L’hôpital en manque de lait maternel


Le service lactation du CHPF de Pirae, actuellement confronté à un manque de stock de lait maternel. Crédit : Tom Larcher
Tahiti, le 20 mars 2024 - Le lait maternel est fortement recommandé pour la croissance d’un enfant. Chez un bébé prématuré, sa consommation est même vitale. Mais au service de néonatalogie du Centre hospitalier de Taaone, “on fonctionne à flux tendu” déplore mercredi Anaïs Oggero, la responsable du lactarium de l’hôpital. En cause, une insuffisance de livraisons de lait maternel à l'échelle nationale couplée à un manque de dons au plan local.
 
Ça court dans tous les sens, ce mercredi à la maternité de l’hôpital du Taaone à Pirae. “Je n’ai pas le temps, désolé…”, “Allez voir mon collègue”, glisse le personnel en blouse blanche, visiblement sous pression. Drôle d’accueil pour un journaliste désireux de faire un article sur l’appel au don de lait maternel. Mais la raison pousse à la compréhension, et même à l’empathie : le service a récemment dû faire face à de nombreuses naissances prématurées au point de mettre à mal sa réserve en lait maternel. “On a deux à trois jours d’avance”, avertit Anaïs Oggero. Il faut dire que le produit se fait rare, tellement “qu’ici on appelle ça l’or blanc”.
 
Une matière essentielle
 
Avoir un stock de lait maternel dans une maternité, et encore plus dans un service néonatal, c’est absolument indispensable. La raison : quand un bébé naît prématurément (et encore plus quand il naît avant le cap des 35 semaines de grossesse) “il ne peut recevoir que du lait maternel” explique Anaïs. “Notamment car le lait artificiel n’est pas assimilé par leur organisme et ça peut être très grave”, puisque le système digestif du nouveau-né, peut-être un peu trop pressé de naître, ne peut pas encore digérer ce type de lait.
 
Pour comprendre la différence entre le lait maternel et le lait artificiel, Anaïs illustre ses propos : “ Le lait maternel est considéré en néonat comme un médicament, ça a la même valeur du point de vue de l’organisme, de la santé et du développement du bébé prématuré. C’est un organisme vivant qui a des anticorps, des enzymes qui sont complètement adaptés à l’organisme d’un bébé humain. Le lait artificiel ne peut pas rivaliser. Fait à base de lait de vache, il n’y a pas tous les anticorps et bénéfices que le lait maternel peut apporter au bébé.
 
Il arrive bien sûr que la production de lait maternel de la mère suffise pour répondre aux besoins du bébé. Dans ce cas, il n’y a pas de soucis. Mais la montée de lait (phénomène de production de lait suite à l’accouchement) peut prendre “deux à quatre jours” après la naissance chez les mamans. Et dans certains cas, malgré toute la bonne volonté de la mère, il arrive qu’elle ne parvienne pas à produire assez vite et suffisamment de lait pour pouvoir satisfaire les besoins de l’enfant arrivé avant terme. Dans ce cas-là, l’hôpital compte sur ses réserves de lait maternel, qui sont souvent limitées.
 
Comment se la procurer ?
 
Pour constituer des réserves de lait maternel dans les maternités métropolitaines, il est d’usage de s’aider entre lactariums. “On fait en général deux commandes par an en Métropole”, précise Anaïs. Mais la situation géographique du CHPF de Pirae, couplée à la rupture nationale de lait maternel rend le réassort de stock compliqué. L’hôpital ne peut alors compter que sur les “dons anonymes”, de mères ayant un surplus de lait à la suite d’un accouchement et qui acceptent de donner ce surplus à d’autres nourrissons.
 
Un processus compliqué, car pour devenir donneuse anonyme, il faut répondre à certains critères : “Il faut faire une prise de sang pour surveiller les pathologies comme les hépatites ou le VIH, mais aussi ne pas fumer, se droguer, ne pas prendre de médicament au long cours et ne pas être malade. Une fois que les voyants sont au vert et que le lait a été prélevé, il doit encore passer une batterie de tests avant d’être congelé et consommé sous 6 mois. Il est alors analysé et pasteurisé pour éliminer la présence de germes. Mais parfois, “il arrive qu’on doive se passer d’un lait car il présente trop de microbes…” Comme le dit Anaïs, nourrir quotidiennement tous les prématurés du CHPF, “c’est un peu un parcours du combattant”.
 
Sensibiliser au don de lait
 
Heureusement, Anaïs salue le dévouement des mères polynésiennes lorsque la situation est critique. “Les dames du Fenua sont de manière culturelle assez spontanées sur l’allaitement. Dès qu’on parle de don de lait à la maternité, les femmes nous répondent ‘Je veux bien, c’est juste que je ne savais pas que je pouvais le faire’.” Ce qu’elle salue moins en revanche, c’est ce manque de sensibilisation sur le devoir civique de donner son lait maternel. Un acte qui devrait bénéficier de la même implication citoyenne que les campagnes de don de sang, qui se font tout au long de l’année.
 
Le problème, c’est qu’une fois que l’humain est capable de mastiquer, il pense rarement de nouveau au lait maternel. Alors que le don du sang concerne tout le monde, car on espère tous en bénéficier si un accident devait arriver. Pourtant dans les hôpitaux, le besoin en lait maternel est, lui, bien réel, et évolue très vite d’après Anaïs. “C’est assez fluctuant. Ça peut très bien aller et en une semaine on a dix naissances prématurées et ça commence à devenir compliqué.
 
Il faut alors réagir vite et lancer une campagne de dons d’urgence, qui marche plutôt bien en Polynésie. Mais si la solution marche, elle n’est pas viable pour autant. “Il faut le dire : on n’est jamais en trop plein de lait, c’est souvent l’inverse. Il y a des appels aux dons urgents qui marchent bien, mais on en a besoin toute l’année et pas qu’en période d’urgence.” Anaïs travaille dans cet hôpital depuis 10 ans maintenant, et elle a un souhait : “Ce serait super que le don de lait maternel devienne spontané. Ça sauve des vies, c’est génial, et ça serait encore mieux si c’était toute l’année.

Rédigé par Tom Larcher le Mercredi 20 Mars 2024 à 16:55 | Lu 1035 fois