Tahiti, le 9 janvier 2020 – Six mois après le rapport de la Chambre territoriale des comptes (CTC) sur la gestion du CHPF, le rapport de la mission Igas-Iga-IGF dévoilé cette semaine par Tahiti Infos a enfoncé le clou. Reprenant des recommandations de la juridiction financière et en formulant d'autres, la mission d'inspection appelle à une réforme indispensable de l'établissement.
Alors que Claude Panero vient d'être nommée directrice du Centre hospitalier de la Polynésie française (CHPF), notamment en raison de ses compétences en matière financière, le constat effectué par la mission d'inspection Igas-Iga-IGF, brut et sévère, permet de mesurer les défis qui l'attendent en la matière : “la gestion du CHPF doit rapidement pouvoir bénéficier d'un environnement budgétaire et tarifaire rénové pour aborder les nombreux défis qui sont les siens”. Des préconisations qui, si elles étaient suivies, révolutionneraient le fonctionnement de l'établissement.
Une culture de gestion dans le coma
Pour réaliser leurs travaux, les inspecteurs ont d'abord été confrontés aux carences de fonctionnement de l'établissement. Absence de comptabilité analytique devant pourtant être une “priorité”, “insuffisante documentation de la gestion de l'établissement”, défaillances dans le traitement de l'information sont notamment pointés du doigt dans un établissement dont le statut “hors du "droit commun" national n'a pas été incitatif à développer ses outils de mesure et de contrôle de gestion”. Ainsi, la collecte d'informations et leur utilisation sont largement à revoir car “en l'état de la production de l'information, les approches sont nécessairement approximatives, toujours susceptibles de biais de mesure ou d'interprétation”. Selon la mission d'inspection, “une culture de gestion” doit être instaurée au plus vite, d'autant que le projet d'établissement 2017-2022 avait déjà constaté le retard pris dans la mise en place de ces outils.
Un financement incompatible avec une gestion responsable
Constatant la situation financière très dégradée du centre hospitalier, la mission se penche longuement sur les modalités de financement du CHPF. Celui-ci se fait notamment par l'attribution de deux dotations par la CPS, une dotation principale finançant les activités de soins, avec ou sans hospitalisation, et une dotation spécifique destinée au financement de contrats d’objectifs (ex : réduction du nombre d’urgences et d’évacuations sanitaires...), mais aussi par la surfacturation des soins aux patients non-CPS. Un mode de financement par dotation du CHPF que les experts considèrent comme “déconnecté de son activité” et qui “ne répond pas aux besoins d'une gestion responsable, d'une transparence exigée et légitime et d'une visibilité nécessaire aux anticipations et corrections”.
Si la mission d'inspection rejette la solution d'une tarification à l'activité (T2A) jugée “complexe et coûteuse”, elle recommande d'améliorer le système d'allocations actuel “en l’indexant plus directement sur l’activité et en le rendant plus transparent”. Pour les soins dispensés aux ressortissants des autres régimes (Sécu, assurés néo-calédoniens…) hors du champ d’application des dotations, le CHPF applique alors à ces ressortissants un tarif journalier de prestations très élevé. Une différence de traitement tarifaire injustifiée entre les ressortissants des différents régimes qui, si elle était supprimée, conduirait à une perte de recettes pour le CHPF d'environ 3,8 milliards par an selon l'estimation faite sur 2017. Un chiffre qui obligerait parallèlement à réétudier la question de l'affiliation des fonctionnaires d'Etat à la CPS.
Gardes et astreintes, un système inéquitable
En terme d'inégalité, le rapport s'attarde aussi sur le système de gardes et astreintes en vigueur au CHPF évoquant “des dérives qui ont donné lieu à des observations et des critiques récurrentes” du fait de son organisation et de son coût, le dispositif étant “générateur de pratiques individuelles peu contrôlées (transformations des astreintes en gardes) et d'iniquité”. Les experts métropolitains, pas avares de comparaison au niveau national, notent ainsi que “la rémunération des gardes et astreintes en Polynésie est fixée à un niveau très supérieur à la métropole et, plus que le nombre et la répartition des gardes et astreintes, le barème interroge tant les disparités importantes contribuent à grossir la part de ses indemnités dans la rémunération du personnel médical”. Reprenant des données de la CTC, si les rémunérations des praticiens sont supérieurs en moyenne d'environ 23% à celles de leurs homologues en centre hospitalier en métropole, les primes et indemnités sont quant à elle deux fois plus élevées incitant ainsi les inspecteurs à demander la révision du dispositif de rémunération des gardes et astreintes.
