L’homme et la nature : un déclic, pas de changement


Crédit : David Lecchini.
TAHITI, le 10 août 2023 - Les activités de l’homme ne sont pas sans conséquences sur la nature. Les confinements en ont apporté la preuve. David Lecchini, chercheur à l’École pratique des hautes études (EPHE affecté au Criobe), a mené des études sur l’état des stocks de poissons à Bora Bora et Moorea avant, pendant et après la pandémie de Covid. Conclusion, la nature a logiquement repris ses droits pendant le confinement et l’homme a pris conscience de son impact mais, depuis, rien n’a changé.

Les conclusions peuvent sembler évidentes : les confinements ont bien eu un impact positif sur l’environnement. La nature a repris ses droits. Encore fallait-il le prouver. Des études scientifiques du Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement (Criobe) ont été menées en différents endroits du monde (Moorea, Bora Bora, Guadeloupe). En Polynésie, David Lecchini, chercheur au Criobe, a participé à trois travaux de recherche dans le cadre du suivi environnemental réalisé par le Criobe. Ce centre mène un suivi à long terme des récifs coralliens autour de Moorea depuis 2004 et autour de Bora Bora depuis 2019. Il s’est intéressé à la réserve marine de Moorea, ainsi qu’aux sites écotouristiques et aux activités de pêche lagonaire à Bora Bora via la vente en bord de route de 2020 à 2021. Les résultats ont été publiés dans trois revues scientifiques : Marine Environmental Research (en 2021), Royal Society Open Science (octobre 2022), Plos One (avril 2023).

Le confinement lié au Covid a eu un impact sur l’environnement. “Les espèces de poissons commerciaux ont été retrouvées plus proches du lagon, des récifs et plus proches de la surface”, confirme le chercheur. Ils ont repris leur espace de vie, comme cela devait être le cas il y a 80 ou 100 ans. La densité de poissons suite au confinement est sans appel. À Bora Bora, neuf sites ont été étudiés. Sur huit d’entre eux, les poissons sont revenus en nombre (parfois en doublant l’abondance des stocks). Le neuvième, correspondant à un site près d’un motu occupé pendant le confinement, n’a pas été le théâtre de changements. “C’est bien la preuve qu’il y a un lien direct entre la présence humaine et la densité de poissons.” Ce qui frappe, avec ces différentes études, c’est la rapidité avec laquelle la nature a pu reprendre ses droits.


Crédit : David Lecchini.
Changements rapides

Dans l’étude intitulée “Confinement lié à la Covid-19”, qui souligne l'impact des activités récréatives sur le comportement des poissons des récifs coralliens et parue dans Royal Society Open Science, les chercheurs concluent : “Dans l'ensemble, cette étude démontre l'effet que notre présence a sur les communautés écologiques avec lesquelles nous interagissons et montre la rapidité avec laquelle ces communautés peuvent changer rapidement lorsque nous sommes éloignés.”

Mais le bénéfice a été en grande partie de courte durée. Dans l’étude intitulée “Effets des restrictions liées à la pandémie de Covid-19 sur les poissons des récifs coralliens sur des sites d'écotourisme à Bora Bora” et publiée dans Marine Environmental Research, ils écrivent : “Nos résultats démontrent une augmentation significative de la densité de poissons en l'absence d'activité humaine et d'un retour ultérieur à des niveaux préconfinement corrélés au retour progressif des touristes internationaux”.

Discussions

Il faut savoir que la moitié des récifs coralliens du monde ont disparu depuis le début des années 1980, principalement en raison de l'acidification et du réchauffement des océans, mais aussi à cause de la pollution toujours plus importante, du développement côtier non durable, de la surpêche et des activités touristiques…

Crédit : David Lecchini.
Selon les chercheurs du Criobe, “il est clair que les activités touristiques ont le potentiel de modifier la biodiversité des récifs coralliens et peuvent avoir un impact sur l'écologie, la physiologie et le comportement des poissons”. L'influence des activités touristiques sur la santé animale a été bien examinée dans les systèmes terrestres et la mégafaune marine, il conviendrait désormais de mesurer les impacts du tourisme sur la santé des poissons des lagons et des récifs coralliens plus largement.

"Nous n’avons pas tiré les leçons de cette crise"

Cela pourrait servir ensuite à une meilleure gestion des zones d'écotourisme et l'utilisation durable des récifs coralliens. “Réduire les capacités de charge humaine de ces lieux ou limiter temporairement leur accès peut rapidement avoir des effets positifs et devrait être pris en compte dans les futures décisions de gestion afin de promouvoir la biodiversité en équilibrant les objectifs de conservation, la satisfaction des visiteurs et les activités socio-économiques dans les aires marines protégées (rahui).” Mais, selon David Lecchini, si une prise de conscience a bel et bien eu lieu, depuis, “rien n’a changé”. Les promesses entendues au sortir des confinements sont restées vaines en Polynésie française comme ailleurs dans le monde. À Moorea et Bora Bora notamment, l’activité touristique a repris de plus belle revenant à des niveaux comparables à ceux de 2019. “Nous n’avons pas tiré les leçons de cette crise”, regrette le chercheur.

Rédigé par Delphine Barrais le Jeudi 10 Aout 2023 à 15:44 | Lu 1780 fois