend-elle plus sédentaires ?

PLUS DE DEUX ANS DE RECHERCHE
Les requins ont été étudiés principalement au large de Moorea et Tahiti, où le nourrissage artificiel est pratiqué, ainsi qu'autour de Tetiaroa, Maiao et Mehetia. Le comportement des requins a été suivi dans le temps grâce aux marques distinctives (taches, cicatrices, formes des nageoires) qui permettent de reconnaître chaque individu d'un jour sur l'autre.

Pour suivre leurs déplacements, les requins ont été équipés de balises. Les allées et venues des requins autour des îles du Vent ont ainsi été étudiées. Le scientifique a d'abord pu confirmer ce qui était déjà vérifié ailleurs dans le monde : les requins se regroupent plus souvent sur les sites de shark-feeding. "Sur des sites comme Teahupoo ou Maatea, au sud de Moorea par exemple, les requins passent occasionnellement et sont généralement seuls", explique Pierpaolo Brena. "En réponse au nourrissage artificiel, on observe des comportements répétés d'agrégation aux sites de shark-feeding, c'est à dire que plusieurs requins se regroupent et de façon régulière. Ce n'est pas un comportement que l'on observe ailleurs."

Aujourd'hui, il n'existe pas de règlementation sur la manière de pratiquer le shark feeding, que ce soit en nombre de plongeurs ou en techniques de nourrissage. Quels peuvent alors être les risques en terme de sécurité ? "Quand vous augmentez la densité de requins en les attirant avec une quantité limitée de nourriture, vous augmentez en théorie la compétition entre les individus", explique Pierpaolo Brena. "Plus les requins-citrons sont nombreux sur le site de nourrissage, plus ils manifestent des comportements de dominance. Ce sont des comportements d'agression ou de soumission qui sont à la fois coûteux en énergie pour les requins et peuvent contribuer à augmenter le risque de morsure accidentelle."

Ce genre de situation peut arriver dans la nature, par exemple lorsque certaines espèces de requins se regroupent pour se disputer une carcasse de baleine à la dérive, mais ces évènements restent ponctuels. Dans une situation de nourrissage artificiel, la fréquence de regroupement est beaucoup plus élevée.
Au-delà de la réponse collective des requins au shark-feeding, l'étude du comportement individuel des requins-citrons révèle des résultats surprenants. "Chaque requin occupe une position bien précise au sein du groupe", explique Pierpaolo Brena. "On mesure cette position grâce aux comportements de dominance entre les individus, qui donnent une idée de la hiérarchie. Ensuite, la position des requins les uns par rapport aux autres permet d'étudier ce que l'on appelle le réseau social des requins. Au niveau individuel, plus un requin est habitué au nourrissage artificiel, plus il développe des comportements de tolérance envers les autres requins. Plutôt que de maintenir des comportements d'agression envers ses compétiteurs, il va établir des relations claires de dominance qui vont lui éviter de devoir dépenser trop d'énergie à agresser ses voisins et à se faire agresser par eux."

A la Vallée Blanche, au large de l'aéroport de Faa'a, les plongeurs peuvent rencontrer des requins tigres lors de séances de shark-feeding. "On voit que les requins tigres se déplacent de manière plus fréquente au large de la côte Nord de Tahiti", constate le scientifique. Mais il n'y a pas assez de recul sur le suivi des déplacements de ces requins pour savoir si le shark-feeding favorise leur sédentarisation ou si ces activités se sont installées sur des zones déjà fortement fréquentées par les squales. Une étude plus longue sur le temps devrait permettre de répondre à ces dernières questions.

"Le nourrissage du requin est aussi un business"

Peu de touristes repartent de Polynésie sans avoir vu de requins lors de leurs vacances. Certains auront croisé le squale par hasard, d'autres devront leurs rencontres au nourrissage. A Palau (Micronésie), la valeur d'un requin de récif fréquentant les principaux sites de plongée de l'archipel a été chiffrée il y a quelques années à environ 14.4 millions de Fcfp par une étude australienne. A Moorea, une étude similaire estime à 34.2 millions de Fcfp la contribution annuelle moyenne de certains requins-citrons à l'économie locale.

Pierpaolo Brena a étudié la perception du shark-feeding par un public composé de plongeurs, baigneurs, rameurs, apnéistes et autres usagers de la mer. Son travail révèle certains éléments intéressants "sur notre façon de voir le shark-feeding". "On parle beaucoup de l'impact environnemental quand on parle du nourrissage artificiel de requins, mais chez les 495 personnes qui ont répondu à l'étude, les enjeux environnementaux et sociétaux de l'activité ne semblent pas avoir de poids dans la prise de décision de chacun de participer ou non à des activités de nourrissage artificiel".
"Si on veut gérer le shark-feeding de façon durable, il ne faut pas uniquement s'intéresser à l'impact environnemental. C'est un aspect de la question, un autre aspect étant le fait que le nourrissage de requins est aussi un business qui répond aux lois de l'offre et de la demande", complète-t-il. "Certains clients veulent être sûrs d'observer certains requins et on appâte ces espèces en conséquence, ce qui est différent de rencontres que l'on peut faire en situation naturelle. Il appartient aux opérateurs touristiques et aux usagers de la mer de déterminer collectivement la meilleure façon de répondre à ce type de demande, de définir le cadre dans lequel effectuer le nourrissage et de faire appliquer ce cadre. C'est une bonne occasion de faire travailler ensemble scientifiques, acteurs économiques et citoyens."
Un groupe de travail est actuellement mené par le ministère du Tourisme sur le sujet du shark-feeding. Depuis plusieurs années, une nouvelle règlementation de l'activité est annoncée au niveau du Pays sans qu'elle n'ait encore vu le jour. Son élaboration devra répondre à la question : quel tourisme voulons-nous ?

Pratique

Restitution de thèse "Dimensions écologique et humaine de la relation Homme-Requin : approches fondamentales et appliquée du nourrissage de requins en Polynésie française"
Vendredi 4 novembre, à 17h, salle du conseil du Gouvernement, Avenue Pouvana’a a Oopa.

Rédigé par Mélanie Thomas le Mercredi 2 Novembre 2016 à 16:00 | Lu 7571 fois