Des contentieux paradoxalement bénéfiques
Enfin, si le fonctionnement déficitaire de l'établissement est longuement analysé, les experts se penchent également sur certaines charges non-inscrites dans les comptes. Le rapport relève que, “exploité depuis octobre 2010, le bâtiment mis à disposition ne fait à ce jour l'objet d'aucun amortissement”. Les amortissements (technique comptable obligatoire pour prendre en compte la perte de valeur des bâtiments et installations du CHPF du fait de leur usure pour préparer leur rénovation ou la maintenance) ne sont pas inscrits dans les comptes et placent l'établissement dans une situation incompatible avec les règles élémentaires de prudence comptable. Selon le rapport, “le processus de règlement de la situation serait toujours entravé par les contentieux portant sur la construction”.
Il est vrai que près de dix ans après sa livraison, des entreprises contestent encore au tribunal administratif le paiement ou le non-paiement de certains travaux liés à la construction de l'établissement comme ce fut encore le cas récemment. Mais surtout, comme le relevait la CTC en octobre 2018, de nombreuses malfaçons des bâtiments pourraient coûter de 200 à 300 millions de Fcfp pour être corrigées. Des contentieux qui empêchent ainsi de connaître le vrai coût final de l’hôpital mais qui paradoxalement s'avèrent bénéfiques puisque “l’amortissement du bâtiment dans les comptes du CHPF ferait plus que doubler le déficit d’exploitation” en représentant une charge annuelle de 1,3 milliard de Fcfp en 2017, alors que le déficit annuel représente déjà un milliard de Fcfp. La mission recommande donc de régulariser la situation même si “n’ayant pas supporté le financement de l’actif immobilier, seul un provisionnement partiel des amortissements serait économiquement justifié”.
Des constats et un ensemble de recommandations qui doivent conduire à une prise de conscience générale au CHPF. Sur ce point, la mission d'inspection émet quelques doutes. Le rapport indique ainsi de façon sibylline qu'“il conviendrait que la communauté hospitalière donne des signes tangibles de son engagement et fournisse des plans d'actions et des calendriers précis”. Claude Panero connaît sa mission : la rémission.
Alors que Claude Panero vient d'être nommée directrice du Centre hospitalier de la Polynésie française (CHPF), notamment en raison de ses compétences en matière financière, le constat effectué par la mission d'inspection Igas-Iga-IGF, brut et sévère, permet de mesurer les défis qui l'attendent en la matière : “la gestion du CHPF doit rapidement pouvoir bénéficier d'un environnement budgétaire et tarifaire rénové pour aborder les nombreux défis qui sont les siens”. Des préconisations qui, si elles étaient suivies, révolutionneraient le fonctionnement de l'établissement.
Une culture de gestion dans le coma
Pour réaliser leurs travaux, les inspecteurs ont d'abord été confrontés aux carences de fonctionnement de l'établissement. Absence de comptabilité analytique devant pourtant être une “priorité”, “insuffisante documentation de la gestion de l'établissement”, défaillances dans le traitement de l'information sont notamment pointés du doigt dans un établissement dont le statut “hors du "droit commun" national n'a pas été incitatif à développer ses outils de mesure et de contrôle de gestion”. Ainsi, la collecte d'informations et leur utilisation sont largement à revoir car “en l'état de la production de l'information, les approches sont nécessairement approximatives, toujours susceptibles de biais de mesure ou d'interprétation”. Selon la mission d'inspection, “une culture de gestion” doit être instaurée au plus vite, d'autant que le projet d'établissement 2017-2022 avait déjà constaté le retard pris dans la mise en place de ces outils.
Un financement incompatible avec une gestion responsable
Constatant la situation financière très dégradée du centre hospitalier, la mission se penche longuement sur les modalités de financement du CHPF. Celui-ci se fait notamment par l'attribution de deux dotations par la CPS, une dotation principale finançant les activités de soins, avec ou sans hospitalisation, et une dotation spécifique destinée au financement de contrats d’objectifs (ex : réduction du nombre d’urgences et d’évacuations sanitaires...), mais aussi par la surfacturation des soins aux patients non-CPS. Un mode de financement par dotation du CHPF que les experts considèrent comme “déconnecté de son activité” et qui “ne répond pas aux besoins d'une gestion responsable, d'une transparence exigée et légitime et d'une visibilité nécessaire aux anticipations et corrections”.
Si la mission d'inspection rejette la solution d'une tarification à l'activité (T2A) jugée “complexe et coûteuse”, elle recommande d'améliorer le système d'allocations actuel “en l’indexant plus directement sur l’activité et en le rendant plus transparent”. Pour les soins dispensés aux ressortissants des autres régimes (Sécu, assurés néo-calédoniens…) hors du champ d’application des dotations, le CHPF applique alors à ces ressortissants un tarif journalier de prestations très élevé. Une différence de traitement tarifaire injustifiée entre les ressortissants des différents régimes qui, si elle était supprimée, conduirait à une perte de recettes pour le CHPF d'environ 3,8 milliards par an selon l'estimation faite sur 2017. Un chiffre qui obligerait parallèlement à réétudier la question de l'affiliation des fonctionnaires d'Etat à la CPS.
Gardes et astreintes, un système inéquitable
En terme d'inégalité, le rapport s'attarde aussi sur le système de gardes et astreintes en vigueur au CHPF évoquant “des dérives qui ont donné lieu à des observations et des critiques récurrentes” du fait de son organisation et de son coût, le dispositif étant “générateur de pratiques individuelles peu contrôlées (transformations des astreintes en gardes) et d'iniquité”. Les experts métropolitains, pas avares de comparaison au niveau national, notent ainsi que “la rémunération des gardes et astreintes en Polynésie est fixée à un niveau très supérieur à la métropole et, plus que le nombre et la répartition des gardes et astreintes, le barème interroge tant les disparités importantes contribuent à grossir la part de ses indemnités dans la rémunération du personnel médical”. Reprenant des données de la CTC, si les rémunérations des praticiens sont supérieurs en moyenne d'environ 23% à celles de leurs homologues en centre hospitalier en métropole, les primes et indemnités sont quant à elle deux fois plus élevées incitant ainsi les inspecteurs à demander la révision du dispositif de rémunération des gardes et astreintes.
Des contentieux paradoxalement bénéfiques
Enfin, si le fonctionnement déficitaire de l'établissement est longuement analysé, les experts se penchent également sur certaines charges non-inscrites dans les comptes. Le rapport relève que, “exploité depuis octobre 2010, le bâtiment mis à disposition ne fait à ce jour l'objet d'aucun amortissement”. Les amortissements (technique comptable obligatoire pour prendre en compte la perte de valeur des bâtiments et installations du CHPF du fait de leur usure pour préparer leur rénovation ou la maintenance) ne sont pas inscrits dans les comptes et placent l'établissement dans une situation incompatible avec les règles élémentaires de prudence comptable. Selon le rapport, “le processus de règlement de la situation serait toujours entravé par les contentieux portant sur la construction”.
Il est vrai que près de dix ans après sa livraison, des entreprises contestent encore au tribunal administratif le paiement ou le non-paiement de certains travaux liés à la construction de l'établissement comme ce fut encore le cas récemment. Mais surtout, comme le relevait la CTC en octobre 2018, de nombreuses malfaçons des bâtiments pourraient coûter de 200 à 300 millions de Fcfp pour être corrigées. Des contentieux qui empêchent ainsi de connaître le vrai coût final de l’hôpital mais qui paradoxalement s'avèrent bénéfiques puisque “l’amortissement du bâtiment dans les comptes du CHPF ferait plus que doubler le déficit d’exploitation” en représentant une charge annuelle de 1,3 milliard de Fcfp en 2017, alors que le déficit annuel représente déjà un milliard de Fcfp. La mission recommande donc de régulariser la situation même si “n’ayant pas supporté le financement de l’actif immobilier, seul un provisionnement partiel des amortissements serait économiquement justifié”.
Des constats et un ensemble de recommandations qui doivent conduire à une prise de conscience générale au CHPF. Sur ce point, la mission d'inspection émet quelques doutes. Le rapport indique ainsi de façon sibylline qu'“il conviendrait que la communauté hospitalière donne des signes tangibles de son engagement et fournisse des plans d'actions et des calendriers précis”. Claude Panero connaît sa mission : la rémission.